Fraise : Une “guerre de la fraise” entre l’Allemagne et l’Espagne ?
Une bataille environnementale s’est transformée en guerre politique. Retour sur la pétition pour le boycott des fraises espagnoles en Allemagne par l’ONG Campact et ses conséquences politiques et sur la filière espagnole.
Une bataille environnementale s’est transformée en guerre politique. Retour sur la pétition pour le boycott des fraises espagnoles en Allemagne par l’ONG Campact et ses conséquences politiques et sur la filière espagnole.
Une pétition en ligne d’une ONG allemande a mis le feu au poudre entre l’Allemagne, l’Espagne, ses producteurs et ses politiques. Tout a commencé par la mise en ligne d’une pétition de l’ONG allemande Campact qui appelle les distributeurs allemands à boycotter les fraises espagnoles, « fraises de la sécheresse », au motif qu’elles participent à la désertification du parc national de Doñana (en Andalousie, entre Huelva et Séville), plus grande zone humide d’Europe et qui abrite en outre une biodiversité unique et est lieu de refuge pour des millions d'oiseaux migrateurs.
Sécheresse : une revendication écologique pour sauver le parc de Doñana
Campact revendique : « En Espagne, le parc naturel de Doñana, patrimoine mondial, se tarit. Mais l'industrie de la fraise y tire encore plus d'eau de sources illégales. Une grande partie des fraises espagnoles est vendue en Allemagne. Signez maintenant et exigez qu'Edeka, Lidl, Rewe et Aldi arrêtent de vendre des fraises sèches ! (…) jusqu'à ce que le gouvernement andalou assure une utilisation durable de l'eau. »
L'ONG entend ainsi dénoncer un projet de loi du gouvernement régional andalou visant à régulariser des exploitations illégales de fruits rouges situées à proximité du parc naturel de Doñana, 1 500 hectares de cultures, irriguées pour la plupart par des puits clandestins selon les associations environnementales.
A date [mardi 6 juin à 15h30], plus de 164 000 personnes avaient signé la pétition. L'objectif est de 200 000 signataires. Début 2022, une vingtaine de chaînes de supermarchés européens, dont Lidl, Aldi ou Sainsbury's, avaient déjà appelé le gouvernement andalou à renoncer à son projet.
La filière espagnole réagit
Cette campagne contre la fraise de Huelva « est insidieuse et préjudiciable à la filière des fraises et des petits fruits dans son ensemble, et à ses travailleurs, car de fausses informations sont partagées et accusent le secteur de fautes graves et d'actions illégales », s’est défendu le 31 mai l'association interprofessionnelle de la fraise espagnole. Selon Interfresa, la province de Huelva produit 300 000 tonnes de fraises par an, soit plus de 90 % de la production espagnole, et génère près de 100 000 emplois directs. L'Allemagne est son premier marché d'exportation, avec un chiffre d'affaires annuel estimé à 186 millions d'euros.
Interfresa assure se conformer aux « protocoles les plus exigeants » et rappelle que 100% des fraises vendues en Allemagne ont la certification Spring. Le secteur engagera le dialogue avec les différents distributeurs pour clarifier le manque de rigueur de cette campagne, affirme l’interprofession. Elle réfute l’exploitation de l’eau de sources illégales dans le parc national de Doñana, où il n’y a « aucune culture, ni de petits fruits, ni d’aucune sorte ». « Les fermes les plus proches de Doñana sont à 35 km de la zone naturelle et la grande majorité des entreprises du secteur des petits fruits cultivent à 100 km ou plus de la couronne nord. »
La politique s’en mêle
« C'est une attaque dure et injustifiée contre le secteur agricole de notre pays », a approuvé dans un communiqué ASAJA. En outre, le syndicat agricole a demandé le 2 juin la démission de la troisième vice-présidente du gouvernement espagnole, Teresa Ribera, qui aurait soutenu par ses messages la campagne de boycott. « Cela constitue une attaque claire contre des milliers de producteurs et leurs familles qui travaillent dur toute l'année pour faire fonctionner leurs exploitations, générer de la richesse et contribuer au développement des exportations du pays. . . »
Le président d’Interfresa, Jose Luis Garcia-Palacios, considère que son propre Etat affronte la profession. A la radio espagnole COPE le 1er juin, il s’est demandé si il était imaginable qu’en 2014-2015, « la chancelière allemande Angela Merkel ait pu songer procéder de la sorte en soutenant un boycott de l’automobile de son pays après qu’a éclaté le scandale des moteurs Volkswagen ».
Le syndicats des jeunes agriculteurs a accusé le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez de soutenir cette « campagne de dénigrement » à des fins politiques (élections législatives anticipées du 23 juillet) alors que le 5 juin a eu lieu la visite d’une délégation de neuf parlementaires allemands portant sur les conséquences de la sécheresse et pour s’informer sur le problème.
La délégation allemande annule sa visite
L’extrême droite espagnole a elle qualifié d’ « ingérence » cette visite de « députés allemands qui tentent de contrôler la production de nos agriculteurs ».
Dans ce contexte explosif, la délégation de députés allemands a annoncé le lundi 5 juin suspendre sa visite qui devait se terminer le vendredi 9 juin. « Ce voyage devait servir à un échange technique dans l'intérêt de nos deux pays », a regretté la délégation dans un communiqué, espérant « poursuivre cet échange à l'avenir ».