Changement climatique : une mobilisation générale est requise
L’évolution du climat, aujourd’hui acté par pratiquement tout le monde, aura des répercussions sur toute la filière fruits et légumes. Désormais, il s’agit d’anticiper pour s’adapter, aussi bien pour les producteurs que pour les acteurs de l’aval.
L’évolution du climat, aujourd’hui acté par pratiquement tout le monde, aura des répercussions sur toute la filière fruits et légumes. Désormais, il s’agit d’anticiper pour s’adapter, aussi bien pour les producteurs que pour les acteurs de l’aval.
L’article est paru dans l’édition du 16 janvier 2020 du quotidien anglais The Telegraph : « Des pêches britanniques seront vendues pour la première fois cette année ». Un producteur du Kent, à partir de plants venus de France, espère bien commercialiser les premières pêches et nectarines 100 % British cette année, arguant que l’augmentation des vagues de chaleur sur le Royaume-Uni permet aujourd’hui leur culture. Des pêches en Angleterre, c’est un peu comme « l’oranger sur le sol irlandais » de la chanson : on avait du mal à y croire il y a quelques années. Et pourtant : fréquence accrue des cyclones et sécheresse très marquée en 2019 affectant les productions bananières dans les Antilles, inondations catastrophiques en octobre 2018 frappant les maraîchers de l’Aude (sans oublier ceux d’Île-de-France en 2016), présence de la punaise diabolique, dont les effets ont entraîné la non-récolte de 25 % des vergers de pommes en Savoie l’an dernier… Longue est la liste des événements liés des conditions climatologiques sur la France, connus par la profession mais rarement rencontrés à un tel rythme. Aujourd’hui, difficile de nier que le climat change et transforme fondamentalement les productions fruitières et légumières et de fait les capacités d’approvisionnement pour les acteurs de l’aval de la filière. Sans verser dans la prospective, quelles pourraient être les conséquences, à l’amont comme à l’aval de la filière fruits et légumes ?
Quel climat pour quelle agriculture ?
David Salas y Mélia est le responsable du groupe de météorologie de grande échelle et climat du Centre national de recherches météorologique (Météo-France et CNRS) : « Ce que l’on sait, c’est qu’au niveau mondial, le changement climatique, qui est aujourd’hui acté, va défavoriser l’agriculture telle que nous la connaissons depuis le XXe siècle. Cependant, les trajectoires du futur sont encore incertaines ».
Deux scénarios sont évoqués. Le premier envisage une augmentation de la température de 1 °C à l’horizon 2100. « Par rapport à 2020, le climat serait relativement similaire à celui actuel, explique David Salas y Mélia, ce qui ne remettrait pas en cause profondément les cultures. Même avec un peu moins de précipitations en été, la situation est tout à fait gérable. »
Le second imagine 4 ou 5 degrés en plus. Pour David Salas y Mélia, il est bien plus inquiétant et les modifications seraient bien plus fortes : « On peut imaginer un climat au sud-est de la France similaire à celui actuel du sud de l’Espagne. Les vagues de chaleur pourraient être plus importantes avec des pics pouvant atteindre 50 °C. Les dégâts sur la végétation seraient plus forts, car le problème majeur serait celui de la ressource en eau. Selon les simulations, avec des précipitions hivernales similaires à aujourd’hui, mais avec des périodes de chaleur fortes et régulières, le débit des rivières serait appelé à baisser fortement ».
Réchauffement climatique et augmentation du CO2 dans l’atmosphère sont corrélés. Cette augmentation est liée essentiellement aux activités humaines : les transports contribuent à hauteur de 30 %, l’agriculture, 22 %. Il y a aussi d’autres paramètres à prendre en compte comme le vent et les épisodes orageux et/ou de grêle : « Sur le premier point, il est difficile de s’avancer sur l’évolution. Sur le second, il est nécessaire de disposer d’un modèle plus fin, car ces événements seront beaucoup plus localisés. Les modèles classiques travaillant sur un périmètre entre 10 et 150 km ne sont pas utiles. Nous travaillons à Météo France sur ce sujet : je pourrais citer le programme Arome qui offre une précision à 1,5 km et permet de diffuser les messages plus précis », indique David Salas y Mélia.
Des campagnes de production bouleversées
L’exercice demeure complexe et donc délicat lorsqu’il s’agit de parler de l’impact de ces évolutions sur les productions fruitières et légumières. Jean-Michel Legave, ancien directeur de recherche Inra et chargé de mission Inrae actuellement, coordonne un ouvrage de synthèse (à paraître en 2020) sur l’adaptation des productions fruitières : « On voit bien qu’il a déjà des préoccupations plus importantes que d’autres, touchant à la phénologie de l’arbre ou encore au développement des ravageurs en relation avec les évolutions climatiques… Nous assistons depuis quelque temps déjà aux impacts de cette situation – avancée de la floraison, de la maturité – et cela dans toutes les régions de production françaises. Ce qui frappe surtout c’est la rapidité de ces changements. Ces impacts auront clairement des conséquences sur la précocité, la régularité et la qualité des productions fruitières. »
Des calendriers de commercialisation affectés
Les calendriers de commercialisation pourraient donc être affectés : « On voit depuis plusieurs années que la date de floraison des pommiers en Val de Loire et celle des pommiers dans la région de Nîmes ont tendance à se rapprocher. Si cela se confirme, on peut imaginer que les spécificités régionales vont avoir tendance à s’estomper aussi bien en fruits qu’en légumes. Sur le court terme, il pourrait y avoir des télescopages entre régions de productions. De plus certaines variétés pourraient devenir difficiles à produire dans certaines régions : on pourrait parler de la pomme Golden, dont la texture se prête mal à la culture dans un Midi dont les températures auraient augmenté fortement », note Jean-Michel Legave.
Les cartes pourraient être rebattues : « On pourrait dire qu’il y aura des régions « gagnantes » – celles légèrement en altitude ou plus au Nord – et d’autres « perdantes » – les régions méditerranéennes où la production va être la plus exposée aux augmentations de température et à la diminution de la pluviométrie. Mais, je veux ajouter tout de suite : les régions « perdantes » pourraient en tirer profit. À côté de nouvelles productions éventuelles, il y a aussi à prendre en compte les variétés adaptées à la nouvelle donne climatique en cours de développement. Les cultures de fruits sont très diversifiées en France, grâce à une grande variété de climats propices à l’agriculture, ce qui offre une grande variabilité dans les choix qui sont à faire ».
État d’alerte pour les Siqo
Les évolutions du climat inquiètent particulièrement les producteurs jouissant d’un signe de qualité. À l’occasion de Fruit 2050 à Angers (pendant le salon Sival, les 14 et 15 février), Françoise Besse, présidente de Cooplim, a expliqué la situation : « En Limousin, nous produisons la seule pomme à disposer d’une AOP. L’irrigation n’a jusqu’à présent jamais été une obligation pour les producteurs. Or, depuis cinq, six ans, nous rencontrons des difficultés à mettre en place de nouveaux vergers qui, sans être irrigués, dépérissent ».
La situation renvoie à la question de la gestion de l’eau. Les professionnels limousins travaillent actuellement sur la possibilité de mettre en place des retenues collinaires qui stockeraient les eaux de pluie. « Mais ce sont des dossiers laborieux à monter et à administrer », reconnaît Françoise Besse qui regrette par ailleurs que « l’impact des attentes sociétales soit encore plus rapide que celui du réchauffement climatique ».
Les producteurs de clémentines de Corse, disposant d’une IGP, font face à une perte d’acidité (un critère important de la qualité du fruit) qui interroge les chercheurs : « Trop de soleil, c’est mauvais pour l’acidité de la clémentine. L’évolution des températures fait que l’on est passé d’un taux de 1,7 % dans les années soixante à 0,9 % en 2018 », a détaillé Olivier Pailly (Inrae Corse) toujours à Fruit 2050. Mais, le phénomène n’est pas global. Il y a une grande disparité d’une parcelle à l’autre. « Avec une période de récolte réduite et une coloration du fruit précoce et moins homogène, les seuils demandés par l’IGP ne sont pas atteints simultanément par les producteurs. La récolte se déroule d’une manière générale sur 50 jours, mais certains producteurs vont jusqu’à 60 jours et d’autres ne récoltent que sur 25 jours. Ces clémentines n’entrent pas dans les critères de l’IGP. »
L’Inrae Corse a développé une base de données de suivi de la maturité (Clemnature) sous forme d’application web : elle indique les « fenêtres » optimum pour la récolte sous IGP, ce qui permet d’organiser les chantiers de récolte.
Ces évolutions liées au changement climatique, impactent sur la disponibilité du produit pour les distributeurs et aussi sur sa qualité. Les critères géographiques des Siqo sont contraignants, en particulier sur la localisation de la production. « Nos vergers sont déjà à 350 m d’altitude en moyenne. Nous avons peu de possibilités de les remonter plus haut », concède Françoise Besse.
Relocaliser les cultures ?
C’est la grande question quand on aborde l’effet du réchauffement climatique. « Souvent lorsque l’on parle changement climatique et production fruitière et légumière, on imagine l’éclosion d’une production des noix de coco à Brest, mais cela est fort peu probable. On peut penser à l’extension d’un climat méditerranéen vers le nord mais ce n’est pas seulement qu’une question de température, il faut aussi considérer les régimes de pluies particuliers aux régions. Et de plus, quel que soit le scénario envisagé, il existera toujours des gelées. Rappelons-nous les -10 °C enregistrés à Toulouse en 2012. On imagine mal développer des cultures tropicales, la mangue par exemple, dans de telles conditions », souligne David Salas y Mélia.
Et pourtant, certaines productions traditionnellement cultivés dans des régions comme l’Espagne, le kaki ou la grenade, font l’objet de projets dans le Sud. Comme le précise Olivier Pailly : « Nous avons déjà des contacts avec des producteurs dans le Var et le Roussillon qui désirent planter ». De là à voir une clémentine de Toulon dans l’avenir… « Introduire de nouvelles variétés sur de nouveaux terroirs ? Celui de Corse est adapté à la culture de l’avocatier. C’est possible mais c’est cher, ne serait-ce qu’en matière de ressources génétiques. En arboriculture, si cela doit arriver, ce sera au-delà de 2050, mais c’est une question à laquelle on n’échappera pas », souligne Jean-Michel Legave.
Un consommateur conscient ?
L’amont de la filière est donc de plus en plus conscient du réchauffement climatique et de son impact sur les productions. Le son de cloche est-il de même à l’aval ? Pour Audrey Trévisiol, du Service Forêt Alimentation Bioéconomie de l’Ademe, « le niveau de sensibilisation au sujet est différent selon les acteurs de la filière, forte chez les producteurs, moindre à l’aval : la distribution semble encore peu concernée par le phénomène parce qu’elle attend de la part de sa clientèle une remontée aussi forte que celle concernant l’usage des produits phytosanitaires actuellement. Mais, le changement climatique réclame d’anticiper pour pouvoir s’adapter. Les impacts du réchauffement climatique ont des conséquences sur les autres maillons de la filière : approvisionnement et donc transport, conservation, valorisation, distribution, consommation ». Justement, le consommateur a ses exigences : produit local, sans pesticides… Mais, il a aussi des habitudes bien ancrées. À l’occasion de Fruit 2050, Dragana Miladinovic (Interfel) a détaillé une étude sur les relations entre climat et vente de pommes en France : « L’étude a montré que la météo entre pour 28 % dans la variation des ventes, a-t-elle expliqué, le pic de consommation se situe entre octobre et avril, même si les ventes subsistent tout au long de l’année. Le froid, la pluie entraînent une augmentation de la consommation spécialement en début et en fin de campagne ». Un allongement des périodes chaudes, amenant potentiellement une campagne de fruits d’été plus longue pourrait bouleverser la donne.
Toujours une question de prix
Il y a ce que le Français est prêt à consommer, et il y a ce qu’il est prêt à payer. « Le changement climatique va amener des modifications dans la production entraînant une baisse des tonnages. Une augmentation du prix est envisageable », précise Jean-Michel Legave. La recevabilité du prix et de l’origine par le consommateur va être un paramètre central. En cela, on pourrait dire que la situation ne changera pas.
Comme le fait remarquer Raphaël Martinez, directeur de la Fédération des fruits et légumes d’Occitanie : « Le réchauffement climatique nous interpelle certes. En 2018, nous avons vu des abricots littéralement cuire sur la branche à cause de la sécheresse. Mais, la production est aujourd’hui plus inquiétée par les perturbations engendrées par une offre européenne pléthorique en abricot ou par la réduction du nombre de solutions pour protéger les vergers ».
Des leviers d’adaptation aux effets du réchauffement climatique existent. À l’amont, on peut citer la recherche variétale, le pilotage de l’irrigation et à l’aval il y a le développement de la transformation (en particulier la fraîche découpe), création de nouveaux modes de consommation, communication axée sur l’explication aux consommateurs des effets du climat sur la qualité des fruits et des légumes. Mais, leur mise en œuvre, plus ou moins facile, ne fera pas l’économie d’une réflexion sur la pertinence du modèle de distribution actuelle.
« Les spécificités régionales vont avoir tendance à s’estomper », Jean Michel Legave (Inrae)
« L’impact des attentes sociétales est parfois plus rapide que celui du réchauffement climatique » Françoise Besse (Cooplim)
« La météo entre pour 28 % dans la variation des ventes de pommes en France » Dragana Miladinovic (Interfel).
Ademe : un guide pratique
L’Ademe a mené une étude exploratoire sur l’adaptation au changement climatique à l’échelle des filières agroalimentaires (dont celle des pommes en Val de Loire). La question du changement climatique est une question d’actualité mais qui s’inscrit aussi sur du long terme. Or, un décalage a pu être constaté avec les réflexions de plus court terme des filières. Pour accompagner les acteurs sur ces nouveaux horizons, une démarche méthodologique en cinq grandes étapes, allant de la préparation de la démarche jusqu’au passage à l’action. Un guide méthodologique de 60 pages a été publié en fin d’année 2019 : il inclut des fiches pratiques qui doivent permettre aux acteurs de la filière de mettre en place une procédure pour se préparer aux impacts du changement climatique sur leurs activités. L’approche, volontairement sous forme de pas à pas, fait une grande place à la réflexion collective des acteurs.