« Je pratique de l’irrigation de précision avec mon pivot »
Philippe Morel, agriculteur irrigant dans le Nord-Isère, est l’un des premiers utilisateurs français de pivot équipé d’un dispositif VRI lui permettant d’ajuster avec précision ses doses d’irrigation en fonction de la forme des parcelles, des cultures couvertes et de l’hétérogénéité des sols.
Philippe Morel, agriculteur irrigant dans le Nord-Isère, est l’un des premiers utilisateurs français de pivot équipé d’un dispositif VRI lui permettant d’ajuster avec précision ses doses d’irrigation en fonction de la forme des parcelles, des cultures couvertes et de l’hétérogénéité des sols.
« En 2022, grâce au pivot et à la VRI (Variable Rate Irrigation), j’ai respecté mon quota d’irrigation au mètre cube près, en arrosant jusqu’au bout le maïs et le soja. Cet équipement reconnu comme efficace pour économiser l’eau, donne accès à des dérogations sur les restrictions de prélèvement, qui nous ont été imposées plus tardivement. J’ai même pu faire tourner le pivot pour garantir la levée des colzas », se félicite Philippe Morel, installé avec son fils Maxime sur 180 hectares (en bio depuis 2020), dans les environs de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry, à Tignieu-Jameyzieu en Isère.
Ce pivot de marque Lindsay installé en 2019 couvre une surface de 65 hectares. « Il remplace, selon les saisons, trois à quatre enrouleurs. » Un deuxième pivot de 11 hectares acheté la même année et deux enrouleurs complètent le parc de matériels pour couvrir la centaine d’hectares irrigués. « Nos enrouleurs étaient à renouveler et compte tenu des enjeux autour de l’irrigation, et notamment les restrictions croissantes dans l’usage de l’eau, j’ai préféré investir dans des pivots, argumente Philippe Morel. Ces équipements nous ont également permis de dégager environ 180 heures de travail en comptant l’entretien et le remisage des enrouleurs. Un temps précieux que l’on valorise en particulier sur notre activité de prestations de travaux agricoles. »
Une puissance électrique presque divisée par deux
La flambée du prix de l’électricité a aussi donné raison aux deux agriculteurs. « Nous sommes passés de deux pompes débitant au total 160 m3/h à 12 bars (60 fixe et 100 variable), à une seule pompe fournissant 200 m3/h à 5 bars. Une réduction de pression qui nous a permis d’abaisser la puissance du compteur de 108 à 60 kVa, observent les exploitants. De quoi faire de sérieuses économies, même si nous bénéficions d’un prix de l’électricité négocié avant la hausse, de 50 euros/MWh jusqu’en 2024. Mais dès 2025, il passera à 100 euros. Et il nous reste encore une marge de progression en ajoutant un variateur de fréquence sur la pompe. »
Le grand pivot, constitué de six travées de 54 mètres, une travée de 61 m, complété par un corner de 88 m terminé par un canon d’extrémité, a la particularité d’intégrer la technologie VRI donnant accès à l’irrigation à dose variable. « Le pivot arrose cinq parcelles impossibles à découper en camembert, il traverse des chemins et contourne une habitation. Le corner était donc indispensable pour maximiser la surface couverte », illustre Maxime Morel. « L’exploitation disposant d’un historique de volume d’eau assez limité (104 000 m3), je voulais éviter le plus possible les gaspillages, en apportant la bonne dose au bon endroit en fonction des cultures et des différentes zones de terres. La VRI cochait ainsi toutes les cases pour répondre aux objectifs », complète son père.
Les asperseurs pilotés individuellement
Afin de mettre en œuvre cette modulation de l’irrigation, le pivot Lindsay dispose d’une seconde armoire de commande dédiée à la VRI. Celle-ci communique en liaison radio avec 50 boîtiers installés sur toute la longueur du pivot (y compris le corner), chacun d’entre eux pilotant individuellement les électrovannes d’ouverture/fermeture de quatre asperseurs. La position du pivot, et donc de chaque asperseur, est connue précisément, grâce à un capteur d’angle et à des antennes GPS montées à l’extrémité du pivot, mais aussi sur le corner, dont la trajectoire est pilotée par GPS. Le pivot module ainsi l’apport d’eau en faisant varier la vitesse d’avancement, mais aussi le temps d’ouverture de chaque asperseur. « La coupure individuelle des buses permet de suivre précisément le contour des parcelles. Pour les chemins et fossés, sachant qu’un arroseur travaille sur une largeur de 7 mètres, on coupe à l’axe de ceux-ci. »
Si les 40 asperseurs du corner sont pris en charge par la VRI, le canon d’extrémité reste en revanche indépendant. « C’est le seul gros point d’amélioration, car les 15-20 mètres couverts par le canon n’apparaissent pas dans la VRI. Et comme l’angle du corner est différent de celui du pivot, il faut intervenir sur les réglages du canon à chaque nouveau tour d’eau », regrette Maxime Morel.
Une mise en œuvre assistée par Arvalis
Pour piloter la VRI, les deux agriculteurs se servent principalement de l’application FieldNet sur smartphone. « L’armoire de gestion de la VRI dispose aussi d’un grand écran tactile, mais on s’en sert uniquement quand on vient au pied du pivot. Dans tous les cas, il est regrettable que l’affichage ne soit pas traduit en français. » La mise en œuvre de la modulation a été grandement facilitée par l’accompagnement d’Arvalis qui a déterminé le zonage et qui ajuste chaque semaine les cartes d’application (voir encadré). Philippe et Maxime Morel n’ont ainsi qu’à sélectionner la bonne carte avant chaque tour d’eau, puis l’électronique fait le reste. « On rentre la dose la plus forte quand les buses sont à 100 % ouvertes et le système module ensuite la dose en séquençant l’ouverture des buses et en ajustant la vitesse du pivot en fonction du pourcentage d’eau qui passe dedans », expliquent les agriculteurs.
200 euros par hectare pendant 10 ans
Les résultats obtenus sont concluants. « En 2022, avec un été particulièrement sec, nous avons atteint un rendement moyen de 120 quintaux/ha sur les 30 hectares de maïs avec 9 tours d’eau pour un apport total de 212 mm/ha sur les sols de graviers, 138 mm sur les sols sableux et 108 mm sur les sols de marais. À noter que pour éviter de faire tourner le pivot lors de journées extrêmement chaudes, nous avons parfois préféré apporter une dose de 40 mm en deux passages de 20 mm, de manière à faire un tour de pivot plus rapide en quatre jours. Sur les 10 hectares de soja semence, le rendement a atteint 50 quintaux/ha avec 9 tours d’eau à 25 mm, car l’expérimentation d’Arvalis n’a porté que sur le maïs l’an dernier. Et c’est cette année que l’on va moduler pour le soja. » Les bienfaits du pivot ont en revanche été beaucoup moins concluants pour les 23 hectares de blé arrosés par cinq tours à 30 mm, « mais cela ne venait pas de l’irrigation : la variété s’est avérée inadaptée pour une conduite en bio et la fiente épandue n’a pas été assimilée ». Le temps sec de cet hiver ne fait que conforter l’investissement de Philippe Morel, qui représente, une fois les aides déduites, une charge de 200 euros par hectare pendant 10 ans.
Chiffres clés
180 ha de SAU
1 pivot de 65 ha avec VRI
1 pivot de 11 ha
104 000 m3 de quota d’eau
196 000 euros d’investissement en 2019 (165 000 pour le gros pivot)
44 000 euros d’aides
Zonage des sols et suivi de l’irrigation par Arvalis (1)
Les parcelles arrosées par le pivot ont des sols hétérogènes allant de graviers superficiels à profonds, puis, en s’approchant d’un cours d’eau, apparaissent des zones intermédiaires plus sableuses, et même des zones tourbeuses qualifiées de sols de marais. À partir d’une quarantaine d’analyses de sol, de trois profils culturaux et de mesures de résistivité réalisés par Be-Api en partenariat avec la coopérative Oxyane, Arvalis a pu mettre en évidence cinq zones de terres différentes. Certaines étant trop proches pour gérer l’écart de pluviométrie, l’institut technique a fait le choix de n’en retenir que trois pour établir les cartes de modulation, en fonction de chaque culture. Le pilotage de l’irrigation et la vérification des quantités d’eau réellement apportées sont mis en œuvre à l’aide de 3 jeux de sondes tensiométriques, 6 pluviomètres connectés et 19 pluviomètres à lecture manuelle installés sur un transect de la parcelle permettant de couvrir les trois types de sols différents. La zone étudiée pour la VRI se concentrait sur le maïs en 2022 et concerne cette saison le soja. « Ce suivi très précis nous a notamment été utile pour valider le bon fonctionnement de la VRI et globalement, le pivot a appliqué les bonnes doses sur chaque zone. »
Un corner guidé par GPS
Baptisée corner, l’extension de 88 mètres, raccordée en bout de pivot par une articulation, optimise la surface irriguée, en suivant ses contours irréguliers (route, chemin, fossé, haie, zone d’habitation…). À partir d’une cartographie de la zone concernée, le constructeur définit la longueur optimale des travées et du corner. Une fois l’installation réalisée, un arpentage est effectué en faisant avancer l’ensemble à faible vitesse. Ce géoréférencement des trajets du pivot et du corner autorise ensuite un guidage RTK très précis, mais aussi une connaissance fine de la position des asperseurs pour la mise en œuvre de la modulation. La trajectoire du corner est contrôlée par deux roues motrices et directrices.