Agriculture et environnement
Gaz à effet de serre : le paradoxe agricole
Agriculture et environnement
Le lien entre les gaz à effet de serre et l´agriculture est à la fois celui de cause, d´effet et de solution. Gros plan sur une relation à plusieurs facettes.
Bourreau ? Victime ? ou remède ? La relation de l´agriculture et de l´effet de serre est complexe. Tantôt montrée du doigt en tant qu´activité émettrice de gaz à effet de serre (GES), tantôt considérée comme un outil pour réduire les émissions, elle est aussi sur la sélette. Elle sera en effet l´une des premières activités touchées si le changement climatique s´affirme.
La contribution globale de l´agriculture aux émissions de gaz à effet de serre est de 18 % et devrait s´accroître de 0,3 % à l´horizon 2010 en l´absence de mesures nouvelles selon les chiffres 2001 du Centre interprofessionnel technique d´études de la pollution atmosphérique (Cetipa). Elle est surtout le fait de l´émission de méthane (CH4) ; 55 % des émissions françaises totales pour ce gaz sont issues de l´agriculture, l´élevage étant la source quasi exclusive. Ce gaz provient de la fermentation entérique des ruminants et des déjections animales.
74 % des émissions d´oxyde nitreux sont dues aux cultures
Concernant l´oxyde nitreux (N2O), l´agriculture française contribue à hauteur de 74 % des émissions nationales. Le secteur responsable de ces émissions sont les cultures. En effet, l´utilisation systématique d´engrais azotés minéraux et l´épandage de lisier ont intensifié le phénomène de nitrification (transformation de l´azote ammoniacal en azote nitrique) et de dénitrification (transformation inverse de la nitrification) dans les sols cultivés, provoquant l´émission de N2O. Enfin, la part de la ferme française aux émissions de dioxyde de carbone (C02) est minime (11 %) comparé à celle des transports et de l´industrie. Elle est issue principalement de la combustion de l´énergie fossile par les moteurs des engins agricoles.
De part son lien étroit avec la nature, l´agriculture sera influencée par un réchauffement climatique.
Tableau - Les engrais constituent la principale source d´émission de gaz à effet de serre.
Les zones de production devraient se déplacer
Selon les prévisions des experts, les zones de production devraient se déplacer vers le Nord sous l´effet de l´élévation de la température. L´augmentation de la concentration en CO2 accentuerait la croissance des plantes, particulièrement celle des plantes « en C3 » (blé, orge,...). Cela aurait pour effet d´augmenter les rendements de l´ordre de 0,13 à 0,20 tonne par hectare et par décennie pour le blé d´hiver. Une augmentation qui pourrait être annihilée par des grêles estivales plus fréquentes... Le cycle de végétation serait raccourci pour les céréales. Il sera possible d´intervenir sur ce phénomène grâce à la sélection variétale. D´autres changements pourraient avoir lieu à l´instar d´une modification du parasitisme et d´une migration des adventices du milieu subtropical et méditerranéen vers les régions continentales.
Plan de lutte contre le changement climatique
Les pays cherchent à éviter ces phénomènes. Le protocole de Kyoto, dont les modalités d´application sont en négociation depuis 1997, fixe des objectifs de réduction des GES. La France s´est engagée à stabiliser ses émissions pour la période 2008-2012 à leur niveau de 1990 à travers son « plan de lutte contre le changement climatique ». Le protocole souligne l´importance de la promotion d´une agriculture durable pour réduire les émissions. C´est dans ce sens que la majeure partie des solutions d´abaissement des émissions sont recherchées.
« En dépit des travaux de recherche lancés en 1993, les connaissances dans le secteur agricole restent imparfaites », annonce le Programme national de lutte contre le changement climatique (PNLCC, janvier 2000) qui prévoit les mesures visants à stabiliser les émissions françaises. A dessein de parer à ce manque de connaissances, un programme de recherche, AgriGES (Agriculture et gaz à effet de serre) a été mis en place sur la période 1992/1998.
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Légende - Les techniques simplifiées du travail du sol sont un moyen efficace de réduire les émissions d´oxyde nitreux.
Une redevance azote assise sur le bilan matière
En matière de réduction des émissions de N2O, « le gouvernement s´oriente vers la mise en place d´une redevance sur les excédents d´azote minéral et organique, assise sur le bilan matière par exploitation », selon le PNLCC. Certains experts s´avouent sceptiques quant à la réelle efficacité de la redevance azote. « Celle-ci me paraît mieux adaptée à réduire le taux de nitrate dans les rivières et ainsi lutter contre l´eutrophisation », explique Alain Perrier qui a dirigé le programme Agriges. Pour lui, la solution passe par une réelle baisse de l´utilisation des engrais azotés.
L´agriculture s´avère être l´un des moyens utiles pour le stockage du carbone. Grâce au mécanisme de la photosynthèse, les plantes absorbent le CO2 et constituent ainsi un « puits de carbone ». Plusieurs moyens existent pour améliorer les quantités stockées. Il est possible de reboiser les terres agricoles ainsi que de remplacer les surfaces cultivées par des surfaces toujours en herbe. Le travail simplifié du sol contribue aussi au stockage, en limitant le processus de déminéralisation de la matière organique.
1,5 à 2 millions de tonnes de carbone stockées par an dans le monde
Selon Dominique Arrouays, directeur de l´Unité Infosol à l´Inra, ce puits de carbone représente, au niveau mondial, entre 1,5 et 2 millions de tonnes de carbone par an, principalement situé dans l´hémisphère Nord.
« Cette fonction de puits est à prendre avec précaution », insiste Dominique Arrouays. Il ne s´agit uniquement que d´une solution temporaire. « Ce puits ne permet de limiter l´augmentation de dioxyde de carbone atmosphérique que pendant la période transitoire d´augmentation des stocks », poursuit-il. D´autre part, il est nécessaire de s´assurer de la pérennité du stockage. Un retournement d´une prairie permanente annule tous les efforts de stockage jusque-là réalisés. De même, un labour après plusieurs années de semis direct peut être à l´origine de la réémission totale du stock constitué. Il est cependant souvent nécessaire de labourer suite à un envahissement de mauvaises herbes ou la formation d´ornières profondes lors d´une récolte en mauvaises conditions.
L´augmentation de la biomasse végétale améliore le stockage
Des essais nord-américains de longue durée ont montré que l´augmentation de biomasse végétale, liée au développement de la fertilisation et à l´amélioration des variétés, améliore le stockage de matière organique. Cet effet serait de 500 kilos de carbone par hectare et par an sous monoculture de blé et de 1 500 kilos annuels par hectare sous une rotation de céréales et de légumineuses(1). Ces résultats n´ont cependant pas été confirmés en Europe. Dominique Arrouays s´avoue sceptique sur la possibilité de trouver des résultats concordants : « Il est fort peu probable que nous trouvions des résultats comparables en Europe à cause des conditions pédologiques qui diffèrent. »
(1) Buyanovsky et Wagner cités par Jean-Claude Germon, 1998, « Le rôle régulateur du sol dans le changement climatique » , « Le Courrier de l´Environnement » de l´Inra, nº 35, novembre 1998.
300 000 hectares pour produire des bio-carburants
L´agriculture sert aussi à nettoyer les pots d´échappement des voitures. En France 300 000 hectares de betteraves et de blé sont cultivés pour produire des biocarburants. Ces derniers permettraient de réaliser une économie de 900 000 tonnes équivalent CO2. Les engagements par l´État en septembre 2000 pour la promotion de la filière bio-éthanol devraient permettre d´atteindre une économie de 1,133 million de tonnes équivalent CO2.
Bourreau. Victime. Et remède. L´agriculture a un rôle à saisir en matière de lutte contre l´effet de serre. Des solutions autres que celles d´agriculture durable sont proposées par des experts et se promènent sur les lèvres bruxelloises. En particulier celle de diminuer la consommation de viande, de lait et de produits laitiers. Solution ayant pour conséquence une immanquable baisse de la méthanisation mais aussi de la production animale et végétale...
Jean-Marc Jancovici, ingénieur indépendant issu de l´École polytechnique, explique cette position par une comparaison : « Un fumeur sait que sa pratique est néfaste à sa santé. Il sait aussi que s´arrêter lui demande un effort. Il faut savoir choisir la moins périlleuse des solutions. »