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La bio en crise de croissance ?

Baisse de consommation, offre qui continue d’augmenter, difficultés à écouler les marchandises qui amènent certains à se déconvertir… La bio connaît-elle une crise de croissance et faut-il faire une pause dans les conversions ? ou la baisse de consommation est-elle conjoncturelle ?

La bio en crise de croissance ?
© V. Bargain

Agra Presse a publié fin janvier les chiffres de déconversion relevés par l’Agence bio. Selon les estimations provisoires, les déconversions en 2021 ont représenté 4 % des fermes, soit 2 209 exploitations sur 58 720 fermes certifiées, la moyenne depuis dix ans variant de 0,9 à 5,3 %. « Le chiffre est de 4,17 % des fermes, contre 4,02 % en 2020, précise Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio. Et une étude d’Ecocert montre que les arrêts sont surtout liés à des départs en retraite. On ne peut donc parler de « déconversion.» Les taux d’arrêt les plus élevés sont observés en grandes cultures (361 arrêts), dans le porc (6 % des fermes), l’apiculture (5 %) et les œufs (4,5 %).

15 % des déconversions concernent les légumes, soit 325 arrêts (307 en 2020), pour 1 080 conversions. 10 % concernent les fruits, soit 219 arrêts (195 en 2020). Au final, 3 % des fermes en légumes et 3 % en fruits se sont déconverties. L’enquête montre aussi un léger ralentissement des conversions, de 7 900 toutes filières confondues en 2019, à 7 600 en 2020 et 7 500 en 2021. En fruits et légumes, si les surfaces totales certifiées et en conversion continuent d’augmenter (+16 % en légumes, + 8 % en fruits), les surfaces en conversion ont reculé de 8 % en légumes en 2020 et de 2 % en fruits, avec une baisse de 15 % en fruits à noyau et à pépins. Et en 2021, Ecocert note une baisse de 30 % du nombre de devis demandés au dernier trimestre, la grande période d’engagement se situant de mars à mai.

 

 

 

Difficultés techniques et climatiques

Des difficultés techniques peuvent expliquer en partie des déconversions ou le recul des conversions : gestion compliquée de l’enherbement ou des pucerons dans le sud, rotations rapides impossibles au risque de problèmes sanitaires majeurs, nécessité d’un suivi important, lutte biologique coûteuse… « La difficulté, note Elie Dunand, conseiller technique indépendant, est qu’il faut huit à dix ans pour qu’un sol maraîcher soit équilibré pour produire en bio. Il faut aussi être très technique et bien équipé. En carotte par exemple, la gestion de l’enherbement implique des rotations, des faux-semis, du désherbage mécanique, thermique et manuel, ce qui augmente fortement le coût de production. Il y a aussi eu en 2021 du gel, des coups de vent… » « L’ANPP porte chaque année des demandes de dérogation pour des produits phytosanitaires autorisés dans d’autres pays, indique Josselin Saint-Raymond, directeur de l’Association nationale pomme poire. Sans ces produits, la production de pommes en bio n’est pas possible. »

Baisse de consommation

Mais surtout, les producteurs rencontrent des problèmes pour écouler leurs produits. Depuis octobre 2021, selon Kantar, les achats de fruits et légumes frais des ménages ont baissé de 3,7 % en cumul annuel mobile. Un recul lié à la météo et à un « coup de fatigue » des consommateurs, avec un repli sur les produits transformés après une tendance marquée au cuisiné maison lors du premier confinement. S’y ajoutent des craintes sur le pouvoir d’achat, qui pèsent sur les achats de fruits et légumes, encore plus en bio. « Nous notons un tassement des achats en bio plus marqué qu’en conventionnel, indique Interfel.

Le recul est de -11 % par rapport à 2020 et de -6 % par rapport à la moyenne 2018-2020, soit -1 % par rapport à l’avant crise (2017-2019). Ceci avec une taille de clientèle qui stagne en 2021, proche de sa moyenne des trois dernières années, après une hausse sur les périodes de confinement en 2020. Ce marché peu dynamique peut expliquer que les producteurs aient parfois des difficultés à écouler leurs marchandises. Il semble cependant tôt pour parler de déconversion et de nombreux producteurs continuent de s’engager dans la bio. »

Offre supérieure à la demande

L’intérêt croissant pour les produits locaux et l’essor de démarches aux allégations environnementales (sans pesticides, zéro résidu de pesticides, HVE, Vergers écoresponsables…) amènent aussi les consommateurs, dans un contexte d’arbitrage budgétaire, à se tourner davantage vers le local ou le « presque bio », notamment ceux arrivés par la GMS, moins avertis et moins attachés à la bio. « Le grand public confond local, bio, zéro résidu de pesticides… », note Laure Verdeau. S’y ajoutent des suspicions sur de possibles fraudes, les produits utilisés en bio, la réalité des contrôles…

« La majorité des consommateurs veut des produits respectueux de l’environnement et locaux, mais pas forcément bio, notamment dans un contexte de pouvoir d’achat contraint », estime Josselin Saint-Raymond. En parallèle, si le rythme des conversions ralentit, l’offre continue d’augmenter, entraînant un encombrement des marchés, notamment en pomme, carotte, salade. « Depuis plusieurs années, nous alertons sur l’équilibre du marché en pomme et poire bio, insiste Josselin Saint-Raymond. Les conversions augmentent plus vite que le marché. Des adhérents doivent vendre une partie de leur volume bio en conventionnel. Il faut faire une pause dans les conversions pour consolider le marché. »

« Depuis l’automne 2021, des maraîchers sont en situation difficile, observe Elie Dunand. Les grandes structures qui investissent en bio peuvent faire des économies d’échelle et tirer les prix. Mais les petites et moyennes exploitations qui fournissent les marchés de gros sont en plus grande difficulté. Certaines s’orientent vers des labels permettant une meilleure valeur ajoutée et moins encombrés comme Demeter. Même en vente directe, des maraîchers ont vu leur chiffre d’affaires baisser de 30 % en 2021. Avec l’augmentation du prix des intrants, les problèmes de main-d’œuvre, certains arrêtent ou sont tentés d’arrêter. Ils n’investissent plus, les outils de production se dégradent et la production recule. »

Encore beaucoup d’import

L’Agence bio et la Fnab invitent toutefois à ne pas stopper les conversions. « La consommation baisse en GMS, mais elle explose en vente directe, sur les marchés, les magasins de producteurs, assure Laure Verdeau. Les chiffres seront connus le 10 juin. Il faut développer le bio made in France. 22 % des légumes et 59 % des fruits consommés sont importés. Si les conversions s’arrêtent, il y aura un creux de production dans trois ans. »

« Il faut continuer à convertir en respectant les fondamentaux de la bio, estime Philippe Camburet, président de la Fnab. En pomme, des producteurs très spécialisés se sont convertis sans changer leur système. Nous incitons à diversifier les variétés et les espèces. La diversification est une base de l’agriculture biologique. Il faut aussi explorer toutes les pistes de commercialisation, comme la restauration collective, où la bio ne représente encore que 5 % des volumes, pour un objectif de 20 %, ou la transformation, en investissant collectivement dans des outils de transformation. Il faut un soutien public pour la structuration des filières. »

En pratique

Le Plan stratégique national (PSN), déclinaison française de la PAC 2023-2027, prévoit de doubler les surfaces en bio d’ici 2027, pour atteindre 18 % de la SAU, soit 330 000 ha de plus par an. L’enveloppe pour la bio passe de 250 à 340 M€/an, avec une priorité accordée à la conversion et la fin des aides au maintien. Le Green Deal pour 2030 de la Commission Européenne fixe, lui, 25 % de SAU bio en 2030.

Une aide PAC pour le maraîchage. Le PSN crée une aide couplée pour les fermes produisant des légumes et petits fruits en conventionnel et bio, hormis en hors-sol. L’aide est de 1 588 €/ha éligible. Les conditions d’éligibilité sont que la SAU de la ferme ne dépasse pas 3 ha, qu’il y ait au moins 0,5 ha de légumes ou petits fruits, avec une liste de fruits et légumes éligibles qui sera produite par le ministère.

Où en est la bio dans trois filières ?

Grandes cultures : un marché qui s’alourdit

 
© V. Bargain
Après la forte hausse des surfaces de 2020, 361 exploitations céréalières se sont déconverties en 2021. La première explication est la pyramide des âges, les surfaces cédées à la retraite allant souvent avec l’agrandissement de fermes en conventionnel. Le marché bio est aussi de plus en plus fourni en céréales, notamment en blé. Et alors que les cours sont assez stables en bio, les prix en conventionnel explosent. Les céréales secondaires sont mal valorisées. Et en légumineuses à graines, les rendements faibles et le manque de variétés récentes posent problème.

 

Lait : une crise majeure

 
© V. Bargain
L’élevage laitier bio amène à repenser profondément le système et complique un retour en arrière. Le taux de déconversion est donc resté limité en 2021 (2 %). La filière connaît pourtant une crise majeure, liée à la baisse de consommation, à une offre de plus en plus segmentée (lait de foin, de pâturage…) et à une hausse de la production de 12 % en 2021, dopée par une pousse de l’herbe soutenue et par l’arrivée de nouvelles fermes. Malgré des appels de collecteurs à réduire la production, 30 % du lait bio a été vendu en conventionnel en 2021.

 

Viticulture : le rythme des conversions ralentit

 
© V. Bargain
La viticulture, qui a vu croître de 20 % le nombre d’exploitations bio en 2020, a connu 280 déconversions en 2021. Au-delà des retraites, les déconversions interviennent en cas de gros souci sanitaire (mildiou, black-rot) ou chez des viticulteurs ayant sous-estimé la technicité de la bio. La rentabilité tend aussi à diminuer, la valeur ajoutée restant de 15-20 % pour un surcoût de 15 %. En Languedoc et PACA, où produire en bio est plus facile que dans d’autres régions, ce qui a attiré des producteurs, le rythme des conversions tend à diminuer.

 

Une campagne de communication pour stimuler la consommation

Dès ce printemps, une campagne de communication sera lancée par l’Agence bio et les interprofessions pour stimuler la consommation des produits bio.

 

© V. Bargain

Face à la baisse de la consommation en bio, l’Agence bio et les interprofessions fruits et légumes, lait, viande, grandes cultures, œuf et volaille se mobilisent pour mettre en place une campagne de communication et relancer la consommation. « La bio coche toutes les cases, environnement, eau, lutte contre le changement climatique, origine France, emploi…, souligne Laure Verdeau. Mais elle n’a pas pris la parole depuis plusieurs années. Face notamment aux confusions existant pour le consommateur, il faut rappeler les fondamentaux de la bio pour stimuler la consommation, un vrai enjeu notamment en fruits et légumes. » Plusieurs réunions ont eu lieu depuis début 2022 entre le ministère de l’Agriculture, l’Agence bio et les interprofessions, dont une le 7 février avec Interfel, pour définir les messages et les modalités et budgets de la campagne de communication.

Trois messages ont été définis : le rapport au temps de la bio, ses vertus environnementales et sa durabilité. La communication sera portée par l’Agence bio et déclinée par produits par les interprofessions. Des actions sont prévues sur le digital et à la radio à partir de fin avril et jusqu’à fin juin. La campagne viendra s’ajouter aux actions d’information et communication déjà menées par Interfel et Aprifel sur les fruits et légumes bio et du soutien à la communication de l’Agence bio. Interfel annonce aussi qu’il a remporté avec le Cniel, l’interprofession laitière, un programme européen de communication sur la bio. Du 1er février 2022 au 1er février 2024, l’interprofession va déployer des actions de communication vers les professionnels du BtoB et de la restauration collective.

 

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