Arboriculture : la fin du glyphosate aura un coût
L’année 2020 doit être la dernière pour la majorité des usages du glyphosate en France. L’Inrae a évalué le surcoût engendré par l’adoption des alternatives au désherbage chimique en arboriculture.
L’année 2020 doit être la dernière pour la majorité des usages du glyphosate en France. L’Inrae a évalué le surcoût engendré par l’adoption des alternatives au désherbage chimique en arboriculture.
L’échéance se rapproche pour le glyphosate. Depuis juin 2018, la substance active herbicide fait l’objet en France d’un plan de sortie pour ses principaux usages dès le 1er janvier 2021 et pour l’ensemble des usages dès le 1er janvier 2023. Une mission parlementaire est chargée du suivi de ce plan de sortie et rassemble 25 députés, sous la présidence de Julien Dive (député LR de l’Aisne).
« Cette mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate ne revient pas sur les débats scientifiques sur la dangerosité et l’homologation de cette substance, indique le rapport d’information de la mission du 12 novembre 2019 (1). Son objet est de suivre la transition du monde agricole vers l’interdiction des principaux usages du glyphosate […] conformément aux engagements du Gouvernement. » Dans ce rapport d’information, les co-rapporteurs Jean-Luc Fugit (député LREM du Rhône) et Jean-Baptiste Moreau (député LREM de la Creuse) font part de « leurs inquiétudes sur la difficulté de la tâche ».
Dans un rapport de l’Inrae datant de fin 2017, plusieurs impasses techniques qui découleraient d’une interdiction du glyphosate ont été identifiées : l’agriculture de conservation des sols, les vignes et vergers sur terrains en forte pente et les cultures pour des marchés spécifiques avec des fortes contraintes techniques, comme la production de semences et de légumes de plein champ (risque de présence d’adventices toxiques comme le datura), ou encore la récolte des fruits à coque.
De nouvelles charges et des surcoûts conséquents
Ces impasses techniques « se traduisent par de sérieux dilemmes agronomiques » et « font aussi émerger des difficultés économiques, territoriales ou sanitaires », souligne le rapport parlementaire. Ces usages devraient probablement bénéficier du délai supplémentaire annoncé par le Président de la République. Pour la majorité des usages en revanche, l’année 2020 est la dernière, dès lors qu’il existe une méthode alternative répondant aux critères de substitution. Mais ce recours aux méthodes alternatives de désherbage impacte potentiellement la rentabilité de la production.
Ainsi, l’interdiction du glyphosate mènera à de nouvelles charges et à des surcoûts conséquents, « au moins dans un premier temps », annonce le rapport parlementaire. « Sauf à se lancer dans le désherbage manuel, les exploitants devront compléter leurs équipements mécaniques, voire s’équiper. » Ces surcoûts ont été évalués par l’Inrae pour les filières les plus utilisatrices de glyphosate. Après la parution d’un premier rapport en juillet 2019 sur la viticulture et en attendant la sortie du rapport sur les grandes cultures, celui sur l’arboriculture est paru en janvier 2020.
Ce rapport de 24 pages(2) évalue économiquement les pratiques de désherbage alternatives au désherbage chimique. Le travail effectué s’appuie sur des études publiées par les Chambres d’agriculture, les instituts techniques et organismes professionnels agricoles, l’enquête Pratiques culturales en arboriculture de 2015 (Enquête Pk-SSP-MAA) et les données du Réseau d’information comptable agricole (Rica), afin de mettre les différences de coût entre pratiques en regard des résultats économiques des exploitations arboricoles.
De 4,5 à 9,2 heures par hectare pour le désherbage mécanique
Selon l’enquête Pratiques Culturales, 70 % des superficies de vergers de France métropolitaine reçoivent au moins un traitement au glyphosate (enquête effectuée uniquement sur les espèces pomme, abricot, prune, pêche/nectarine et cerise), presque exclusivement sur le rang. « Il est utilisé comme seul herbicide (30 % des surfaces) ou associé à d’autres herbicides (40 %), précise le rapport de l’Inrae. Parmi les 30 % des surfaces qui ne reçoivent pas de glyphosate, 21 % ne reçoivent aucun herbicide, les 9 % restants reçoivent d’autres herbicides. Les chiffres sont assez proches d’une espèce à l’autre. »
Le choix de la méthode de désherbage joue bien sûr sur les temps de travaux. Selon les espèces, ces temps de travaux « vont de 1,5 à 3 heures par hectare en désherbage chimique » et « sont de 2 à plus de 4 fois supérieurs dans les techniques alternatives », indique le rapport de l’Inrae. Le désherbage mécanique avec travail du sol présente les temps les plus élevés, entre 4,5 h/ha en vergers de cerisiers et jusqu’à 9,2 h/ha en vergers de pêchers. La densité de plantation explique en grande partie que les temps soient plus faibles en vergers de cerisiers et pruniers que pour les autres espèces.
Surcoût estimé pour le désherbage mécanique et l’enherbement sur le rang
Les calculs de coûts ont permis aux auteurs d’estimer le surcoût entre un désherbage chimique et les alternatives n’utilisant pas d’herbicides chimiques. Le surcoût a été calculé pour le désherbage mécanique avec travail du sol et l’enherbement sur le rang. Afin d’estimer les surcoûts, les auteurs de l’étude ont retenu plusieurs hypothèses (lire « Les hypothèses retenues »). « Le surcoût des alternatives au désherbage chimique s’étend ainsi de 120 €/ha […] à 432 €/ha », indique le rapport. Le cas le plus favorable correspond à une substitution du désherbage chimique par un enherbement et l’hypothèse H3 sur le matériel, en culture de cerisiers (avec des résultats comparables de l’ordre de 120 à 140 €/ha pour plusieurs espèces).
Le surcoût le plus élevé correspond à un désherbage mécanique avec travail du sol, dans l’hypothèse de base H1, en production de pêches (avec des chiffres allant de 350 à 400 €/ha pour plusieurs espèces). Le surcoût que représente la substitution du désherbage chimique par le désherbage mécanique représente, d’après les estimations de l’Inrae et les données du Rica, « de 4 à 12 % de la valeur ajoutée des exploitations fruitières, de 6 à 20 % de l’Excédent brut d’exploitation (EBE) et de 9 % à 42 % du résultat courant (RCAI), selon les années et les hypothèses ».
Les hypothèses retenues
Les auteurs du rapport de l’Inrae sur les alternatives au glyphosate en arboriculture ont utilisé plusieurs hypothèses de travail pour évaluer le surcoût de ces méthodes. Les hypothèses retenues proviennent du document de référence « Coûts des opérations culturales 2018 des matériels agricoles : Un référentiel pour le calcul des coûts de production et le barème d’entraide » (APCA, 2018). Il s’agit de :
- Un coût horaire de travail de 18 €/heure, correspondant à une rémunération de personnel qualifié.
- Des coûts par heure pour la traction avec les différents types d’outils prenant en compte l’amortissement du tracteur, ses réparations, l’entretien et le carburant.
- Des charges fixes annuelles des outils (calculées sur la base des prix de vente) comprenant les amortissements annuels linéaires, l’entretien et les réparations.
De plus, « nous avons fait un certain nombre d’hypothèses spécifiques, en particulier liées au fait que les références de ce barème proposent des matériels viticulture et arboriculture pas toujours adaptés au cas spécifique de l’arboriculture », indiquent les auteurs de l’étude Inrae. Ces hypothèses spécifiques ont consisté à :
- choisir un matériel type pour les opérations de désherbage mécanique dans le guide APCA
- majorer de 25 % les coûts d’achat du matériel par rapport aux prix indiqués dans ce document (pour tenir compte de la différence de prix entre matériel viticole et arboricole)
- calculer le temps de travail par hectare en fonction : de la longueur des rangs, et d’hypothèses sur la vitesse des matériels (6 km/h pour la pulvérisation, 3 km/h pour le désherbage mécanique sans travail du sol (tonte), 2 km/h pour le désherbage mécanique avec travail du sol, sur demi-rang). Ce temps a été majoré de 30 % pour tenir compte des temps supplémentaires liés aux réglages, nettoyage…
Toutes ces « sous-hypothèses » constituent l’hypothèse de base, dite H1, utilisée pour estimer les coûts. L’Inrae a également considéré une hypothèse H2, qui reprend les sous-hypothèses de H1 sauf celle de la majoration de 30 % du temps de travail. L’hypothèse H3 reprend quant à elle les sous-hypothèses de H1 mais n’intègre pas la majoration de 25 % des coûts d’achat du matériel.
Les auteurs estiment que les hypothèses réalisées pour le calcul des coûts à l’hectare se situent dans la fourchette haute (vitesse des outils, temps de travail de réglage, rémunération de la main-d’œuvre, valeur d’achat des matériels…). « Il existe, notamment en arboriculture, beaucoup d’agriculteurs qui construisent ou adaptent des matériels eux-mêmes diminuant ainsi considérablement les investissements nécessaires, soulignent-ils. On peut aussi considérer que notre hypothèse de 30 % de temps de travail supplémentaire (pour tenir compte de la difficulté de maîtriser les techniques) pourrait être réduit (passé la phase transitoire d’apprentissage). »
En pratique
Certains coûts n’ont pas été estimés dans l’étude de l’Inrae, par manque de sources suffisamment validées scientifiquement.
Il s’agit des coûts engendrés par l’adaptation ou la modification du système d’irrigation, nécessaires lors de l’adoption d’un mode de désherbage mécanique.
De plus, l’impact du désherbage mécanique sur le rendement et la qualité des fruits n’a pas été pris en compte. Cet impact peut provenir des blessures des racines des arbres lors du passage d’outils mécaniques, très fréquemment signalé par les professionnels. « Si cette baisse de production se situait à environ 5 % de la production, comme ceci est cité dans différents documents, alors la baisse de chiffres d’affaires par ha, en serait grandement affectée », indiquent les auteurs.
Avis de spécialiste : Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture de l’Inrae
« Il y a besoin d’une réflexion sur les porte-greffes »
« Il est difficile de chiffrer l’incidence d’un passage du désherbage chimique au désherbage mécanique sur la production. Le désherbage mécanique peut provoquer des lésions aux racines des arbres, qui ne peuvent pas se restructurer, à la différence de la vigne. Si un verger a traditionnellement été désherbé chimiquement, alors il présente beaucoup de racines en surface. Si on passe à un désherbage mécanique sur des vergers anciens, on aura ainsi des dommages sur ses racines et une baisse de production. La pose des lignes d’irrigation au sol est à éviter avec le désherbage mécanique. Pour les jeunes vergers, il y a nécessité d’avoir des porte-greffes plus vigoureux afin de limiter l'effet de la concurrence des adventices. Il y a besoin d’une réflexion sur les porte-greffes : aujourd’hui, les porte-greffes retenus par exemple en pommier sont choisis pour accélérer la mise à fruit mais ne sont pas très vigoureux. »