Choix variétal : la suprématie des blés BPS, bien partie pour durer
Les blés panifiables supérieurs (BPS) monopolisent les surfaces, alors que le débouché de la panification française pèse moins de 15 % du marché. Des questions émergent sur l’intérêt de regagner en diversité, mais butent sur la capacité d’allotement des OS.
Les blés panifiables supérieurs (BPS) monopolisent les surfaces, alors que le débouché de la panification française pèse moins de 15 % du marché. Des questions émergent sur l’intérêt de regagner en diversité, mais butent sur la capacité d’allotement des OS.
La stratégie « tout BPS » est-elle victime de son succès ? Depuis plus de vingt ans, la filière française encourage le choix de variétés de blé BPS (blés panifiables supérieurs). Et cela a fonctionné. Cette catégorie accapare 70 % des surfaces de blé de l’Hexagone. Pour la récolte 2019, huit des dix variétés les plus cultivées étaient BPS, les deux autres étant des blés panifiables courants (BP). Aucun BAU (blés destinés à d’autres usages) n’a fait partie du top ten depuis 2013. Au risque de se priver d’une certaine diversité ?
L’inscription au catalogue sous haute influence meunière
Car si BPS est devenu synonyme de qualité, il s’agit d’une qualité meunière bien spécifique, reflétée par une bonne note de panification lors des tests d’inscription au catalogue français. « La panification reste au cœur de l’évaluation variétale, explique Benoît Méléard, responsable du pôle qualité d’Arvalis. Le test de panification est déterminant car le rendement exigé à l’inscription dépend de la classe technologique. Cela tend à faire oublier que d’autres catégories peuvent répondre à certains usages. » Et rend très difficile le développement de blés « non BPS » sur le terrain.
Une situation que confirme Florent Cornut, responsable développement chez le semencier Secobra. « BPS est une classification qui correspond aux besoins de la meunerie française, soit environ 13 % du débouché des blés tricolores, rappelle le sélectionneur. Le problème, c’est qu’un blé qui n’est pas inscrit BPS fait peur aux coops, négoces, chambres d’agriculture… Certaines coops ne testent même pas les variétés qui ne sont pas BPS. »
Être BPS n’est pas la panacée pour tous les débouchés
Du côté de la transformation, être catalogué BPS n’est pourtant pas forcément la panacée. Les fabricants d’aliments du bétail cherchent avant tout du prix, de la qualité sanitaire et, si possible, de la protéine. Ce débouché représente environ 5 millions de tonnes (Mt) chaque année en France, contre environ 3 Mt pour le débouché domestique de la panification. S’y ajoutent plus de 2 Mt de blé français qui partent nourrir les animaux au Benelux. En amidonnerie non plus, la note de panification n’est pas une préoccupation. « BP, BAU, BPS… Cette classification ne nous importe pas, lance Alexis Tordeur, responsable du service agronomique chez Tereos. L’amidonnerie française a besoin de blé répondant aux critères standards en poids spécifique, Hagberg, humidité et grains cassés, sans mycotoxines ni insectes de stockage, avec le plus possible de protéines. »
Même pour l’export à destination des pays tiers, majoritairement destiné à la meunerie, les BPS ne sont pas une assurance tout risque. « La récolte 2016 a été un tournant, explique François Gâtel, de France Export Céréales. Des acheteurs traditionnels de blé français, notamment en Afrique subsaharienne, ont été contraints de se tourner vers d’autres origines et ont trouvé dans les blés de la mer Noire des aspects qualitatifs qu’ils ne trouvaient pas dans le blé français. Ce dernier était auparavant une évidence, il est devenu une option face à d’autres origines. Le fait d’être BPS n’est pas une garantie. Certains BPS ont d’ailleurs été identifiés comme problématiques en mélange à l’export à cause de conditions de panification différentes de celles de la France. »
« Se garder toutes les portes ouvertes avec les BPS »
Alors, comment expliquer ce plébiscite pour les BPS ? La réponse est à chercher du côté des organismes collecteurs, à la fois metteurs en marché et prescripteurs de variétés auprès des agriculteurs. « Il y a effectivement une impulsion donnée depuis plusieurs années de la part des OS sur la qualité, la protéine et les BPS, reconnaît Philippe Pluquet, responsable technique des productions végétales de la coopérative Noriap, qui collecte environ 1 Mt de blé dans les Hauts-de-France et en Seine-Maritime. Cela envoie un signal aux sélectionneurs qui cherchent donc principalement dans cette direction. »
Faire la part belle aux BPS relève de la gestion du risque. « Le système actuel est la conséquence des limites de chaque maillon de la chaîne, analyse le technicien. Au moment de semer, l’agriculteur ne sait généralement pas où va aller son blé. Dans un bateau vers l’Égypte ? Vers la meunerie industrielle ? Un petit meunier local ? Il faut donc pouvoir garder toutes les portes ouvertes. Cela a un coût, mais c’est une forme d’assurance. Notre vocation est d’apporter de la valeur ajoutée à nos adhérents, et c’est avec la qualité que l’on y parvient. » Surtout, comme plusieurs de ses homologues, Philippe Pluquet souligne que « des variétés BPS comme Chevignon et KWS Extase sont très productives et tolérantes aux maladies. Cette équation a été résolue ».
L’accélération des moissons complique l’allotement
Limiter les risques, c’est aussi l’approche d’Emmanuel Bonnin, chez Soufflet Agriculture. « Je ne m’interdis pas de tester des blés qui ne seront pas BPS s’ils apportent de la productivité ou des atouts agronomiques, par exemple en économisant des passages de phyto, explique le spécialiste du service technique. Il faut toutefois un blé qui ne dégrade pas la collecte de blé d’un secteur en lien avec les débouchés locaux. Si l’on doit faire un effort d’allotement, ce ne sera pas pour un blé fourrager mais plutôt pour un blé qui valorise les débouchés de qualité comme les blés filières.. »
À la coopérative lorraine Lorca, qui expédie une grande partie de son blé vers des meuniers européens, « la collecte doit être la plus meunière possible », résume le responsable semences Vincent Heip. Pour lui, référencer un BAU ferait courir le risque d’une dégradation de la qualité d’une cellule, l’excluant du débouché export. « On n’a pas la capacité de trier les BAU à la récolte, donc c’est éliminatoire, explique Vincent Heip. La moisson se fait chez nous sur un laps de temps très court, avec environ 70 % de la collecte en trois jours. On sait trier le tout-venant meunier, isoler d’éventuels lots à problèmes, par exemple fusariés, mais on n’a pas la capacité d’aller au-delà. » Autrement dit, dans la guerre des dictons, « qui peut le plus peut le moins » l’emporte sur « le mieux est l’ennemi du bien ».
Faire rimer BPS, rendement et qualités agronomiques, le défi des semenciers
Sacrifie-t-on certains critères agronomiques ou le potentiel de rendement sur l’autel des BPS ? Pour Florent Cornut, de Secobra, « plus vous ajoutez de critères pour une variété, plus il est difficile de tous les réunir. Pourtant, si vous avez une variété qui est bonne en protéines, en PS, solide agronomiquement, mais moyenne en note de panification, pourquoi s’en priver ? »
Delphine Taillieu, sélectionneur blé tendre chez Florimond Desprez, est plus modérée. « Si l’on veut répondre au marché, on est obligé de travailler avec des variétés BPS, mais je n’ai pas le sentiment que l’on se prive de quelque chose, même si l’on ajoute un niveau de complexité supérieur pour cumuler toutes les caractéristiques attendues. »
Même constat pour Laurent Druesne, chef de marché RAGT céréales et protéagineux : « On peut avoir des variétés BPS très performantes agronomiquement et en qualité, c’est le cas avec la première variété du marché. Depuis trente ans, le profil des variétés a fortement progressé et cela pour tous les critères, en maladies, en potentiel et en qualité. »
BPS, BP et BAU, trois catégories qualitatives à l’inscription
Chaque variété inscrite au catalogue français est associée à une classe de qualité. Les variétés recevant les meilleures notations pour ce paramètre, largement influencé par le test de panification française, se voient attribuer la catégorie BPS (blé panifiable supérieur). Viennent ensuite les blés panifiables courants (BP), puis les blés autres usage, non dédiés à la panification. Les différents critères testés apportent des bonus ou des malus aux variétés. Une variété classée BPS devra atteindre 102 % du rendement des témoins pour prétendre à l’inscription, tandis qu’un BP devra se hisser à 104 %, et 107 % pour un BAU. Inscrire un BAU est donc possible, mais l’apport en rendement doit être très élevé.