Aller au contenu principal

Irrigation : sécuriser son investissement dans un forage

L’accès à l’eau pour l’irrigation est plus que jamais d’actualité. Mais devenir irrigant par le biais d’un forage pour un prélèvement en nappe ne s’improvise pas. Tour d’horizon des points clés à avoir en tête pour faire mûrir son projet.

Réaliser un pré-forage permet de sécuriser l'investissement dans l'installation d'un système d'irrigation par prélèvement en nappe.
Réaliser un préforage permet de sécuriser l'investissement dans l'installation d'un système d'irrigation par prélèvement en nappe.
© H. Challier

Avec le changement climatique, l’accès à l’eau en agriculture devient un enjeu de taille. Que ce soit pour faire lever un colza en cas de sécheresse, diversifier son assolement avec une culture à forte valeur ajoutée ou sécuriser son rendement en céréales en période de stress hydrique, l’irrigation devient gage de rentabilité.

Pour autant, investir dans un forage pour l’irrigation ne s’improvise pas, tout comme devenir irrigant. La réflexion démarre avec la définition de l’objectif même du projet. « L’un des premiers réflexes est de s’interroger sur l’intérêt économique de l’investissement, souligne Jacques Blarel, responsable du pôle agroenvironnement au sein de la chambre d’agriculture du Nord-Pas de Calais. Il faut se demander quelles cultures seront irriguées, sur quelle surface. L’objectif est-il de conforter l’existant ou d’amener de nouveaux contrats avec de nouvelles cultures ? »

Augmenter son potentiel de transmission

Pour certains agriculteurs, la possibilité d’irriguer les cultures est à rapprocher du potentiel de transmission de l’exploitation agricole. « Les exploitations avec un accès à l’eau ont plus de chance d’être reprises » : telle est la conclusion d’Agreste tirée du dernier recensement agricole de 2020 en Centre-Val de Loire, deuxième région de France en superficie irrigable, après la Nouvelle-Aquitaine. Pour Patrice Denis, technicien irrigation au sein de la chambre d’agriculture d’Alsace, l’intérêt suscité par les forages pour l’irrigation ne fait aucun doute. « L’accès à l’eau pour irriguer donne la possibilité de cultiver d’autres productions, comme les légumes ou les pommes de terre, confirme le conseiller. C’est un atout quand il s’agit de transmettre l’exploitation. »

Si la création d’un forage pour l’irrigation des cultures apporte une nouvelle dynamique aux exploitations agricoles, encore faut-il s’interroger sur la disponibilité de la ressource en eau sur un territoire donné. « L’idée est de prospecter sur ce qui existe déjà, conseille Jacques Blarel. La cartographie et les données du BRGM permettent ainsi de cibler les secteurs les plus productifs. »

L’intervention d’un hydrogéologue peut être un bon moyen de s’informer sur le contexte du territoire sur lequel on est situé. « Le contexte géologique, en fonction de la nappe souterraine et ses caractéristiques, va être mis en parallèle avec les besoins en eau du porteur de projet, développe Ludivine Chatevaire, conseillère eau et environnement à la chambre d’agriculture du Loiret. La question de l’incidence d’un nouveau forage sur la nappe, et donc sur les autres forages existants, va également être soulevée. Des contraintes peuvent également apparaître dans les zones de captage en eau potable. »

Tensions autour des usages de l’eau

La création d’un nouveau forage ne peut se faire sans la prise en compte des aspects réglementaires. Dans le cadre du code de l’environnement, les prélèvements en eau sont soumis à autorisation ou déclaration en fonction des volumes prélevés sur la ressource. Dans certains secteurs, les nouveaux forages sont par ailleurs interdits. Les tensions autour des usages de la ressource en eau peuvent également mettre en péril les nouveaux projets de forage. Ces derniers impliquent de lourds investissements, qui supposent un risque économique dans un contexte réglementaire restrictif, avec des délais qui peuvent remettre en question l’issue du projet.

À titre d’exemple, pour Corentin et Magalie (1), couple d’agriculteurs fraîchement installé en Beauce souhaitant diversifier son assolement, il aura fallu trois années, entre le dépôt de la demande de prélèvement auprès de la Direction départementale des territoires (DDT) et la mise en route effective, en 2023, de la rampe prévue pour irriguer une soixantaine d’hectares. Le premier frein rencontré étant la contrainte réglementaire liée à la zone géographique ciblée pour accueillir le forage, au sein d’un périmètre soumis à ses tensions entre les besoins en eau potable de l’agglomération voisine et ceux des agriculteurs irrigants.

 

 
Irrigation : sécuriser son investissement dans un forage

« Investir dans l’irrigation ce n’est pas comme un tracteur, c’est très stressant, témoigne le couple. Entre les délais, liés aux rebondissements administratifs auxquels nous avons été confrontés, et ceux des foreurs, nous avons dû négocier avec les banques pour mettre les prêts en stand-by. Nous avons également obtenu du concessionnaire une mention sur le devis pour conditionner l’achat du matériel à la réalisation effective du forage. » Une précaution qui peut s’avérer salvatrice face à l’aboutissement incertain, pour des raisons administratives ou techniques, de ce type de projet. Concernant les deux agriculteurs de la Beauce, l’investissement total s’élève à 300 000 euros (dont 90 000 euros) pour le forage avec un amortissement sur 15 ans.

Le choix de la zone à forer a également son importance. « On va d’instinct s’orienter sur la parcelle à irriguer, or il peut s’avérer intéressant de s’éloigner pour avoir plus de débit, illustre Patrice Denis. Parallèlement, il faut tenir compte du raccordement et des coûts qu’il induit en fonction de la situation du transformateur. » Certains agriculteurs font ainsi appel à des sourciers, qui livrent une indication sans fondement scientifique sur la profondeur et le débit. Pour les parcelles situées en dehors des nappes, il est également conseillé de réaliser un préforage. Ce dernier a par exemple coûté plus de 10 000 euros à Corentin et Magalie.

5 000 à 50 000 euros pour un forage

Le choix du foreur est lui aussi primordial : de lui va dépendre la réussite du projet. « Il faut faire attention aux offres de forage et être vigilant par rapport au diamètre intérieur, prévient Patrice Denis. L’idée est de ne pas se laisser tenter par une réduction du diamètre. La pompe doit également être adaptée aux dimensions du forage. Il faut pouvoir décortiquer les devis car l’investissement dans le forage est conséquent ! En Alsace, cela peut aller de 280 à 300 euros le mètre pour les plus simples, et entre 800 et 1 000 euros le mètre pour les plus profonds. Ce tarif comprend le forage et les tests de débit, mais pas la pompe. »

Le calibrage du forage et le choix de la pompe sont liés au projet de l’agriculteur et à ce qu’il compte irriguer. « Dans les Landes, selon l’aquifère, il faut débourser entre 5 000 et 50 000 euros pour un forage, prévient Julien Rabe, de la chambre d’agriculture. Il faut donc réaliser un vrai business plan pour vérifier que la marge brute potentielle permise par l’irrigation des productions visées va permettre d’absorber les coûts d’investissement. En nappe de surface, l’investissement est souvent supportable, y compris pour la production de céréales. En aquifère profond, il faut une production à forte valeur ajoutée pour amortir. On déconseille les forages de ces nappes captives pour des raisons économiques mais aussi pour l’avenir de la ressource en eau. »

Un projet de forage se raisonne à différentes échelles : celle de l’exploitation agricole et de ses orientations, sa rentabilité, mais aussi au niveau territorial en fonction du cadre réglementaire actuel et à venir.

Enrouleur, rampe ou pivot ?

Le choix de l’équipement va interférer dans l’approche du projet dans sa globalité. « Le calibrage de la pompe n’est pas le même selon le matériel d’irrigation, que ce soit un pivot, un enrouleur, ou un goutte-à-goutte », considère Patrice Denis, technicien irrigation au sein de la chambre d’agriculture d’Alsace. Avant de choisir son matériel, il est nécessaire de se poser les bonnes questions. Les cultures irriguées sont-elles adaptées à ce type d’arrosage ? La parcelle est-elle adaptée, notamment dans le cas d’une rampe ? La valorisation escomptée est-elle suffisante pour faire face à l’investissement ? Il faut aussi évaluer les charges prévisionnelles en fonction du choix du matériel, et notamment le coût lié à l’énergie.

Des bonnes pratiques d’irrigation dans le viseur

« Pour ceux qui se lancent, il faut avoir conscience que le grand public a les yeux pointés sur les irrigants », prévient Marie-Paule Poillion, conseillère à la chambre d’agriculture de l’Aube. Une charte des bonnes pratiques d’irrigation a ainsi été mise en place dans ce département, afin de communiquer sur les bons réflexes en matière d’irrigation. Il s’agit notamment du recours à des outils d’aide à la décision pour adapter l’arrosage aux besoins réels des cultures, dans un souci d’économiser la ressource en eau. Enfin, la charte incite les agriculteurs à communiquer auprès des riverains sur la valorisation permise par l’irrigation.

 (1) Les prénoms ont été modifiés

Les plus lus

Corentin Denis, agriculteur à La Celle-Saint-Cyr (Yonne)
Orge de printemps : « J'obtiens une marge brute plus élevée en la semant à l'automne »

Agriculteur à La Celle-Saint-Cyr (Yonne), Corentin Denis compte semer toutes ses orges de printemps à l'automne avec l'espoir…

%agr
Récolte du maïs grain : des chantiers humides, qui peinent à avancer

Au 14 octobre, seules 13 % des surfaces en maïs grain étaient récoltées contre 67 % à la même date en 2023.…

Gabriel Colombo, chef de cultures au lycée agricole Vesoul Agrocampus"Nous avons obtenu un rendement de 68,9 q/ha avec un bon calibrage (93) de même qu’un taux de ...
Orge de printemps : « un semis à l’automne est une option après tournesol à la place d'une orge d'hiver »
Chef de cultures au lycée agricole Vesoul Agrocampus, Gabriel Colombo a testé l'orge de printemps semée à l'automne, avec un gain…
<em class="placeholder">Mathieu Beaudouin est agriculteur à Évry-Grégy-sur-Yerre, en Seine-et-Marne.</em>
Mauvaises récoltes 2024 : « On rogne sur notre rémunération et sur l’entretien du matériel, faute de trésorerie suffisante »
Mathieu Beaudouin est agriculteur à Évry-Grégy-sur-Yerre, en Seine-et-Marne. Il témoigne de ses difficultés depuis un an liées…
<em class="placeholder">Agriculture. Semis de blé. tracteur et outil de travail du sol à l&#039;avant. agriculteur dans la cabine. implantation des céréales. lit de semences. semoir Lemken. ...</em>
Semis tardif de céréales : cinq points clés pour en tirer le meilleur parti

Avec une météo annoncée sans pluie de façon durable, un semis tardif de blés et d'orges dans de bonnes conditions de ressuyage…

[VIDÉO] Dégâts de grand gibier : une clôture bien installée pour protéger le maïs des sangliers

Agriculteur à Saint Fuscien dans la Somme, Valère Ricard a pu recourir aux services de la fédération des chasseurs de son…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 90€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Grandes Cultures
Consultez les revues Réussir Grandes Cultures au format numérique sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce à la newsletter Grandes Cultures