Chanvre : « Avec notre usine, nous captons la valeur ajoutée et dynamisons le territoire »
En Seine-et-Marne, une filière locale de chanvre bâtie par douze agriculteurs s’attache à créer de la valeur sur les exploitations mais aussi sur le territoire.
En Seine-et-Marne, une filière locale de chanvre bâtie par douze agriculteurs s’attache à créer de la valeur sur les exploitations mais aussi sur le territoire.
« Comment dynamiser notre territoire et capter de la valeur ajoutée dans nos productions ? » C’est sur cette réflexion doublement exigeante que douze agriculteurs de Seine-et-Marne ont créé Planète chanvre, il y a treize ans. Au fil des années, ils ont appris à cultiver une plante qui avait disparu du paysage depuis des dizaines d’années. Mais aussi à la transformer et à la vendre. Aujourd’hui, Planète chanvre mobilise une centaine d’agriculteurs dans un rayon de 40 km autour de son siège d’Aulnoy, entre Meaux et Coulommiers. Un ancrage territorial auquel tient le président de l’entreprise, Franck Barbier, agriculteur dans la commune voisine.
L’entreprise transforme chaque année 5000 tonnes de chanvre et a bâti une véritable filière locale. Le chanvre est utilisé pour de nombreux usages : isolation des bâtiments, paillage des massifs de fleurs, litière pour les chevaux et les petits animaux… Dans le chanvre, presque toute la plante peut être valorisée, qu’il s’agisse de la graine (chènevis), de la fibre, ou de la tige ligneuse (chènevotte). On retrouve ainsi la fibre dans des habitacles de voitures, et la graine en alimentation humaine et en cosmétiques.
« La culture du chanvre préserve les ressources en eau et favorise le développement de l’économie régionale, insiste Franck Barbier. Grâce à l’implication de tout notre personnel et aux investissements techniques, nous avons acquis un savoir-faire reconnu pour la qualité des produits sortant de notre ligne. » L’usine de défibrage tourne en trois huit avec 14 emplois directs, auxquels s’ajoutent les saisonniers au moment de la récolte. Pourtant, « au départ nous imaginions envoyer notre production en Allemagne, raconte l’agriculteur-entrepreneur. Mais nous avons eu l’opportunité d’acheter une ligne de défibrage et de l’installer chez nous ». Dès lors, la recherche de valeur ajoutée et de débouchés locaux a guidé l’entreprise. Cela a imposé des investissements conséquents. En septembre 2020, une unité de transformation du chènevis pour l’industrie alimentaire et la cosmétique, comprenant séchoir et cellules d’allotement, est entrée en service.
L’objectif de cette chaîne est de préserver les qualités nutritives des graines, réputées riches en oméga 3, pour mieux les valoriser. Montant de l’investissement, soutenu par la Région et l’Agence de l’eau Seine Normandie : 1,6 million d’euros. Déjà, au lancement de l’aventure, il avait fallu engager des sommes importantes pour installer la ligne de défibrage en Seine-et-Marne et acquérir les moissonneuses-batteuses spécifiques, dotées de bec Kember, dont le débit de chantier ne dépasse pas 1,3 hectare de l’heure. Pour assurer la qualité de la récolte et un débit constant, l’entreprise a investi dans trois machines. Elles fauchent chaque année l’intégralité des 1000 hectares cultivés.
Plus récemment, en mai 2021, Planète Chanvre s’est également associée à cinq professionnels de la construction en Île-de-France pour inaugurer la première usine d’Europe produisant des murs préfabriqués en béton de chanvre. « La chènevotte est mélangée à de la chaux pour constituer le béton de chanvre dans une ossature bois », précisent les porteurs du projet. L’ambition est d’apporter une solution locale et biosourcée aux constructeurs franciliens pour stocker du carbone et répondre aux nouvelles réglementations.
Investir dans des marchés exigeants mais rémunérateurs
L’État et la région Île-de-France ont apporté leur soutien au dossier. « Nous investissons d’autres sujets comme les fibres textiles et le remplacement du plastique dans les emballages. Ces marchés sont exigeants mais nous sommes en mesure d’y répondre. La demande est réelle et les perspectives de développement sont énormes », affirme Franck Garnier. Grâce à ces développements, Planète chanvre espère accroître la part de ses débouchés de proximité. Aujourd’hui, une part de la production transformée est encore expédiée en Allemagne, où les utilisations sont nettement plus massives qu’en France. La chènevotte, notamment, y part en petit conditionnement sous la marque Bafa.
Le regain d’intérêt en France pour les produits à base de chanvre, notamment les biomatériaux, leur donne de réelles perspectives. L’entreprise envisage de multiplier sa production par deux à partir de la campagne 2023, et d’investir dans un nouvel outil industriel. Elle cherche pour cela des agriculteurs soucieux de diversifier leurs productions dans un rayon de 50 à 100 km autour de l’usine. « Nous proposons aux agriculteurs franciliens qui nous connaissent de cultiver plus de chanvre, et à ceux qui ne nous connaissent pas de nous rejoindre », détaille Franck Garnier.
L’un des enjeux est d’améliorer la valeur ajoutée des produits transformés afin de mieux rémunérer les agriculteurs à la tonne de chanvre. À l’heure où le prix du blé tutoie les 300 euros la tonne et le colza les 700 euros la tonne, les arguments pour convaincre les producteurs de cultiver cette plante sont l’accès à la valorisation du carbone et l’atteinte de la certification HVE. Mais la marge d’une année ne fait pas tout : « cultiver du chanvre sur 10 % de sa surface permet d’améliorer l’impact de l’agriculture sur l’environnement et de lisser son revenu. Il ne faut pas raisonner à court terme : il y aura d’autres années noires en céréales ».
Grâce à ses atouts écologiques et agronomiques, le chanvre a une carte à jouer. Sa racine pivot améliore la structure des sols, et c’est une excellente tête de rotation : il majore de 7 à 8 quintaux à l’hectare le rendement du blé suivant. Dans des rotations courtes, l’ajout d’une telle culture contribue à maîtriser les graminées résistantes. Surtout, le chanvre est insensible aux maladies, tolérant à la sécheresse, ne connaît pas de ravageurs et son port étouffe les adventices. Aucun traitement herbicide, insecticide ou fongicide n’est à prévoir. En combinant création de valeur ajoutée, environnement et développement local, Planète chanvre veut démontrer que les agriculteurs sont de vrais acteurs du tissu économique.
CLÉMENT BIZOUARD, cabinet Bizouard, membre du groupement AgirAgri
La forme juridique de la SAS a séduit les associés par sa simplicité de fonctionnement
«Nous avons la chance d’accompagner le projet des agriculteurs de Planète chanvre depuis sa création. Il s’agit d’un projet atypique comme on en rencontre peu. Les agriculteurs à l’initiative du projet se sont associés pour construire une filière durable, conciliant environnement et économie, qui crée des emplois et génère de la valeur ajoutée en Seineet-Marne. C’était un pari risqué car ils n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble et se posaient la question de la maîtrise du projet industriel. Grâce à leur assise patrimoniale et un business plan solide, ils se sont assuré un soutien bancaire et ont créé une filière de toutes pièces.
Notre travail a notamment porté sur l’élaboration du business plan et la recherche de financements. Nous les avons également conseillés dans la structuration juridique de l’entreprise. L’entité est une société par action simplifiée (SAS). Chacun est associé de la société et responsable pécuniairement à la hauteur de ses apports. Cette forme juridique a séduit les associés par sa simplicité de fonctionnement. Les statuts d’une SAS sont plus souples que ceux d’une coopérative mais l’état d’esprit d’origine était le même. La segmentation des différentes activités de transformation en autant d’entités juridiques distinctes permet de limiter les risques en cas de défaillance et d’intégrer de nouveaux investisseurs.
Aujourd’hui, l’activité de Planète chanvre est stabilisée et notre rôle se cantonne au suivi comptable et social classique. La rentabilité de l’entité est encore perfectible mais la valeur ajoutée bénéficie aux producteurs qui contractualisent. S’ils trouvent leurs marchés, les projets en cours permettront de passer à la vitesse supérieure.»