De nouveaux organismes invasifs menacent les cultures
Maladies, ravageurs, adventices : la liste des bioagresseurs des grandes cultures est longue. Et elle s’allonge avec l’émergence de certains organismes arrivant de contrées lointaines. État des lieux des espèces invasives en France.
Près d’un million de morts et des milliers de migrants qui fuient leur pays. Venu d’Amérique, le mildiou de la pomme de terre avait été à l’origine d’une grande famine en Irlande où l’alimentation reposait beaucoup sur le tubercule. C’était au milieu du 19ème siècle. Nous ne connaîtrons plus une telle situation en Europe où les cultures abondent en diversité. Mais les organismes invasifs et émergents sont toujours là, prêts à mettre à mal des productions agricoles.
En France actuellement, les invasifs ayant un impact sur les grandes cultures sont surtout des plantes adventices. On connaît les soucis générés par l’ambroisie à feuille d’armoise sur des cultures de printemps mais aussi en termes de santé publique avec le fort pouvoir allergène de son pollen. Mais une autre ambroisie originaire d’Amérique pourrait se montrer plus problématique encore, l’ambroisie trifide. « Parmi les adventices émergentes, je la situe en numéro 1 comme problème potentiel à venir sur les grandes cultures, souligne Guillaume Fried, chargé de projet recherche « plantes exotiques envahissantes » au Laboratoire de la santé des végétaux (LSV) de l’Anses. La plante peut mesurer plus de 3 m de haut et elle montre une capacité à avoir des levées échelonnées, ce qui complique sa destruction par le désherbage. » La plante est installée notamment dans des secteurs de la Haute-Garonne et de l’Ariège.
Une ambroisie en cache une autre
« Plusieurs sites ont été repérés. Cette ambroisie pose d’importants problèmes sur maïs, soja, tournesol et sorgho. Des champs sont complètement envahis et les agriculteurs sont démunis, rapporte Anne-Marie Ducasse, de la Fredon Occitanie. Avec Pierre Ehret, de l’Anses, une action de prospection et d’enquête a été initiée pour bien faire connaître la question aux acteurs locaux. Le but est d’éviter la propagation de cette ambroisie comme celle que l’on a connue avec l’ambroisie à feuilles d’armoise. » La plante a été détectée également de façon localisée dans l’Ain et près d’Avignon. Une stratégie de lutte a été définie dans les situations infestées, courant sur plusieurs années, mais aucun arrêté préfectoral de lutte obligatoire n’a été pris contre cette plante dans les départements concernés.
Dans les autres adventices émergentes, Guillaume Fried note le cas du sorgho d’Alep. Originaire de l’est du bassin méditerranéen, cette plante est bien connue dans le sud de la France. « Mais on note une extension récente vers le nord. Le sorgho d’Alep est arrivé en Alsace, en Bourgogne… Il présente un rhizome souterrain qui le rend difficile à détruire. Cette espèce est un bon exemple d’émergence lié au réchauffement climatique. »
Guillaume Fried ne manque pas d’exemples d’espèces adventices en pleine expansion. Ils concernent surtout les cultures estivales. Le datura et le xanthium sont des espèces originaires d’Amérique bien installées dans le Sud-Ouest et qui remontent vers le nord, surtout la première. Cantonné jusqu’à présent au pourtour méditerranéen, le bident à feuilles semi-alternes, lui, commence à remonter la vallée du Rhône.
L’ancêtre du maïs s’invite aux champs comme adventice
L’erigeron (conyza) de Sumatra est en pleine expansion. « Il est généraliste et infeste aussi bien les vignes que les grandes cultures. » De son côté, le téosinte s’installe dans les Deux-Sèvres, la Charente, la Charente-Maritime… Cette espèce qui n’est autre que l’ancêtre du maïs est difficile à désherber dans cette culture qui est proche sur son cycle de développement et sa génétique. Les produits herbicides utilisables sur maïs s’avèrent peu efficaces. Le téosinte est susceptible de se croiser avec le maïs et il est bien présent en Espagne, pays où se cultivent des maïs OGM.
De manière moins importante, les grandes cultures sont touchées par quelques ravageurs émergents d’origine exotique. La chrysomèle du maïs est en cours d’installation durable en France (voir par ailleurs). La filière pomme de terre surveille de près l’évolution de petits coléoptères (Epitrix) qui sont depuis plusieurs années en Espagne et au Portugal. « Nous ne les avons pas identifiés en France pour le moment. Au Portugal, ces épitrix occasionnent des dégâts sur les tubercules où les larves creusent des galeries", informe Philippe Reynaud, chef de l’unité entomologie et plantes invasives du LSV. Un petit coléoptère poilu de la même famille taxonomique que les méligèthes fait son apparition sur colza, Xenostrongylus deyrollei. Sa présence a été détectée dans plusieurs départements du Bassin parisien après une première découverte en 2009 dans les Yvelines. Des dégâts ont été imputés à cette espèce localement.
Un ravageur du maïs pouvant migrer de l’Afrique vers l’Europe
Autre ravageur en expansion qui menace le maïs : la noctuelle Spodoptera frugiperda. « Originaire d’Amérique, il a été introduit malencontreusement en 2016 en Afrique et, depuis, il ravage les maïs d’Afrique subsaharienne, signale Philippe Reynaud. Il n’a pas été détecté en Afrique du Nord. Il lui reste à franchir la barrière du Sahara mais en Amérique, ce papillon est connu pour sa capacité de migration importante. Notre crainte est de le voir s’installer en Afrique du Nord d’où il pourrait passer facilement en Europe. »
En ce qui concerne les pathogènes, il faut bien chercher pour trouver un organisme émergent en grandes cultures. Une maladie suscite des inquiétudes, la pyriculariose. « Il s’agit d’un pathogène majeur sur le riz mais il est connu aussi sur blé et d’autres graminées, mentionne Didier Tharreau, Cirad. Cette maladie a affecté 3 millions d’hectares de blé en Amérique du Sud jusqu’à des pertes totales de production sur certaines variétés. Elle a occasionné d’énormes dégâts au Bangladesh en 2016 et son arrivée est sans doute liée à un transport de semences depuis l’Amérique car les souches qui y ont été trouvées étaient voisines entre les deux continents. » Et l’Europe dans tout cela ? « L’introduction pourrait se faire par des semences infestées depuis l’Asie car il y a un continuum de culture de blé entre le Bangladesh et l’Union européenne. » Mais Didier Tharreau met en avant un autre risque. « La pyriculariose est une maladie connue sur des adventices comme le ray-grass avec des souches pouvant contaminer le blé. Or, le pathogène a été décelé sur la pelouse d’un stade de football en Suisse. Reste à voir s’il pourrait se retrouver dans les ray-grass en parcelle de blé et faire un 'saut d’hôte' pour infester la céréale. »
Outre les champignons, des bactéries et virus s’attaquent aux plantes. La pomme de terre connaît quelques maladies imputables à ce type de pathogènes dont certains sont réglementés comme parasites de quarantaine. « Sur maïs, la bactérie Pantoea stewartii occasionne d’importants dégâts aux États-Unis. Elle est sous surveillance mais n’a pas été détectée en Europe pour l’instant, signale Françoise Poliakoff, du LSV-Anses (1) à Angers. Elle est transmise par un insecte vecteur. C’est le principal risque d’arrivée en Europe, plus que via des grains contaminés. » Quant à Xylella fastidiosa, « une bactérie mortelle pour 200 espèces végétales » selon le ministère de l’Agriculture, elle ne s’attaque pas aux grandes cultures. Pour le moment.
(1) Laboratoire de la santé des végétaux.Plathelminthes : pas vus pas pris
Photos à l’appui, ces gros vers plats exotiques que sont les plathelminthes montrent un aspect effrayant et sont présentés comme des mangeurs de vers de terre. Ces envahisseurs sont découverts depuis une dizaine d’années par les jardiniers, surtout. « Tous les signalements ont été faits via les sciences participatives, informe Jean-Lou Justine, professeur au MNHN (1) et spécialiste des plathelminthes. Neuf espèces ont été trouvées dans 70 départements jusqu’à présent. L’une d’elles s’avère plus particulièrement préoccupante, Obama nungara. Elle est arrivée du Brésil, est prédatrice de lombrics et a été trouvée dans plusieurs départements. Mais tous les plathelminthes ne s’attaquent pas aux vers de terre. Et jusqu’à présent, ils n’ont jamais été détectés en cultures de plein champ. »
(1) Muséum national d’histoire naturelle.@ Si vous découvrez un plathelminthe, le signaler à : http://bit.ly/QuefaireLa chrysomèle du maïs explose
Une multiplication par 3 chaque année ! Depuis 2014 où elle n’est plus réglementée comme organisme de quarantaine, la chrysomèle du maïs progresse fortement mais localement. « Début septembre, nous comptabilisions 23 000 individus capturés en Alsace contre 5 800 en 2017. En Rhône-Alpes, le chiffre devrait être 3 ou 4 fois supérieur à l’an dernier (9 700). Et en Aquitaine à 20 km à l’est de Pau, une population découverte en 2015 est en train d’émerger avec 109 individus capturés en 2017. » Spécialiste des ravageurs du maïs chez Arvalis, Jean-Baptiste Thibord fait le bilan des piégeages réalisés dans différentes régions. 830 pièges ont été installés en 2018 dont le suivi a été confié majoritairement aux chambres d’agriculture. « En dépit de la progression des populations dans certains secteurs, leur niveau n’est pas susceptible d’occasionner de dégâts significatifs sur le maïs pour le moment », assure le spécialiste. La chrysomèle peut être facilement jugulée quand on introduit une autre culture que le maïs dans une rotation culturale.