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Développement agricole
Les groupes d’agriculteurs, incubateurs d’idées

Acquérir des références locales, se rassurer auprès de ses pairs : travailler en groupe permet de faire évoluer ses pratiques en minimisant les risques et en développant son autonomie.

Plus de 1 500 groupes de développement (Ceta, GDA ou autres GVA), 130 structures pour le réseau Civam (Centre d’information et de vulgarisation pour l’agriculture et le milieu rural), environ 13400 Cuma, sans compter les nombreux groupes informels ou fondés par des entreprises privées… Plus de cinquante ans après avoir fait décoller le développement agricole qui a conduit à l’autosuffisance alimentaire, les groupes d’agriculteurs vont-ils de nouveau être à l’initiative des innovations qui changeront la face de l’agriculture française ? Ces structures pilotées par des agriculteurs apparaissent aujourd’hui comme un maillon idéal pour élaborer des solutions combinant autonomie et dimension locale, au service de systèmes de plus en plus personnalisés.

CONTEXTE LOCAL
Pour Dominique Robert, les atouts de ces groupes ne sont plus à prouver. Cet agriculteur d’Ille-et-Vilaine a travaillé comme technicien en chambre d’agriculture et dans le négoce avant de cumuler sa fonction d’exploitant avec celle de conseiller indépendant. « Le travail en groupe permet de s’adapter à une situation locale, explique-t-il. Par exemple, sur notre secteur où les potentiels de rendement sont limités par rapport au reste de la région, on ne se retrouve pas forcément dans l’information diffusée par les organismes techniques sur la réduction des doses de fongicides. Les screenings réalisés par Arvalis nous renseignent sur les produits compatibles avec des modulations de doses, mais, au sein du groupe, nous allons plus loin dans les courbes de réponse. » L’anecdote est croustillante : lorsque l’exploitant a passé le certificat Certiphyto, censé favoriser la diminution du recours aux produits phytosanitaires, les doses d’application évoquées étaient supérieures à celles employées par la plupart des agriculteurs présents !

« GÉRER LE TROUILLOMÈTRE »
« L’idée est de créer son propre espace de développement, car le groupe stimule l’initiative et rassure, affirme Alexis de Marguerye, animateur à la fédération régionale des Civam des Pays de la Loire. Si l’on essaie de réduire l’utilisation des pesticides, savoir que d’autres le font aide à franchir le pas. Car baisser les phyto, c’est gérer le trouillomètre! » Pour ce technicien, le groupe permet deux types d’échanges : ceux à chaud, en bout de champ, au cours desquels chacun explique ses choix techniques, et ceux lors des réunions à froid consacrées à l’évaluation des résultats, à l’identification des systèmes qui fonctionnent et à la compréhension des mécanismes en jeu.

CULTIVER L’ESPRIT CRITIQUE
L’autonomie est souvent le premier objectif poursuivi par les agriculteurs qui mutualisent leurs expériences en groupe. Comparer et échanger ses informations conduit aussi à cultiver l’esprit critique. « Ces agriculteurs veulent retrouver une autonomie de décision, ne pas être dépendant de gens qui leur diraient ce qu’il faut faire, affirme François- Xavier Delépine, directeur de Trame, un réseau auquel adhèrent 600 groupes de développement. Cela ne veut pas dire que le conseil venant de la chambre d’agriculture ou du vétérinaire n’est pas bon, mais que le producteur veut se l’approprier, l’adapter à son cas. »

PAS DE RÉPONSE TOUTE FAITE
Pour Alexis de Marguerye, chacun doit construire son système selon ses objectifs, ses contraintes, en tenant compte des conditions locales. Cette responsabilisation est à la base de l’autonomie. « L’agriculteur adhérent à un Civam ne reçoit pas de réponse toute faite, il doit participer, renchérit Jean-Claude Balbot, agriculteur administrateur de la FNCivam. Ce sont des réponses apportées par des paysans à des questions de paysans. Il ne s’agit pas de recevoir un enseignement, même s’il peut y avoir un accompagnement par un technicien. » Dominique Robert confirme que l’implication individuelle au sein du collectif est la clé du succès. « Pour qu’un groupe fonctionne, il faut que chacun apporte sa pierre à l’édifice et cherche à construire en partageant ses réussites et ses échecs. Si l’objectif du groupe est de reproduire ce qui marche bien chez un voisin, en cherchant à appliquer des recettes, cela ne tient pas longtemps. » Certains groupes seraient d’ailleurs bien en peine de trouver des recettes: un nombre croissant d’entre eux se constituent justement pour défricher une thématique pour laquelle il existe peu de références, et non sur une base géographique. « Outre la recherche du partage de connaissances, l’intérêt pour les groupes vient de l’éclatement des modèles conventionnels vers des registres spécialisés, comme le non labour ou l’agriculture biologique, souligne Frédéric Goulet, sociologue au Cirad au sein de l’unité mixte de recherche Innovation. Les agriculteurs trouvent dans ces groupes les réponses spécifiques dont ils ont besoin, alors qu’ils considèrent les conseils issus de la coop comme trop génériques. »
Pour le chercheur, ces groupes spécialisés remplissent aussi une fonction identitaire en créant une communauté, comme cela a été le cas pour l’agriculture biologique dans les années 70, puis avec l’association Base pour les techniques sans labour dans les années 90. « Ces collectifs d’agriculteurs constituent une avant-garde, la question est de savoir comment les mettre en relation avec les institutions, avec la recherche publique, mais aussi avec les groupes créés par des entreprises privées, par exemple en machinisme, disposant d’un excellent maillage sur le terrain et dont le rôle est de plus en plus important », relève Frédéric Goulet.
Les synergies ne sont pas toujours faciles à établir entre des mondes dont les cultures sont souvent éloignées. « Avant de diffuser une pratique, un institut technique cherche à l’évaluer avec des critères scientifiques, tandis que pour un groupe d’agriculteurs, l’évaluation consiste à voir si cela fonctionne chez eux », résume le sociologue. « Un groupe ne peut pas mettre en place des essais statistiques, reconnaît Dominique Robert. On cherche avant tout à s’assurer qu’il y a une cohérence des résultats dans le temps et sur les différentes exploitations. » Certains réseaux se dotent néanmoins d’observatoires technico- économiques autorisant une comparaison des résultats entre systèmes d’une même catégorie.

RÉFÉRENCES POUR SYSTÈMES INHABITUELS
En défrichant des terrains laissés en jachère par les organismes de développement institutionnels, des groupes ou fédérations de groupes ont gagné une légitimité à force d’accumuler les références. « Au sein du réseau des Civam, nous avons depuis longtemps réalisés des travaux sur les critères de durabilité, sur les circuits courts, sur la création de valeur ajoutée, explique Jean-Claude Balbot, de la FNCivam. Nous sommes désormais de plus en plus souvent contactés par des gens qui produisaient selon un modèle intensif et qui se posent des questions sans trouver de réponse dans les réseaux habituels. Et depuis quelques années, nous sommes également sollicités par les institutions comme les ministères, la MSA ou des instituts techniques pour des colloques et des études. » La part croissante des installations « hors normes » renforce encore l’intérêt pour ces groupes d’agriculteurs pionniers, parfois les seuls à disposer de références pour des systèmes dont la taille ou les productions inhabituelles sortent des compétences des commissions officielles chargées d’évaluer leur viabilité.

Interview de Frédéric Thomas, président de l’association BASE

« L’agriculteur doit réinvestir en recherche et développement sur son exploitation »

Créée pour promouvoir les techniques culturales simplifiées, Base est devenue une plate-forme d’échange d’expériences sur l’agriculture de conservation donnant la priorité à la performance des exploitations plutôt qu’à une technique particulière.

Les agriculteurs sont-ils en train de se réapproprier l’innovation ?
C’est le cas dans notre réseau, mais je ne pense pas que ce soit le cas pour la majorité. Quand on entre à Base, on devient acteur en mettant en place ses propres essais, en faisant partager ses réussites et ses échecs. C’est l’esprit d’un Ceta,mais à plus grande échelle. Les agriculteurs doivent, de toute urgence, réinvestir en recherche et développement sur leur propre exploitation, sans attendre qu’on leur apporte la technique clé en main car celui qui l’apporte y a toujours un intérêt. C’est à l’agriculteur de se créer ses références, de comparer, d’aller voir ailleurs, y compris à l’étranger.On a trop écouté et trop fait confiance. Se reprendre en main est le seul moyen de réduire ses coûts de production, et les marges de manoeuvre sont colossales.

Quel doit être le rôle des instituts techniques ?
On a besoin d’eux, mais ce sont aux agriculteurs de donner le LA. Je n’accepte pas qu’un chercheur me dise ce que j’ai à faire, j’attends de lui qu’il m’apporte les éléments scientifiques me permettant de prendre les bonnes décisions. Les milliers de cerveaux des agriculteurs peuvent être plus performants que les instituts de recherche.

Comment diffusez-vous les innovations issues de votre réseau ?
Une innovation, c’est l’accumulation d’observations et de bonnes idées. Un déclic a lieu, entraînant la mise en place d’essais en grandes parcelles par des agriculteurs qui vont en parler, puis par d’autres qui améliorent l’idée. La mise au point, la diffusion et la validation de la technique se fait en même temps.Une grande partie de l’information circule de manière horizontale entre les membres. Au travers du covoiturage, d’Internet, mais surtout via le mail et le téléphone portable, avec l’envoi de photos.

Les informations sont-elles réservées à vos adhérents ?
Certaines réunions sont ouvertes au public, d’autres sont réservées aux adhérents. Pour assister à un événement, nous demandons une petite participation financière en plus du coût de l’adhésion à l’association, afin de faire prendre conscience qu’une bonne information se paie, et qu’une information gratuite est souvent orientée.

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