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Agribashing : le malaise du monde agricole face aux critiques de la société

Les manifestations contre l’agribashing ont placé sur le devant de la scène le malaise ressenti dans le monde agricole face au dénigrement émanant d’une partie de la société.

« Un climat de suspicion permanente », « une ambiance nauséabonde »… Les mots utilisés par les agriculteurs qui manifestaient à Paris le 27 novembre 2019 sont forts. Les émotions exprimées spontanément ce jour-là au détour des conversations attestent du malaise profond qui traverse les campagnes. Un mot s’est imposé pour définir cette atmosphère délétère : l’agribashing. Ce terme commode (bashing signifie littéralement « dénigrement systématique ») mais fourre-tout recouvre une grande diversité de phénomènes. Il y a d’abord cette recrudescence d’agressions verbales, voire physiques, souvent en relation avec l’usage des produits phytosanitaires. « Auparavant il n’y avait jamais de souci, mais les peurs se sont exacerbées, constate un producteur de grandes cultures venu de l’Aisne. Et les explications rationnelles sont impuissantes face aux émotions. » Nombreux sont ceux qui ont une anecdote récente à raconter, tel ce jeune exploitant voyant surgir dans son champ de colza en fleur un homme qui se plante devant son tracteur pour l’empêcher de traiter alors qu’il épandait… du bore. « C’était très dangereux, car vu la hauteur des colzas j’aurais pu ne pas le voir, se rappelle l’agriculteur. J’ai pris rendez-vous avec lui, pour lui expliquer ce que je faisais. Arrivé chez lui, il était en train d’appliquer de l’antimousse en pleine chaleur dans son jardin ! » La condamnation des produits phytosanitaires est particulièrement mal vécue. « Nous utilisons des produits homologués sur la base de données scientifiques, appliqués dans des conditions très strictes. Tandis que ceux qui nous accusent appliquent bien souvent des antipuces sur leur chien sans aucune précaution », s’insurge un manifestant.

Le matraquage médiatique pointé du doigt

Les médias grand public sont accusés de matraquer une image fausse de l’agriculture, privilégiant le sensationnel à la véracité des faits. En plaçant systématiquement les agriculteurs sur le banc des accusés, les journalistes auraient ouvert la boîte de Pandore et légitimé des passages à l’acte en pointant du doigt les coupables de la détérioration de l’environnement, voire de la santé. « Parmi ce que l’on nous envoie à la figure, tout n’est pas faux, estime un jeune agriculteur installé en Île-de-France. On est prêt à se remettre en question. Mais il faut écouter la science et refuser l’obscurantisme. »

L’amertume est également nourrie par le sentiment que l’agriculture est devenue une monnaie d’échange. Les discussions sur les accords de libre-échange avec le Canada (Ceta) ou le Mercosur cristallisent l’incompréhension. « On nous impose des standards de production élevés, à faible coût, et l’on permet aux importations de rentrer malgré des conditions de production que l’on n’accepterait pas ici », se désolent les manifestants.

Mais dans « agribashing », que signifie « agri » ? Agriculture ou agriculteurs ? Sondage après sondage, les Français témoignent de leur perception positive des agriculteurs.

« Une idée du système qui repose sur une méconnaissance »

« Il y a un réel ressenti de déconsidération chez les agriculteurs, mais peut-être que le terme de 'déconnexion' serait plus juste », avance Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA. Une vision que partage Luc Servant, vice-président de l’APCA(1). « On sent que ce n’est pas contre les agriculteurs mais contre une certaine idée du système agricole qui repose sur une méconnaissance très forte. Quand on explique ce que l’on fait, notamment lors des fermes ouvertes, les gens sont surpris de la façon dont on travaille réellement, surtout comparé à ce qui se passe dans d’autres pays. » Ce travail de pédagogie est au cœur de la démarche des chartes de bon voisinage, signées au niveau départemental.

Pour Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, le malaise est plus profond. « On ne voyait pas de telles manifestations violentes auparavant, comme des intrusions dans les élevages ou des gars tirés de leur pulvérisateur, constate le syndicaliste. Ces actes violents sont inacceptables, mais ne doivent pas nous conduire à nous recroqueviller sur nous-mêmes, plutôt nous pousser à l’interrogation. Il faut écouter les critiques qu’il y a derrière. »

Retrouver la confiance des citoyens et consommateurs

Qu’il s’agisse de la remise en cause profonde d’un modèle agricole encore largement dépendant de la chimie, ou d’une méconnaissance des progrès réalisés par l’agriculture depuis plus de vingt ans, les agriculteurs sont confrontés à un défi de taille : celui de retrouver la confiance des citoyens et consommateurs autour d’un projet alimentaire et territorial partagé. Philippe Darroux, consultant en management et spécialiste de l’adaptation au changement qui a travaillé sur l’agribashing — se définissant lui-même comme « consommateur lambda de plus en plus séduit par le bio » — met en garde : « L’un des grands principes de l’accompagnement au changement est que, quelle que soit la vérité, on a très souvent tort d’avoir raison tout seul ! »

(1) Assemblée permanente des chambres d’agriculture.

" On a très souvent tort d’avoir raison tout seul ; et les agriculteurs ne représentent plus que 3 % de la population "

Ne pas rester silencieux face aux agressions

Pas facile de réagir quand on est sous le choc d’une agression ou d’une lettre anonyme vindicative. « On invite les agriculteurs à ne pas rester silencieux dans de tels cas, et les fédérations départementales mettent à disposition un formulaire permettant de faire remonter l’information facilement, de façon structurée et en une seule fois », explique Christine Claudon, directrice de la communication à la FNSEA. La victime peut ainsi disposer d’une aide juridique, tandis que les éléments renseignés alimentent la cellule Déméter mise en place par la Gendarmerie nationale, ayant pour mission d’identifier et de poursuivre les auteurs d’intrusions ou d’agressions chez des agriculteurs.

Des chartes de bon voisinage pour renouer le dialogue

Les chartes signées dans les départements se veulent un lieu de concertation entre représentants du monde agricole, élus locaux et défenseurs de l’environnement.

Garantir la transparence et restaurer la confiance des riverains : tel est l’objectif des chartes de bon voisinage. Celles-ci sont signées à l’échelle départementale par la préfecture, les représentants des élus locaux, les organismes agricoles et, le cas échéant, les associations de riverains ou de défense de l’environnement. Une vingtaine de chartes avaient été signées à fin octobre, pour une cinquantaine prévue à fin décembre.

Côté agricole, le texte rappelle principalement la réglementation en vigueur en matière de produits phytosanitaires et les bonnes pratiques d’application. « Cet outil permet de provoquer la rencontre et le dialogue, tout en montrant l’engagement des agriculteurs à utiliser des techniques sans risque pour les riverains. C’est aussi un appel à être très vigilant lorsque l’on travaille à proximité des habitations », explique Luc Servant, vice-président de l’APCA. « La solution passe par la proximité et c’est ce qui fera que demain les choses changent », abonde Luc Smessaert, de la FNSEA. Pour Nicolas Girod, de la Confédération paysanne, « les chartes pourraient être intéressantes si elles étaient imbriquées dans une politique territoriale et nationale visant à s’affranchir des pesticides, mais nous avons la sensation que c’est une manière pour le gouvernement de se décharger sur les acteurs locaux et les associations. Dans le même temps, l’État signe des accords de libre-échange poussant à utiliser ces outils pour gagner en compétitivité. Ce sont des injonctions contradictoires ».

« Ne pas rester dans la posture »

Dans certains départements, des associations environnementales ont accepté de se mettre autour de la table. « Il faut sortir de la confrontation car cela ne mène nulle part, explique Michel Cohu, président d’Eure-et-Loir Nature. Dire aux agriculteurs brutalement qu’ils doivent arrêter d’utiliser les traitements serait un non-sens, mais il doit y avoir un engagement fort de leur côté pour évoluer vers des pratiques avec moins d’impact. Cela doit passer par une approche collective. » Même ouverture exigeante du côté de l’association Roso, dans l’Oise. « Nous avons accepté de signer la charte car nous pensons que la concertation entre le monde agricole et la société civile doit exister, mais cela ne doit pas être de la posture, souligne son président Didier Malé. Faire vivre la charte, c’est par exemple aller discuter avec le maire de Chambly, qui a pris un arrêté restreignant l’usage des produits phytosanitaires autour d’un collège, pour voir comment modifier les pratiques agricoles dans cette zone. Ce n’est pas de se réjouir que l’arrêté ait été cassé. Et l’on en reviendra toujours à l’aménagement du territoire. Lorsque l’on achète 5 hectares pour l’urbanisation d’un village, pourquoi ne pas en réserver 0,5 hectare pour la plantation de haies le long des champs ? »

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