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Brésil : comment la fraise est devenue une production majeure

En passe de devenir exportateur net de fraises, le Brésil a vu sa production fléchir de 10 % en 2023 à cause d’une vague de chaleur inhabituelle dans son principal bassin de production. Cet obstacle s’ajoute à celui de la pénurie de main-d’œuvre.

Au Brésil, la pointe sud de l’État du Minas Gerais fournit plus de 90 % des récoltes de fraises du géant sud-américain. La hausse continue des volumes récoltés au cours des dix dernières années a subi un net coup d’arrêt en 2023, à cause de chaleurs inhabituelles qui se sont traduites par une cueillette en retrait de 10 % par rapport à celle de 2022. Cinq cantons ruraux (Pouso Alegre, Espírito Santo do Dorado, Estiva, Bom Reposo et Senador Amarão) d’une superficie totale de 1 230 km2 abritent un véritable trésor socio-économique sur les flancs de leurs collines : 2 650 hectares de serres dédiés à la culture du fruit rouge, soit la moitié des 5 500 hectares de fraisiers recensés au niveau national, selon l’institut de géographie et de statistique brésilien (IBGE).

Cette infime fraction du territoire du Brésil apporte à lui seul environ « 135 000 tonnes de fraises par an », précise Alexandre Kurachi, chef régional de l’organisme public d’assistance technique auprès des agriculteurs de l’État du Minas Gerais (Emater). Parmi ces derniers, environ huit mille se consacrent exclusivement à la culture de la fraise. « Le chiffre d’affaires annuel de la filière s’élève à 400 millions d’euros dans notre district », selon M. Kurachi. Celle-ci y joue un rôle d’ascenseur social plutôt rare à la campagne brésilienne. « Les employés des maraîchers du coin proviennent en majorité du nord-est du Brésil, la région la plus pauvre du pays, avec l’objectif ouvert de devenir leurs propres patrons, généralement en louant un lopin de terre situé à côté de la ferme de leurs employeurs ».

Le passage au hors-sol inévitable et irréversible

Installés de longue date, ces derniers passent en système hors-sol (dit semi-hydroponique) à vitesse grand V. D’une part, la main-d’œuvre leur fait défaut et, d’autre part, leur santé du dos l’exige. « Trois ans plus tôt, ces systèmes hors-sol concernaient 5 % de la production de fraises dans le sud du Minas Gerais, contre 30 % actuellement », souligne Cleber Pereira, technicien de l’Emater, pour qui cette tendance est irréversible. Selon lui, au sud du Minas Gerais, la surface moyenne des exploitations spécialisées en fraise est de 0,3 hectare et leur rendement moyen est de 50 t/an/ha. À quoi s’ajoutent, en moyenne, 20 t de fruits dont l’état médiocre les voue à l’industrie agroalimentaire.

Par ailleurs, Cleber Pereira renseigne que la capacité d’emballage des exploitants, à la ferme, est généralement limitée à 70 cartons de 1 kg par jour, faute de main-d’œuvre suffisante. « La majeure partie de nos clients grossistes ne valorisent toujours pas la certification bio à laquelle nous aspirons, car le consommateur brésilien non plus », admet Valter De Faria, 58 ans, qui cultive 8 500 plants avec son frère José Altair, 62 ans. Tous deux sont passés en hors-sol en 2018. Dans la foulée, ils ont adopté des moyens de lutte antiparasitaires bio. Ils utilisent encore des fertilisants chimiques, tout en testant des engrais bio faits maison, alors que ce type d’intrant commence à apparaître sur le marché brésilien. Ils vendent leurs fraises au prix de 2,50 € le carton de 1 à 1,2 kg contenant chacun quatre barquettes. En juin dernier, juste avant le pic des récoltes, les prix ont flambé à 6 €.

Au cœur de la région la plus riche d’Amérique du Sud

Les producteurs de fraises du Sud du Minas Gerais ont un avantage : dans leurs vallées, la température y est stable, autour de 32 °C en été et de 28 °C en hiver. Travaillant en système irrigué, ils récoltent presque toute l’année. Côté marché, leur autre atout, énorme, est le fait de se trouver au cœur de la région la plus riche de toute l’Amérique du Sud. Ils sont situés à 200 km de São Paulo et à 400 km de Rio de Janeiro, les deux mégalopoles du pays. « Nos fraises trouvent toujours preneurs. D’où l’absence de mouvement coopératif au sein de la profession. On la joue perso », avoue João Paulo Pereira, 43 ans, qui exploite une serre de 4 000 m2 et une autre de 1 000 m2, sur un domaine de 10 ha situé dans un creux de vallée touffu de forêt vierge.

Lui et ses trois employés à plein temps se chargent de l’emballage et transportent eux-mêmes la marchandise jusqu’aux marchés de gros. Lui cultive au total 40 000 plants de fraisiers qu’il remplace tous les deux ans, alors que ses voisins ont l’habitude d’en réimplanter chaque année. « Mon rendement moyen est d’un kilo par an par plant », dit-il. João Paulo Pereira a recours à des variétés San Andrés importées d’Espagne, achetées au prix de 0,50 € le plant. « Elles offrent de hauts rendements et sont performantes du point de vue sanitaire, mais je vais revenir aux variétés Albion importées du Chili car elles résistent mieux à la chaleur », estime-t-il.

Un revenu mensuel bien supérieur à la moyenne

Dans ses serres, au cœur de l’été austral, la température atteint les 42 °C. Pour contrer ces coups de chaud, il active ses pulvérisateurs d’eau fixés au plafond de ses serres, de 14 h à 15 h : « Cela suffit pour faire baisser la température à 30 °C, avant qu’elle ne retombe d’elle-même le soir venant », précise-t-il. Ses coûts d’énergie électrique sont dérisoires, vu la très courte durée de l’irrigation de son système au goutte-à-goutte, à raison de quatre fois 2 ou 3 minutes par jour. Son projet est de passer au bio avec l’espoir d’en obtenir un résultat économique.

João Paulo a déjà appris à tolérer la présence minime de parasites, « un changement de mentalité » opéré avec l’aide de son conseiller technique. Le niveau actuel de ses revenus (entre 3 000 et 5 000 € par mois), bien supérieur à celui de la majorité de ses concitoyens, et la satisfaction de travailler au beau milieu d’une forêt vierge en valent la peine. Jour après jour, un nombre croissant de ses compatriotes, venus du nord-est du Brésil et motivés par les mêmes raisons, lui emboîtent le pas.

Le géant des tropiques sur la voie de l’exportation

Selon la FAO, le Brésil est passé en dix ans du 12e au 8e rang parmi les pays producteurs de fraises. Toutefois, le pays sud-américain continue d’importer des pulpes de fraises du Proche-Orient : 1 470 tonnes de fraises congelées en 2020, selon le ministère de l’Économie brésilien. Mais le Brésil commence aussi à en exporter vers le Panama et le Portugal : et ce dernier pays avec qui il entretient de profondes relations historiques et commerciales est sa porte d’entrée sur le marché européen. Ces envois vers l’étranger faits depuis l’État du Minas restent dérisoires, à hauteur de 20,4 tonnes en 2022, mais ils seraient en hausse de 411 % par rapport à 2021, selon le gouvernement du Minas Gerais.

EN CHIFFRES

La culture de fraise dans le Minas Gerais

2 650 hectares de serres

135 000 tonnes de fraises par an

400 millions d’euros de chiffre d’affaires

Le troisième fruit le plus consommé du pays

L’importance de la fraise au Brésil a émergé depuis une dizaine d’années. Comme la production nationale a fortement augmenté, son prix est devenu plus accessible qu’auparavant. La fraise est désormais le troisième fruit le plus consommé dans le pays à hauteur de 20 % des volumes consommés toutes espèces confondues, derrière l’orange et la banane. Sa place sur le podium s’explique par ses nombreux usages industriels. En effet, le secteur absorbe 60 % de l’offre totale de fraises. Malgré la hausse des volumes récoltés, à l’exception de l’an dernier (2023), le Brésil demeure un pays importateur net de pulpes congelées, notamment provenant d’Israël et des États-Unis, bien qu’il s’agisse de volumes peu significatifs.

Avec ses atouts géographiques, le Brésil peut-il à terme devenir un grand exportateur de fraises ? « Je suis plutôt pessimiste à cet égard, d’une part à cause du réchauffement de nos climats tropicaux qui a une forte incidence sur la production de fraises et sur la pression des ravageurs ; d’autre part, à cause de l’énorme manque de main-d’œuvre sur les exploitations, ce qui est un problème mondial », reconnaît Reginaldo Ribeiro, directeur du grossiste Irmãos Pereira au MIN de Belo Horizonte, capitale du Minas Gerais.

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