Cohabitation de l'agriculture et des abeilles : bon pour le rendement et pour la biodiversité
Agriculteurs et apiculteurs se rendent des services mutuels avec d’un côté les cultures mellifères de colza et de tournesol et de l’autre, la pollinisation qui améliore les rendements. Exemple en Poitou-Charentes.
Agriculteurs et apiculteurs se rendent des services mutuels avec d’un côté les cultures mellifères de colza et de tournesol et de l’autre, la pollinisation qui améliore les rendements. Exemple en Poitou-Charentes.
Du miel provenant pour les trois quarts du butinage du tournesol. Apiculteur à Prahecq dans les Deux-Sèvres, Sébastien Pommier est fortement dépendant des grandes cultures pour son activité d’apiculteur. « La saison commence avec la floraison du colza à partir de la mi-avril, explique-t-il. Sur les 600 ruches que je possède, j’en installe 400 dans les secteurs à colza. La récolte du miel s’effectue vers le 10 mai et me prend une semaine avec une production aux alentours de 10 kg de miel par ruche. » Sébastien Pommier est membre de l’ADA (1) Nouvelle Aquitaine et il exerce son métier d’apiculteur depuis 1998 en parcourant un secteur à cheval sur les départements des Deux-Sèvres et de la Charente.
« Jusqu’à trois ruches pour un hectare sur tournesol pour une miellée optimale »
Pour le tournesol, l’activité démarre le 10 juillet où la totalité des 600 ruches sont disposées en 23 ruchers. La récolte du miel est réalisée vers la mi-août pendant une dizaine de jours pour une production moyenne de 20 kg par ruche. Indéniablement, le tournesol rapporte beaucoup plus que le colza en termes de miellée. « On peut mettre jusqu’à trois ruches pour un hectare sur tournesol pour obtenir une miellée optimale », précise l’apiculteur.
Entre les floraisons de ces deux cultures, ce n’est pas la disette pour les abeilles ni le chômage technique pour Sébastien Pommier. « À partir du 20 mai, je fais de la transhumance de 200 de mes ruches en Corrèze et Haute-Vienne dans des régions bocagères et de basse montagne où les abeilles trouvent le nectar de diverses fleurs : ronce, framboises, trèfles, bourdaine en sous-bois… La météo influence beaucoup cette production qui varie entre 15 et 25 kg de miel par ruche. Entre fin avril et début mai, j’occupe aussi pas mal de mon temps à la constitution d’essaims – 250 en tout – à partir de l’élevage de reines. Autant dire que de la mi-avril à la fin mai, c’est intense. »
Un apiculteur en relation avec une quinzaine d’agriculteurs
Sébastien Pommier est en relation avec une quinzaine d’agriculteurs dont il connaît les bonnes pratiques. « Nous discutons simplement entre nous et je peux apporter des conseils sur le raisonnement des traitements, telles que les périodes d’intervention que je recommande plutôt en soirée pour préserver les abeilles. Je n’exige rien de plus des agriculteurs. »
L’apiculteur prend soin de placer les ruchers en retrait de parcelles agricoles. Il les dispose près d’un bois par exemple ou avec une haie entre la culture et le rucher. Les ruches sont ainsi peu exposées aux traitements phytosanitaires mais aussi aux éventuels coups de vents et autres intempéries. Par ailleurs, avec des abeilles qui ont un rayon d’action supérieur au kilomètre, Sébastien respecte une distance minimale d’un kilomètre entre chaque rucher.
Des couverts associés avec le colza
Avec ses deux frères Simon et Sylvain, Xavier Veillon est à la tête du Gaec des Lois à Prahecq avec un élevage de 900 chèvres laitières et 140 hectares de cultures : blé tendre, tournesol, colza, orge, maïs ensilage, luzerne… Un apiculteur amateur apporte une vingtaine de ruches sur la ferme.
« Nous avons adhéré au réseau des fermes 30 000 (2) et nous prenons soin de raisonner les traitements phytosanitaires et de les réduire dans la mesure du possible. Pour le colza par exemple, je sème des couverts associés (fenugrec, vesce, trèfle) de façon à limiter l’impact des altises à la levée. Je pratique le mélange d’une variété très précoce de colza dans le but d’éviter d’avoir à traiter contre les méligèthes au printemps. Quand un traitement s’avère nécessaire, je le réalise le soir », explique l’agriculteur. Malheureusement en cette campagne, les 10 hectares de colza n’ont pas levé de façon satisfaisante et seront remplacés par une culture de printemps.
Le retrait du Gaucho anticipé sur céréales
Le tournesol tient une bonne place sur l’exploitation et reçoit un herbicide au semis comme seul traitement. Quant aux céréales, jusqu’à 2016 le recours au traitement insecticide de semence Gaucho était généralisé sur les blés et orges. « En 2017, j’ai commencé à me passer de ce traitement sur la moitié des blés, avec des semis tardifs (fin octobre) où les risques de pucerons et de graminées sont réduits. Et je choisis des variétés d’orges tolérantes à la JNO qui ne nécessitent pas de Gaucho. » Le TS Gaucho est dorénavant interdit depuis septembre 2018 sur toutes cultures.
Xavier Veillon trouve important de voir ses colzas et tournesols butinés par les abeilles au moment de la floraison. « Nous les voyons. Nous imaginons bien leur rôle positif dans la pollinisation des fleurs et la production de graines mais nous ne sommes pas en mesure de quantifier cela. » Sur ce point, les études divergent entre une pollinisation qui pourrait améliorer de quelques dizaines de pourcents le rendement ou n’avoir quasiment aucun effet. Les informations manquent sur l’importance de l’environnement (effet du sol…) ou de la variété de tournesol ou de colza sur l’effet de la pollinisation par les insectes.
Avec la disparition définitive des traitements de semences à base de néonicotinoïdes, Sébastien Pommier espère le retour de lendemains meilleurs, comme quand les abeilles produisaient jusqu’à 60 kg de miel par rucher sur le tournesol au début des années 90. C’était avant l’existence des néonicotinoïdes.
(1) Association de développement de l’apiculture.(2) Réseau couplé sur celui des fermes Dephy.
Les abeilles, des alliées pour nos cultures
Les néonicotinoïdes sont interdits en cultures de plein champ mais divers autres insecticides restent autorisés en application aérienne. Des règles existent pour en minimiser l’impact sur les insectes utiles, notamment l’interdiction de traitement en présence de pollinisateurs même si le produit comporte la mention « abeilles ». Une note nationale BSV éditée en 2018 (1) présente toutes les précautions à prendre.
https://bit.ly/2L4dLdNLa fausse bonne idée de l’interculture mellifère
Agriculteur à Prahecq, Xavier Veillon ne sème pas d’espèces florales à destination des pollinisateurs en interculture ni sur les jachères et bandes enherbées qui restent en graminées. Pour Sébastien Pommier, apiculteur, ce n’est pas un mal. « Une culture intermédiaire mellifère semée après une céréale qui a été traitée au Gaucho comporte un risque élevé d’intoxication des abeilles. Il vaut mieux ne pas y recourir. Quant aux jachères fleuries, je préfère avoir affaire à un agriculteur qui est sensibilisé au raisonnement des traitements, à leur réduction et au respect des insectes pollinisateurs qu’à un producteur qui sèmerait ponctuellement des jachères fleuries sans véritable prise de conscience de l’impact des applications d’insecticides », affirme-t-il.
Un arrière-effet des néonicotinoïdes démontré sur colza
Des études ont montré l’effet négatif sur l’activité des abeilles de cultures attractives ayant reçu un traitement de semences à base d’un néonicotinoïde. Qu’en est-il des cultures mellifères non traitées quand elles succèdent, par exemple, à une céréale traitée ? À l’Inra du Magneraud, Dimitry Wintermantel a démontré les arrières effets des néonicotinoïdes se trouvant dans le sol.
« Dans le nectar de fleurs de colza prélevé dans 291 champs sur cinq ans, nous avons détecté quatre néonicotinoïdes sur les cinq autorisés en France, a présenté le chercheur lors du colloque sur les insectes pollinisateurs en grandes cultures le 25 septembre 2018 au CNRS de Chizé (Deux-Sèvres). L’imidaclopride était le plus répandu. Sa présence différait fortement d’une année sur l’autre : très peu en 2015 mais deux tiers des analyses positives en 2014 et 2016. Souvent, si on mesurait des quantités inférieures à 1 ng/ml de nectar, l’imidaclopride était parfois retrouvé à des quantités supérieures à celles sur des cultures traitées avec l’insecticide, notamment suite à des pluies. Nous avons pu analyser que pour ces champs de colza non traités, sa quantité pouvait générer des réductions d’espérances de vies et de butinage pour les abeilles domestiques ainsi que pour celles sauvages. »