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Les défis de l'arboriculture pour s'adapter aux dérèglements climatiques

Les effets du changement climatique sont maintenant visibles dans tous les bassins de production. Ils bouleversent les équilibres tant biologiques qu’économiques des filières arboricoles et remettent en cause leur existence même.

Tous les bassins de production fruitière sont aujourd'hui impactés par le manque de froid et les coups de chaud en été. © Franc Petit
Tous les bassins de production fruitière sont aujourd'hui impactés par le manque de froid et les coups de chaud en été.
© Franck Petit

Grêle, gel tardif, abats d’eau, sécheresse, températures élevées, manque de froid hivernal… Ces phénomènes autrefois ponctuels sont maintenant récurrents, exacerbés et généralisés sur tous les bassins de production. « Globalement depuis cinq ans, il n’y a pas eu une année où les producteurs n’ont pas eu peur d’un aléa dû au changement climatique », affirme Claude Coureau, CTIFL. Contre certains d’entre eux, des solutions techniques existent mais qui induisent des investissements : filets contre la grêle, double système d’irrigation goutte-à-goutte et aspersion ou brumisation pour atténuer les effets des fortes chaleurs, équipement contre le gel. Mais tous ne pourront pas être évités. En 2019, des récoltes de pommes ont cuit sur les arbres, les vergers de noyers de l’Isère et de la Drôme ont perdu 8 % de leur surface (50 000 noyers) après deux épisodes de grêle et un épisode de neige précoce, la filière kiwi du Sud-ouest a subi trois crues et 800 mm de pluie à l’automne, provoquant une asphyxie racinaire et des dépérissements de vergers. « Depuis 2017, nous constatons aussi des coups de soleil sur noix, rapporte Clémence Bazus de Coopenoix, Isère. En juin, ils brûlent les fruits, plus tard ils impactent la qualité des noix récoltées. Des coups de soleil sont aussi de plus en plus fréquemment constatés sur les troncs de jeunes vergers. » « Mais le plus gros challenge est le changement physiologique des plantes, insiste Bruno Hucbourg du GRCeta Basse Durance. Le manque de froid hivernal nous impacte dans le Sud-est, plus que tout le reste. Les floraisons sont étalées, augmentant le risque d’exposition au gel, les arbres manquent de ramification, et les vergers alternent. Ce sujet est travaillé dans l’Hémisphère sud sur pomme mais peu en Europe. » Pourtant, tous les bassins de pommier en ressentent maintenant les effets, remettant en question la régularité de production. Les grosses chaleurs généralisées de juin 2019 ont perturbé l’induction florale des pommiers et donc provoqué un faible retour à fleur en 2020. C’est une des causes de la faible récolte française cette année. « L’abricot est particulièrement touché par le manque de froid hivernal, commente Christophe Mouiren du GRCeta Basse Durance. Cette année, les Pyrénées-Orientales, la Crau et la Costière ont faiblement produit par manque de froid. Et quand les besoins en froid sont satisfaits, on s’expose aux risques de gel, comme cela a été le cas cette année dans le nord du Gard, le nord des Bouches-du-Rhône, la Drôme et une partie de la Crau. » Des développements de plus en plus hétérogènes des arbres sont aussi observés sur noyers, dus au manque de froid. Une des solutions est le travail sur l’adaptation des variétés et des porte-greffes. « L’Inrae envisage de mettre à disposition des arboriculteurs et des créateurs/éditeurs de variétés ses connaissances sur le patrimoine génétique en fruitier », mentionne Raphaël Martinez de l’AOPn pêches abricots.

Mieux gérer la ressource en eau

Sur certains secteurs, la disponibilité en eau et son partage entre les différents usages peuvent limiter les aménagements possibles pour faire face aux sécheresses et aux coups de froid, mais dans d’autres régions la ressource peut être gérée. Les études sur les données climatiques de ces dernières années en Nouvelle-Aquitaine et en Isère montrent que le cumul de pluie sur l’année est le même qu’avant mais c’est la répartition sur l’année qui change. « Nous devons faire face à des périodes de plus de 50 jours sans eau, ce qui nécessite d’augmenter l’irrigation sur l’année, en alternance avec des périodes très pluvieuses où les quantités d’eau ne sont plus absorbées par les sols et provoquent des situations d’hydromorphie », analyse Franck Michel de Coopenoix. Dans ces nouvelles conditions, la ressource en eau est un point crucial. « En prélevant 1,5 % du volume d’eau qui passe dans la Garonne de décembre à février, on peut couvrir les besoins en irrigation du Lot-et-Garonne. La ressource est donc là, s’amuse à souligner Jean-Luc Reigne d’Unicoque. Pour la gérer, nous avons créé un bureau d’études pour monter les dossiers de demandes retenues collinaires pour nos adhérents. Depuis dix ans, nous avons pu créer une cinquantaine de retenues. Le carcan réglementaire est lourd et complexe mais la logique d’intégration dans le développement du territoire est intelligente. La question pour la filière est aujourd’hui d’arriver à s’approprier ce cadre. »

De nouveaux ravageurs

Le changement du climat fait aussi évoluer la biologie des ravageurs et des auxiliaires. « La dynamique carpocapse est catastrophique dans le Sud-est, constate Bruno Hucbourg, GRCeta Basse Durance. En agriculture biologique, la mise en place de filets est maintenant indispensable. » Sur noix en Isère, une troisième génération de carpocapse est apparue depuis 2018, dont les larves peuvent se retrouver dans les fruits. « Une vigilance accrue avant la récolte est donc nécessaire », note Clémence Bazus. Les attaques de mouches méditerranéennes sont aussi de plus en plus fréquentes. Les températures plus élevées en été et plus douces en hiver permettent la remontée de ravageurs et maladies du bassin méditerranéen, voire des zones tropicales. Et la liste des candidats est longue ; elle fait frémir toutes les filières, surtout dans un contexte de retrait des solutions de protection et de réduction de surveillance du territoire. Parmi ceux déjà présents et problématiques, la punaise diabolique fait des dégâts en verger de kiwi et de noisette sans qu’aucune solution de protection n’existe, mis à part les filets anti-insectes. « L’ensemble de ces changements liés au climat mais aussi à la main-d’œuvre, crée un nœud technique, relève Bruno Hucbourg. Et ce n’est pas la phytopharmacie qui va trouver la solution. Nous avons besoin de reconcevoir nos vergers. » Sur le long terme, ils remettent en cause l’existence même des productions traditionnelles. « Actuellement la question se pose : doit-on continuer à planter du pommier et du poirier dans le Sud-est de la France ? »

A lire aussi : Gérer l'irrigation pour éviter l’impact de la chaleur sur les arbres fruitiers

                      Climat : une mobilisation générale est requise

 

 

Yann Bintein, adjoint aux programmes fruits à la Direction Recherche innovation expertise du CTIFL

« Continuer à évaluer les nouvelles variétés »

 

 
Yann Bintein, adjoint aux programmes fruits à la Direction Recherche innovation expertise du CTIFL © CTIFL

L’année 2021 est une année charnière pour les dispositifs d’évaluation variétale mis en place au CTIFL et dans le réseau national coordonné par le CTIFL. Les outils actuels pour caractériser les innovations, tant pour les variétés que pour les porte-greffes, permettent de couvrir et diffuser une information minimale nécessaire auprès des acteurs de la filière. Au fil des années les expérimentateurs ont redoublé d’ingéniosité pour optimiser leurs méthodes afin d’en réduire le coût sans perdre en pertinence. Mais les dispositifs mis en place sur des temps longs, tant au CTIFL que chez nos partenaires ne sont pas assurés de continuer faute de financements stabilisés et cohérents avec l’exigence de durée et fiabilité de ces travaux. Il s’agit de dispositifs sur le temps long, qui n’est pas compatible avec les appels à projets pour des financements sur 3 ans. Or si nous n’avons pas d’outils pour observer de façon objective le comportement des innovations variétales et  de porte-greffes face aux changements climatiques, aux bioagresseurs, et apporter une connaissance du potentiel qualitatif des produits et leur comportement en post-récolte , il sera encore plus difficile de faire face aux challenges que la filière a à relever :  s’adapter aux évolution climatiques, faire évoluer les systèmes de production, apporter des produits satisfaisant pleinement les consommateurs…  Par ailleurs, il faut garder en tête que les innovations variétales ont toujours été un moteur de la valeur et de compétitivité en arboriculture fruitière. Détecter les « pépites » de façon fiable et assurée permet de ne pas prendre le risque de partir sur le « mauvais cheval ». Le mauvais choix peut coûter très cher. C’est pour éviter cela que les dispositifs collectifs d’évaluation des innovation variétés et porte greffe ont été développés. Ils concernent tout autant les acteurs de la production que du commerce au sein de la filière. Chacun dans son métier peut s’approprier et s’appuyer sur les informations fournies par le CTIFL. Les pouvoirs publics utilisent aussi ces informations pour accompagner les professionnels à travers différents mécanismes incitatifs. Leur soutien au dispositif est essentiel en complément de l’effort maintenu par les professionnels de la filière.

 

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