FOLIE DES MARCHÉS
Cap sur la rentabilite
La tempête des marchés semble devoir agiter pour longtemps les cours des céréales, et le manque de visibilité
rend périlleuse la quête du prix le plus haut. On ne navigue pas sur une mer déchaînée comme sur un lac, alors comment
se doter de bouées de sauvetage pour éviter le grand plongeon ? Comment conserver son autonomie pour rester seul capitaine à bord ? Ce dossier propose quelques pistes explorées par des experts et par des agriculteurs.
Il y a eu l’avant 2007. Une époque où, en Europe, les dispositifs de la PAC maintenaient les prix dans un étroit tunnel à la pente baissière. L’enjeu de la rentabilité n’était pas tant de bien vendre que de maîtriser ses charges. Le démantèlement des outils de régulation a progressivement reconnecté le marché communautaire au reste du monde. Au milieu des années 2000, la contagion était devenue possible: les sautes d’humeur des cours à un bout de la planète pouvaient se propager sur les places européennes. Dans le même temps, la galaxie des matières premières agricoles était gagnée par une nervosité entretenue par une course de fond entre l’offre et la demande, la première peinant à tenir le rythme de la seconde. L’explosion a eu lieu en 2007.
Cette flambée des cours marquait symboliquement l’entrée dans l’ère de la volatilité. Beaucoup d’agriculteurs se sont alors lancés en quête d’un nouveau Graal : vendre au plus haut. Dépassé, le prix moyen proposé par la coopérative. Place au prix ferme, aux marchés à terme et à leur cortège d’op- tions. Sauf que. Sauf que l’euphorie est belle et bien retombée. En l’espace de trois campagnes, les exploitants ont décou- vert la complexité d’anticiper un marché devenu fou, sensible au moindre sursaut des taux de change comme aux errements du baril de pétrole. Le mieux est l’ennemi du bien, dit-on.
Et si vendre mieux n’était pas toujours compatible avec vendre bien? La tempête des marchés semble devoir agiter pour longtemps les cours des céréales, mais aussi le prix des intrants. On ne navigue pas sur une mer déchaînée comme sur un lac, et il faudra profiter du haut de la vague pour se préparer à passer le creux qui suivra. Comment se doter de bouées de sauve- tage pour éviter le grand plongeon ? Comment conserver son autonomie pour rester seul capitaine à bord ? Ce dossier propose quelques pistes explorées par des experts et par des agriculteurs.
« La question, c’est comment la prochaine année 2009 »
Pour Valérie Leveau, responsable de l’équipe Économie et Système dans le service Agronomie-Économie-Environnement chez Arvalis, le nouveau contexte économique impose de faire évoluer le mode de gestion des systèmes céréaliers, en commençant par identifier les risques qui menacent son exploitation.
Comment analysez-vous l’évolution du contexte économique des exploitations céréalières ?
D’abord, les marchés des matières premières deviennent plus fluctuants et plus concurrentiels. Cela s’explique par une connexion de plus en plus grande du marché communautaire avec les marchés mondiaux, marqués pour certains par une tension entre l’offre et la demande. Le prix des inputs (intrants-carburant) devient lui aussi plus fluctuant, avec une tendance à la hausse. Le troisième point, c’est la diminution des filets de sécurité de la PAC. Il y a enfin l’évolution des conditions de production et d’accès à l’innovation, comme la mise en place du plan Écophyto. Ces évolutions soulèvent deux enjeux : l’accroissement du risque économique des exploitations lié à la baisse des protections, et, surtout, un manque de visibilité. Pour investir, on parlait auparavant de visibilité à moyen terme sur cinq ans. C’est désormais plutôt trois ans. Et le contexte peut même se retourner complètement en cours de campagne.
Quel est l’impact de ces évolutions sur les performances des exploitations ?
Il faut d’abord voir comment se forme la performance économique en grandes cultures. Sur la période 2001-2007, selon les données officielles du Rica, le rapport moyen pour passer du chiffre d’affaires au « revenu disponible » (ce qui reste à l’agriculteur pour payer ses impôts, vivre et autofinancer ses investissements) était de 1 à 4. L’enjeu est donc très fort : en cas de variation de 10 % du chiffre d’af- faires, via le rendement ou le prix, le revenu disponible varie de 40 %. Il s’agit d’une moyenne. Pour certaines exploita- tions, le rapport est de 1 à 7. Sur cette période, le disponible était en moyenne égal aux aides. Une variation de 10 % des aides engendrait donc une évolution de 10 % de revenu. La réduction des filets de sécurité depuis le bilan de santé de la PAC, notamment avec la baisse de 25 % des aides pour les systèmes céréaliers, a encore accru l’influence du chiffre d’af- faires sur le revenu disponible.
Qu’est-ce que cela implique pour la gestion des systèmes ?
À nouveau contexte, adaptation du mode de gestion. La structure de la performance économique des exploitations, avec un taux de charges fixes élevés, est souvent incompatible avec des marchés de matières premières et d’inputs fluctuants, puisque les stratégies ont été élaborées dans un contexte historique- ment différent. Il faut mieux connaitre les aléas majeurs auxquels est exposée l’exploi- tation. Est-ce sur le rendement ? Sur les prix ? Le taux de couverture des charges, qui représente la part des charges que couvre le produit (le chiffre d’affaires et les aides), est-il faible ? Si oui, la moindre variation de prix ou de rendement peut mettre en péril l’exploitation.
Le raisonnement des investissements doit-il lui aussi évoluer ?
Oui. En l’absence de fluctuations des prix, l’investissement se raisonnait surtout en prenant en compte le risque clima- tique, même en cas de taux de couver- ture de charges faibles. Aujourd’hui, si je décide d’investir car le contexte est favorable, je dois m’interroger sur chaque euro investi : ce qu’il va me rapporter, ma capacité à rembourser en cas de contexte difficile dans les cinq ans à venir... Il est désormais impos- sible de prendre des décisions techniques ou économiques sans penser aux conséquences d’une évolution des prix.
Que faire pour rendre son exploitation plus robuste ?
La première chose est de connaître son niveau de vulnéra- bilité : quelle variation suis-je capable d’encaisser ? Pour chaque exploitation, le risque est caractérisé par une ampli- tude, une fréquence et un impact. L’amplitude, c’est de combien peut varier mon chiffre d’affaires. La fréquence, c’est est-ce que mon chiffre d’affaires varie de 10 % chaque année, ou de 50 % tous les dix ans. L’impact correspond à la conséquence de la variation de chiffre d’affaires sur le revenu disponible : celui-ci peut-il être nul certaines années ? Cela met-il en danger mon exploitation ? La deuxième est d’utiliser, si ils existent, des outils pour gérer le risque chiffre d’affaires. Certains aident à garantir un revenu minimum, d’autres à gérer la variabilité.
Quels indicateurs permettent d’évaluer son exposition au risque ?
Outre le taux de couverture des charges, il faut connaître pour chaque culture son coût de production et son histo- rique de rendement. Cela permet de déterminer le seuil de commercialisation pour couvrir les charges une fois prises en compte les aides et la rémunération de son travail. La vraie question est ensuite de savoir si je suis capable de garantir chaque année mon seuil de commercialisation, si je suis souvent au-dessus ou en-dessous. En 2009, peu d’exploitations ont atteint leur seuil de commercia- lisation... En effet. Pas tant du fait du prix des céréales, qui n’était pas si mauvais, qu’à cause du coût élevé des intrants. En 2009, l’important était de couvrir ses coûts de trésorerie. Aujourd’hui, il faut se demander comment faire pour passer la prochaine année 2009, en tenant compte de la baisse des aides liée au bilan de santé et de la prochaine réforme. La réponse est d’être capable de passer une ou plusieurs mauvaises années. Comme il n’est pas facile d’adapter sa conduite en cours de campagne, cela signifie qu’il faut anti- ciper en adaptant son mode de gestion. Cela impose aussi d’être en permanence à la recherche d’informations écono- miques, techniques et politiques pour ajuster sa stratégie. Tous les outils d’aide à la décision intégrant ces notions seront également utiles.