Culture du blé tendre
Conduite intégrée peut rimer avec un bon taux de protéines
Il est maintenant possible d'obtenir d'aussi
bons taux de protéines avec un blé conduit selon un itinéraire
technique à bas niveau d'intrants qu'en conduite conventionnelle.
Un blé cultivé en itinéraire technique à bas niveau d'intrants -- ou conduite intégrée -- engendre-t-il une baisse de la teneur en protéines par rapport à une conduite classique ? Cet argument est régulièrement avancé par les opposants à ce type de conduite culturale. Si les expérimentations des premières années, à la fin des années 90,montraient effectivement un décrochage du taux de protéines entre les conduites intégrée et classique, ce n'est plus le cas actuellement grâce à la mise au point de stratégies de fertilisation azotée à appliquer pour les itinéraires techniques à bas niveau d'intrants et en s'appuyant sur l'amélioration des connaissances dans le domaine de la dynamique de nutrition azotée du blé. « On sait aujourd'hui cultiver du blé à bas niveau d'intrants de manière à maintenir la teneur en protéines », affirme Marie-Hélène Jeuffroy, de l'UMR Agronomie(1) à Grignon. « Ce n'est plus un sujet d'inquiétude », confirme Bertrand Omon, conseiller de la chambre d'agriculture de l'Eure, en pointe sur ce sujet.
UNE BAISSE N'ÉTAIT PAS ACCEPTABLE
Comment les scientifiques et les conseillers ont-ils réussi à corriger ce défaut majeur? « Dans les premières années d'expérimentation, les obtenteurs qui participaient à nos travaux de recherche sur cette thématique nous ont alerté immédiatement sur ce résultat inquiétant, se souvient la scientifique de l'Inra. En effet, la teneur en protéines du blé doit respecter un seuil donné pour accéder à certains marchés ou obtenir une bonification. Une baisse, ne serait-ce que de 5 %, peut faire passer sous ce seuil et être préjudiciable à la valeur marchande du blé. Il fallait trouver des solutions. »
Le principe de la conduite intégrée est de réduire la dépendance de la culture aux intrants en choisissant des variétés rustiques, en baissant la dose de semis de 40 %, ce qui permet de diminuer les apports azotés et la protection fongicide, et de réduire la pression maladie et la sensibilité à la verse.
Mais une baisse de la dose d'azote doit-elle se traduire par la suppression du premier, du deuxième ou du troisième apport ? « Les agriculteurs supprimaient le deuxième apport, souligne Marie-Hélène Jeuffroy. Nous avons réalisé des simulations grâce à un outil de modélisation. Celles-ci ont montré que les stratégies les plus intéressantes comportent en général la suppression du premier apport, le décalage des deuxième et troisième vers les dates les plus tardives et/ou la modification de l'équilibre des doses entre le deuxième et le troisième apport. » Lors d'une fertilisation azotée, l'azote va être plus ou moins bien utilisé par la plante. Le coefficient apparent d'utilisation (CAU) de l'azote pour varier de 40 à 100 %. « La variation du CAU s'explique par la vitesse de croissance de la plante au moment de l'apport, poursuit la chercheuse. Les premiers apports de fin janvier ont un CAU très faible. »
LA BANDE DE DOUBLE DENSITÉ
Mais il est difficile de prendre le risque de retarder de façon conséquente le premier apport, alors que tous les voisins fertilisent. « Nous avons proposé un indicateur visuel d'entrée en carence de la culture en semant une bande à double densité de semis sur 20 à 30 mètres de long. Quand cette bande devient jaune, c'est le moment d'intervenir car le reste de la parcelle peut entrer en carence dans les deux à trois semaines qui suivent. » On a alors considérablement amélioré le CAU du premier apport.
Ainsi, même si la dose totale d'azote est réduite de 40 unités par hectare, la dose réellement absorbée par les plantes ne l'est que de 20 ou 30 unités grâce à une amélioration du coefficient d'utilisation. En suivant cette stratégie, deux situations peuvent se présenter. Soit la bande double densité reste verte, alors on peut faire le premier apport à la fin mars sans risque et un deuxième apport tardif afin d'assurer l'atteinte d'une teneur en protéines élevée. Soit la bande décolore tôt, alors « on déclenche le premier apport. Le deuxième est retardé au-delà d'épi 1 centimètre afin d'améliorer son CAU et le troisième est positionné juste avant la floraison », précise-t-elle.
La chercheuse regrette que cet indicateur, simple à mettre en oeuvre et gratuit, ne soit pas plus répandu chez les agriculteurs. Selon elle, le développement de Farmstar y est pour quelque chose. « Pourtant on sait que Farmstar ne gère pas bien le premier apport... »
SOIGNER LA FIN DE CYCLE
Bertrand Omon a du recul sur la question. « Dans nos régions où les sols sont profonds, la bande double densité est de moins en moins utilisée parce qu'on a observé plusieurs années de suite que la bande ne jaunissait jamais. Les agriculteurs sont donc rassurés. En revanche, dans les sols superficiels où dans certaines régions comme en Poitou-Charentes, celleci est très utile. » Pour lui, la question qui préoccupe aujourd'hui les agriculteurs n'est plus « est-ce que ma culture risque de manquer d'azote en début de cycle ? », mais plutôt : « Si je fais un premier apport fin mars, y aura-t-il suffisamment de pluie pour que l'azote soit absorbé par les plantes ? » Les printemps secs de ces dernières années ont en effet augmenté ce risque. « La tendance actuelle est de fractionner en deux l'équivalent du premier apport afin de démarrer la fertilisation azotée avant la fin mars, indique-t-il. Mais dans tous les cas, il est primordial de réserver une part importante de l'azote pour la fin de cycle afin d'accompagner l'élaboration du rendement. »
(1) Unité mixte de recherche.