Engrais azotés bas carbone : c'est pour quand et à quel prix ?
Le processus de production des engrais minéraux azotés est fortement émetteur de CO2. Il faut donc le décarboner pour fabriquer des engrais dits bas carbone. Quelles sont les technologies utilisées ? Comment les fabricants d’engrais s’emparent-ils du sujet ? À quels prix ces engrais sont-ils vendus aux agriculteurs ? Réponses.
Le processus de production des engrais minéraux azotés est fortement émetteur de CO2. Il faut donc le décarboner pour fabriquer des engrais dits bas carbone. Quelles sont les technologies utilisées ? Comment les fabricants d’engrais s’emparent-ils du sujet ? À quels prix ces engrais sont-ils vendus aux agriculteurs ? Réponses.
Un engrais minéral bas carbone est un engrais dont la composition chimique et physique est la même que celle des engrais classiques, mais dont l’empreinte carbone à la production est beaucoup plus faible. Le prix de ces engrais est aujourd’hui deux à trois fois plus élevé que ceux des engrais minéraux classiques car leur production nécessite des technologies compliquées à mettre en œuvre et très coûteuses. « L’ammonitrate décarboné, c’est 100 €/ha de plus que l’ammonitrate classique et 200 €/ha de plus que la solution liquide », indique Antoine Fournaise, responsable engrais au sein de la coopérative Vivescia.
Une production d’ammoniac fortement émettrice de CO2
L’ammoniac est la matière première commune de tous les engrais minéraux azotés. Sa production industrielle se fait principalement par le procédé Haber-Bosch, qui combine l’azote de l’air (N₂) à de l’hydrogène (H₂) sous haute pression et température, en présence d’un catalyseur, pour produire de l’ammoniac (NH₃). La production d’hydrogène nécessaire à ce processus est en grande majorité réalisée par extraction chimique depuis des combustibles fossiles, principalement du gaz naturel (méthane CH4). Elle est à l’origine d’importantes émissions de gaz à effet de serre. L’ammoniac est ainsi l’un des produits industriels les plus émetteurs de dioxyde de carbone (CO2), à environ 2,4 tonnes CO2eq par tonne d’ammoniac produite, soit deux fois plus que l’acier et quatre fois plus que le ciment. Sa production dégage aussi du protoxyde d’azote (N2O), un autre puissant gaz à effet de serre. Pour ce dernier, les émissions ont été réduites par l’installation de catalyseurs sur les sites de production d’engrais.
Concernant les émissions de CO2, un premier progrès a été réalisé en passant du charbon (production d’ammoniac noir) au gaz naturel (ammoniac gris) comme source d’énergie, ce qui a permis de diviser par deux les émissions produites, à 10 kg CO2eq/kg d’hydrogène (kgH2), pour les unités de production les plus performantes. « Aujourd’hui, l’essentiel de la production mondiale d’ammoniac est dite grise », explique Michaël Lepelley, directeur marketing et agronomie chez le fabricant d’engrais Yara qui s’attele à développer la production d’engrais bas carbone sur ses sites de production en investissant sur toutes les technologies existantes pour réduire à terme leurs coûts de revient.
Utiliser les énergies renouvelables pour produire de l’ammoniac bas carbone
Il est techniquement possible de produire de l’ammoniac sans émettre de gaz à effet de serre, via l’utilisation d’hydrogène décarboné. Cette solution s’appuie sur la fabrication d’hydrogène par l’électrolyse de l’eau, avec un apport d’électricité renouvelable qui peut être d’origine photovoltaïque, éolienne ou hydroélectrique. L’hydrogène produit sert ensuite de matière première pour la fabrication d’un ammoniac dit vert. L’hydrogène peut être aussi produit via une électrolyse alimentée par l’énergie nucléaire, l’ammoniac est dit rose. Ces procédés permettent d’atteindre des émissions très faibles, inférieures à 1 kg CO2eq par kgH2 produit. Michaël Lepelley explique que l’électrolyse de l’eau est une technique de production ancienne, qui a été mise à l’écart à la naissance des engrais minéraux car les techniques utilisant les énergies fossiles étaient plus simples, avec un meilleur rendement de production et un meilleur coût. Yara investit aujourd’hui sur cette technique : son usine d’Herøya en Norvège dispose depuis le mois de juin 2024 d’un électrolyseur alimenté par de l’hydroélectricité (le plus important électrolyseur d’Europe en opération), ce qui permettra de réduire les émissions du site de 40 000 t CO2/an, indique le directeur agronomie.
Liquéfier et stocker le CO2 émis à la production d’ammoniac
Il va être difficile et coûteux de déployer à court et moyen terme les capacités de production d’électricité renouvelable et d’électrolyse nécessaires à la décarbonation des quantités d’ammoniac consommées par l’industrie des engrais. Pour pallier cela, les industriels ont développé des solutions de production d’ammoniac utilisant toujours les ressources fossiles, mais couplées à un système de captage des émissions de CO2, destinées à être stockées (CCS), ou réutilisées par d’autres activités industrielles (CCU). L’ammoniac fabriqué via ces procédés est appelé ammoniac bleu. Les dernières évaluations montrent que les technologies permettent de réduire les émissions à un niveau de 4 à 6 kgCO2eq/kgH2. Michaël Lepelley explique que le site Yara de Sluiskil aux Pays Bas est entrain de réaliser les transformations nécessaires pour liquéfier chaque année 800 000 tonnes de CO2 issu de sa production d’ammoniac puis l’expédier à Øygarden en Norvège où il sera injecté à 2 600 m de profondeur sous la mer dans des zones aquifères salines. Pour cela, Yara a signé en 2023 un accord commercial de transport et de stockage de CO2 avec Northern Lights, le premier accord de CCS transfrontalier au monde.
L’industrie agroalimentaire est en attente de produits agricoles bas carbone
Une des portes d’entrée pour l’utilisation d’engrais azotés bas carbone est liée aux objectifs de neutralité carbone des États Européens à l’horizon 2050 (Pacte vert). Les industriels de l’alimentaire ont dans ce cadre des obligations et l’utilisation de matières premières agricoles moins d’émettrices de CO2 à la production fait partie des leviers. Ainsi, le groupe PepsiCo Europe (chips Lay’s notamment) a conclu un partenariat avec Yara en juillet 2024, pour la livraison de 165 000 tonnes d’engrais bas carbone par an pour couvrir environ 25 % des besoins pour ses cultures en Europe d’ici 2030. Ces engrais seront principalement des engrais certifiés Yara Climate Choice, qui comprennent des engrais produits à partir d’ammoniac vert et d’ammoniac bleu.
Mickaël Lepelley indique que Yara a signé trois autres contrats de collaboration avec des acteurs de l’industrie alimentaire en Europe. Pour répondre aux besoins de production, le fabricant d’engrais développe notamment sur son usine du Havre des projets sur les deux leviers, le stockage du CO2 et l’électrolyse de l’eau, et sur certains sites, il investit aussi sur une production d’ammoniac à partir de biogaz issu de la méthanisation. « Nos capacités de production d’engrais bas carbone vont se développer dans les prochains mois et années, avec en 2026 l’arrivée des premiers engrais issus de l’ammoniac bleu ».
Les coopératives agricoles investissent dans les engrais bas carbone
La coopérative Vivescia qui collecte dans le Nord-Est de la France, a signé en septembre 2024, un partenariat avec le Suédois NitroCapt, dans l’objectif de « produire des engrais bas carbone au niveau local », indique Antoine Fournaise. Le processus de fabrication baptisé Sunifix, introduit un procédé breveté de fixation de l’azote de l’air, « neutre pour le climat », et qui utilise l’air, l’eau et l’électricité comme seuls intrants. Une première phase pilote est actuellement déployée en Suède avant la construction d’une usine de démonstration en Champagne Ardennes. Les premières usines de production devraient être en service en 2028 avec l’objectif de pouvoir fertiliser 750 000 hectares en France.
Le groupe InVivo fait lui partie des fondateurs de FertigHy, une société lancée en juin 2023 pour produire des engrais abordables et à faible teneur en carbone pour les agriculteurs européens. FertigHy construira et exploitera sa première usine en Espagne en 2025, dans le but de produire des engrais azotés bas carbone à partir d’électricité 100 % renouvelable et d’hydrogène vert. D’autres usines verront le jour par la suite, ailleurs en Europe.