Enquête
Le bio prend son envol en grandes cultures
Les grandes cultures sont le parent pauvre de l’agriculture biologique. Mais un frémissement se fait sentir ces dernières années avec une accélération des conversions en bio.
Les grandes cultures sont le parent pauvre de l’agriculture biologique. Mais un frémissement se fait sentir ces dernières années avec une accélération des conversions en bio.
En quelques années, les grandes cultures en bio ont presque doublé. Et l’ambition gouvernementale est de multiplier par deux cette surface d’ici cinq ans. Lors de la seconde rencontre des grandes cultures bio le 22 janvier à Paris, Emmanuel Leveugle, vice-président du groupe Bio grandes cultures des interprofessions Intercéréales et Terres Univia, a présenté les chiffres de la progression des grandes cultures en bio : « Il y a une vague de conversion en cours importante. Les surfaces en grandes cultures bio étaient de 250 000 hectares il y a quatre ans. Elles approchent les 400 000 hectares en 2017. » Ces données intègrent les surfaces en conversion qui sont de 140 000 hectares. « Les surfaces certifiées bio sont attendues en augmentation de 30 % lors de la campagne 2018/2019 et les surfaces en deuxième année de conversion seraient en léger recul, présente Dorian Fléchet, Agence bio. Mais entre le 1er janvier et le 1er juin 2018, 3912 fermes se sont engagées en bio contre 500 de moins sur la même période en 2017. Parmi ces fermes, un peu plus d’un millier ont déclaré les grandes cultures comme production principale (contre 600 en 2017). » L’accélération de la progression des grandes cultures bio ne se dément pas.
Atteindre l’autosuffisance en blé meunier
Il y a une forte demande en France pour ces productions car l’Hexagone est loin d’être autosuffisant en la matière. Les surfaces restent à un niveau modeste, 3,3 % de la sole de grandes cultures. « Deux des objectifs sont d’atteindre l’autosuffisance en blé meunier et de limiter les importations de tourteau encore très importantes pour les élevages », cible Emmanuel Leveugle. Directeur des Moulins de Brasseuil près de Mantes-la-Jolie en Ile-de-France, Olivier Deseine témoigne de l’augmentation de l’utilisation des blés bio en meunerie. « La meunerie est la première industrie utilisatrice de blé bio, devant les fabricants d’aliments du bétail. Il y a une forte consommation de produits avec des générations de consommateurs sensibilisés à l’environnement, note-t-il. La meunerie bio voit ses volumes croître de 15 à 18 % par an depuis plusieurs années. »
De fait, après plusieurs années de stagnation entre 2011/2012 et 2014/2015 (85 000 à 90 000 tonnes), l’utilisation de blé bio par la meunerie française a presque doublé pour passer à 168 000 tonnes estimées pour 2018/2019 (141 000 tonnes en 2017/2018). « La forte augmentation de la demande est liée au nombre croissant de boulangeries qui ouvrent un 'corner bio' pour commencer puis passent dans un second temps à une panification 100 % bio, analyse le meunier. Une forte demande s’exprime également dans le secteur de la restauration hors foyer. »
Entre un quart et un tiers des blés bio importés
Outre la demande sociétale vers des produits bio, les consommateurs souhaitent de plus en plus que ces produits soient d’origine française. La France a du mal à répondre. « Entre un quart et un tiers des ressources en blé tendre bio sont importés, principalement en provenance de l’Union européenne », précise Olivier Deseine. La demande croît plus vite que la production en France. En plus, celle-ci est sensible aux aléas climatiques. La collecte de blé bio a atteint le record de 118 000 tonnes en 2017/2018. Elle est retombée à 106 000 tonnes lors de la dernière campagne, notamment suite aux aléas climatiques observés sur la moitié Sud de la France. Or une bonne part du bio en France est produite dans cette région de l’Hexagone. « La production française de grandes cultures bio est également soumise aux effets d’opportunité, avec une augmentation du nombre de conversions en période de prix bas des céréales », note Olivier Deseine. L’engouement est moins prononcé quand les prix du blé reviennent à des niveaux plus rémunérateurs.
La collecte en grandes cultures bio est constituée pour près des 4/5e de céréales (à paille et maïs) et le blé tendre en représente 36 %. L’autre forte demande en direction des grandes cultures provient de l’élevage. « Cela vaut surtout pour les monogastriques. Pour les vaches laitières et bovins viande, on recherche plutôt l’autonomie de l’exploitation agricole », explique Bertrand Roussel, responsable des activités bio à la coopérative Terrena. Près de 60 % des céréales bio sont utilisées pour la fabrication d’aliments du bétail. Et le soja représente la moitié des oléoprotéagineux collectés. Cette utilisation est en progression continue chez les FAB autant que chez les meuniers.
Des conditions de tri et de stockage drastiques à l’extrême
Parmi les spécificités des grandes cultures produites en bio, les conditions de triage et de stockage occupent une place prépondérante. Plusieurs raisons à cela : il faut lutter contre les graines d’adventices indésirables qui sont plus présentes qu’en culture conventionnelle, faire le tri entre les graines de plusieurs cultures souvent cultivées en association en bio (exemples : orges et lentilles, blé et pois…), enlever des contaminants potentiels pour la qualité sanitaire du blé (ergot du seigle, nielle…) et, dans le stockage, maîtriser les divers insectes pouvant s’attaquer aux grains.
Des agriculteurs bio choisissent d’investir dans des parcs d’équipements de triage et de stockage importants. Du côté des collecteurs, on doit jouer avec la diversité des productions biologiques. « Stocker en bio coûte deux fois plus cher qu’en conventionnel, soit de l’ordre de 450 euros la tonne, informe Serge Rostomov, directeur technique d’Agribio Union, dans le Sud-Ouest. C’est plus cher car nous devons avoir beaucoup de cellules de petite taille pour stocker une grande diversité de produits avec ce que cela implique de risques de mélanges, de temps d’attente pour la réception… De plus, nous devons stocker sur des périodes plus longues que pour certains secteurs en agriculture conventionnelle car nous n’avons pas de possibilité de dégager sur des installations portuaires. D’où des risques accrus sur le plan de la qualité de conservation. Le budget analyse vis-à-vis des pesticides est conséquent : 60 000 euros par an soit 1 euro par tonne collectée ! » C’est le coût de la confiance du consommateur envers la production bio à la française qui se doit d’être irréprochable et pour garder la dynamique actuelle.
Fort taux de croissance
Un peu plus de 390 000 hectares de grandes cultures en bio en France en 2017 (14 000 fermes) contre 250 000 hectares trois ans avant, et près de 2,45 millions d’hectares fin 2016 pour l’Union européenne. Cela représente 3,3 % des surfaces de grandes cultures en France. Au total, 6,5 % de la SAU est occupée par les productions biologiques.
+ 65 000 hectares de grandes cultures supplémentaires en bio (moyenne) chaque année depuis 2015. Les conversions se sont accélérées. Dans les autres pays de l’UE, il y a également un fort taux de croissance annuel.
3,5 % des parts de marché de l’alimentation sont constituées de produits bio en France. Au Danemark, cette part atteint 9,7 %.
Un peu plus d’un milliard d’euros pour le bio
15 % de la surface en bio en 2022, c’est l’objectif que se fixe le plan Ambition bio présenté en juin par le ministère de l’Agriculture et doté d’1,1 milliard d’euros. Ce budget qui peut paraître important comprend de l’argent de l’État mais également 630 millions d’euros du Feader (Fonds européen dédié au développement rural) géré par les régions. L’essentiel de l’enveloppe (plus de 800 millions d’euros) vise au « renforcement des moyens consacrés aux aides à la conversion ». Rappelons que ces aides sont gérées par les régions qui en fixent les modalités de distribution. Malheureusement, leur versement par le gouvernement connaît des retards de deux à trois ans. Le plan Ambition bio 2022 comprend également un doublement du fond de structuration Avenir bio géré par l’Agence bio (4 à 8 millions d’euros par an) et une revalorisation du crédit d’impôt bio (2500 à 3500 euros), prolongé jusqu’en 2022.
Le bio plutôt sur la moitié Sud
Le développement du bio en grandes cultures concerne surtout des départements de polyculture-élevage et encore peu des régions traditionnelles comme le Bassin parisien et les Hauts-de-France. Les producteurs bio sont plus présents dans le Sud, où les conditions de cultures rendent plus facile la lutte contre les bio-agresseurs. Le Gers est de loin le premier département de grandes cultures bio avec 41 000 hectares (et 17000 en conversion). Plus de la moitié des exploitations de grandes cultures ont un atelier élevage. Cela se traduit par l’importance de certaines espèces parmi les grandes cultures en bio : 15,9 % de mélange céréales/légumineuses, 6,5 % d’orge, 6,4 % de soja, 7,3 % de maïs ensilage… Le blé tendre est la première culture bio avec 21,1 % des grandes cultures.