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Fortes évolutions démographiques à prévoir pour les systèmes allaitants

À la demande d’Interbev et de la Confédération nationale de l’élevage, l’Institut de l’élevage a analysé la décapitalisation allaitante en cours en l’associant à un premier état des lieux sur la démographie des chefs d’exploitations détenant des cheptels allaitants.

Le nombre de petits cheptels ne cesse de diminuer mais la progression des unités de grande dimension tend à se stabiliser.
Le nombre de petits cheptels ne cesse de diminuer mais la progression des unités de grande dimension tend à se stabiliser.

Le recul des effectifs allaitants se devine quand on analyse l’évolution au fil des ans les paysages du nord du Massif central étendus à la Bourgogne et au Grand Ouest de la France. De moins en moins d’herbages, de plus en plus de labourages ! Cette évolution du paysage se traduit d’ailleurs dans les données statistiques de la BDNI. Elles font état d’une tendance nettement baissière pour le cheptel allaitant français avec un recul de 252 000 vaches allaitantes entre 2016 et 2020, soit - 6,2 % en seulement 4 ans. Et les perspectives ne sont pas encourageantes compte tenu des tarifs du moment pour les principales catégories de bovins mâles, qu’il s’agisse des broutards ou des taurillons finis. Les conséquences des évolutions du climat avec la succession de quatre étés secs et brûlants dans bien des départements où les cheptels allaitants font partie des principales productions ont été un facteur incitatif supplémentaire pour réduire le nombre de bouches à nourrir dans bien des exploitations. Qui plus est, on a enregistré ces quatre dernières années une accentuation de l’érosion du nombre de détenteurs. Alors que depuis le début des années 2000 le nombre de cheptels de plus de 20 mères diminuait en moyenne de 720 par an, le rythme s’est brutalement accéléré depuis 2016. Ce recul est désormais de 1 300 cheptels par an. La France compte cette année un total de 56 700 cheptels de plus de 20 vaches allaitantes contre 72 900 en 2001.

Des différences selon les départements

La décapitalisation en cours a incité Interbev et la Confédération nationale de l’élevage à demander à l’Institut de l’élevage une analyse de la situation. Quelle est la typologie des ateliers qui disparaissent comme celle de ceux qui se créent et quelle pourrait être l’évolution de la situation dans les années à venir ? L’analyse des statistiques a eu lieu en ciblant plus particulièrement la période 2016-2019, au cours de laquelle le cheptel a reculé de 192 000 vaches. Premier constat, le recul des effectifs est d’abord lié à des cessations d’activité. Mais contrairement aux années précédentes où les animaux des cédants étaient en quelque sorte « repris » par d’autres élevages et contribuaient à conforter des dimensions de cheptel souvent déjà importantes, cette évolution est devenue beaucoup moins vraie. Qui plus est, on rencontre désormais parmi les allaitants spécialisés des élevages qui réduisent leurs effectifs. Quant aux créations d’ateliers, elles sont heureusement toujours d’actualité mais sont loin de compenser le recul des effectifs consécutifs aux cessations ou départs en retraite. Pour autant, la proportion de vaches présentes dans les ateliers de grande dimension (100 vaches et plus) continue de progresser, idem pour le nombre de détenteurs d’ateliers de cette dimension, « en revanche, on enregistre une inversion de tendance pour les cheptels compris dans la tranche des troupeaux de 50 à 99 vaches », note Hélène Fuchey, une des agroéconomistes de l’Institut de l’élevage en charge de cette étude (voir graphique).

Ces évolutions ne sont pas uniformément réparties. Le recul est sévère dans le Sud-Ouest et les Pays de la Loire (voir plus loin) et en particulier en Mayenne (- 4 %), Maine-et-Loire (- 3,5 %) et Vendée (- 2,5 %). L’érosion est moins sensible dans tous les départements du nord Massif central jusqu’à la Bourgogne où elle oscille entre - 1 et - 2,4 % mais avec un impact important dans la mesure où ces départements sont à forte spécialisation « allaitante » avec des effectifs initiaux conséquents. Le sud Massif central (Ardèche, Cantal, Haute-Loire, Lozère) fait figure de bon élève avec une progression des effectifs, laquelle demeure toutefois modeste (entre + 0,5 et + 1 %).

Couplage des données MSA et BDNI

Pour compléter ces données, une analyse est en cours en couplant des fichiers de la MSA et ceux de la BDNI, conduite par Christophe Perrot, département économie de l’Institut de l’élevage. De premiers éléments ont été récemment présentés. « Le vieillissement des chefs d’exploitation est très net, mais multifactoriel », souligne ce dernier. Il est pour partie la conséquence des précédentes politiques d’installation. Particulièrement dynamiques et efficaces voici une trentaine d’années, le fait que leur mise en application n’ait été que transitoire va prochainement favoriser certains « chocs démographiques ». L’actuel vieillissement correspond pour partie à des éleveurs qui poursuivent leur activité au-delà de 62 ans. « Ils représentent environ 10 % des détenteurs de cheptels allaitants. » Cette proportion correspond souvent à des éleveurs qui préfèrent continuer à produire avec le soutien des aides compensatoires sur des structures où les investissements sont en grande partie amortis, plutôt que de percevoir une modeste retraite. Les installations tardives à plus de 40 ans contribuent elles aussi à vieillir les détenteurs de cheptels allaitants et leur nombre a été favorisé par les modalités d’attribution de certaines aides de la PAC dans le cadre des Gaec entre époux.

La reprise des parts d’un cédant est le schéma le plus courant pour une installation, mais il y aurait une part croissante de candidats qui s’éloignent des classiques filières longues où le métier de l’éleveur s’arrête quand ses animaux montent dans le camion de la coop ou du négociant. Il y aurait notamment davantage de projets d’installations avec des cheptels de tailles moyennes ou modestes avec des éleveurs qui optent pour des circuits courts. Leurs projets ne sont pas toujours bien réalistes mais ils traduisent un décalage, voire une inadéquation entre les souhaits de certains candidats à l’installation et les caractéristiques des fermes qui se libèrent ou des places d’associés à reprendre dans des Gaec ou autres exploitations sous forme sociétaires. Comme le souligne un rapport du Conseil économique, social et environnemental, il y a aujourd’hui une grande diversité de profils pour les porteurs de projets aux Points info installation et en particulier pour ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole. Cela va du jeune de 20 ans pratiquement sans diplôme jusqu’aux détenteurs de bac + 5 qui envisagent une reconversion professionnelle après un beau début de carrière dans de grandes entreprises. Ces personnes ont alors une expérience et un savoir-faire intéressants pour renouveler les modes de production et de commercialisation. Mais plus que des fermes de grande dimension ou des parts d’associé dans des Gaec de grande dimension, ces profils sont souvent davantage attirés par des unités de production de dimension plus modeste mais où ils seront les seuls décisionnaires avec la possibilité d’avoir un contact direct avec le consommateur.

« Focus groupe » dans quatre départements

Pour mieux appréhender ces évolutions, des réunions ont été organisées en 2019 dans quatre départements (Ardennes, Lozère, Vendée, Haute-Vienne) en réunissant chaque fois une petite dizaine d’éleveurs. Le choix des départements tient compte de leur profil pour l’évolution du nombre d’animaux et d’élevages ces quatre dernières années. Érosion globalement calquée sur la tendance nationale en Haute-Vienne, recul brutal pour la Vendée, légère progression du cheptel et maintien du nombre d’éleveurs en Lozère et érosion importante dans les Ardennes avec une forte concurrence des cultures pour utiliser le foncier. Les volets abordés étaient : Qui s’installe ? Comment évoluent les exploitations ? Qui arrête et que deviennent leurs exploitations ? « Ce qui est ressorti dans tous les groupes est l’importance de la capitalisation que nécessite une installation en système allaitant », souligne Hélène Fuchey. Le manque de rentabilité de ce capital a été analysé comme principal frein aux installations. Pour bien des éleveurs, conduire un cheptel allaitant a un côté « passionnel », souvent associé au volet patrimonial que représentent une exploitation familiale et son cheptel avec la légitime fierté de le transmettre à la génération suivante. Certains éleveurs n’ont pas caché que c’était d’abord cette passion qui les incitait à conserver ce cheptel dans la mesure où à lui seul il ne leur permet pas d’en vivre. Les évolutions du climat laissent percevoir des stratégies d’adaptation. Elles vont souvent dans le sens d’une réduction du chargement (réduction des effectifs ou un léger accroissement de la SFP à cheptel constant). Parmi les autres évolutions envisagées, ont été cités les circuits courts, la diversification (productions végétales, volaille, photovoltaïque, méthanisation). Certaines présentent d’ailleurs un risque de recul de l’atelier allaitant compte tenu de la concurrence pour l’utilisation des surfaces ou fourrages.

Les Pays de la Loire tirent la sonnette d’alarme

Première région française pour la production de viande bovine, les Pays de la Loire font partie des territoires actuellement les plus concernés par l’érosion de la production.

Si on s’en tient aux chiffres, les données constatées ces dernières années dans les Pays de la Loire sont tout simplement préoccupantes même si cette région demeure la première pour la production de viande bovine avec un total de 240 000 tec abattues en 2019, soit pratiquement 20 % de la production nationale. Le cheptel est lui aussi conséquent avec quelque 380 000 vaches allaitantes et 525 000 vaches laitières le 1er août dernier. Malgré cette apparente abondance, l’érosion des effectifs est très nette. Elle concerne tout particulièrement le cheptel allaitant. « Entre 2015 et 2020, le nombre de vaches allaitantes a reculé de 10 %. C’est encore plus net pour les JB : - 18 % entre 2015 et 2020 et - 25 % au cours de ces 10 dernières années. La mutation est rapide », soulignait Pierre-Yves Amprou responsable du service économie et prospective de la chambre d’agriculture à l’occasion des dernières journées techniques régionales.

Cette région associe une belle diversité de systèmes de production mais le système naisseur engraisseur avec achats complémentaires de broutards qui a longtemps été le schéma de production dominant, en particulier en Vendée et dans le Maine-et-Loire, est globalement en recul. « Dans un Gaec, c’est souvent lié à un manque de main-d’œuvre quand un des associés prend sa retraite et n’est pas remplacé. L’atelier de JB en fait souvent les frais », précisait Alain Denieulle, éleveur dans le Maine-et-Loire et très impliqué dans les différentes commissions régionales liées à la viande bovine.

Inéluctable vieillissement des producteurs

L’autre menace est liée au vieillissement des producteurs. En 2018, l’âge moyen des chefs d’exploitation de bovins allaitants dans les Pays de la Loire était d’un peu plus de 49 ans, et un tiers d’entre eux avaient plus de 55 ans. La pyramide des âges va mathématiquement se traduire par un nombre accru de départs en retraite à échéance de cinq à dix ans. Son impact pourrait être d’autant plus important que les producteurs actuellement dans la dernière ligne droite de leur parcours professionnel détiennent souvent des élevages de dimension conséquente. « Contrairement à des départements où l’élevage est incontournable pour valoriser des surfaces en herbe inconvertibles, dans bien des exploitations des Pays de la Loire, il est possible de produire autre chose que de l’herbe dans nos parcelles », expliquait Alain Denieulle. Les Pays de la Loire ont également la particularité d’avoir un marché de l’emploi plus dynamique que dans bien d’autres régions. Autant de données qui peuvent inciter des jeunes, initialement intéressés par une installation, à envisager après mûres réflexions une autre orientation professionnelle.

Majorité d’installations sous forme sociétaire

Toujours dans cette région, le renouvellement des actifs avoisinerait actuellement 25 % pour les systèmes allaitants spécialisés. D’après les données de la MSA, cette proportion serait légèrement supérieure (30 à 35 %) si on inclut les installations associées à d’autres productions. Une certitude, les installations sous forme sociétaire sont les plus fréquentes. L’installation d’un jeune correspond souvent au remplacement d’un associé lors d’un départ en retraite. Les installations individuelles sont plus compliquées, voire impossibles pour différentes raisons : coût de la reprise, baisse de rentabilité du capital investi, incertitudes sur l’avenir du métier, contexte économique mais également climatique peu favorables. « Certains cas d’installations individuelles font parfois suite à un contexte familial particulier lié à une logique patrimoniale », expliquait Pierre-Yves Amprou. D’autres se traduisent par des réductions de cheptel, consécutives à une volonté de diversification vers d’autres productions (volaille, culture ou autre) mais également à des conversions en bio avec parfois le choix d’une réorientation vers les circuits courts et donc la nécessité de trouver suffisamment de temps pour mener à bien toutes les tâches dans de bonnes conditions.

Une étude prospective a été menée par la chambre régionale pour mieux cerner le devenir des élevages ligériens spécialisés à échéance 2030. À côté de la pyramide des âges, les autres principaux facteurs susceptibles d’influencer l’évolution cette activité ont été pris en compte. Un travail complexe compte tenu des nombreuses incertitudes pour savoir quel sera dans dix ans le contexte socio-économique de l’agriculture française. Ses premières conclusions ont été brièvement esquissées par Pierre-Yves Amprou. Comparativement aux chiffres de 2018, elles se traduiraient par un recul de 30 % du nombre d’exploitations spécialisées couplé à une baisse de production de 25 % tant pour le nombre de vaches allaitantes que le nombre de JB.

« Le premier levier pour aller à l’encontre de ce scénario serait évidemment de permettre une meilleure rentabilité de nos élevages. C’est également de faciliter la transmission des exploitations et trouver de nouvelles façons pour commercialiser le produit viande bovine tout en l’adaptant aux évolutions des modes de consommation et des circuits commerciaux. Il faut également continuer à amener de la technicité dans nos élevages. Trop peu d’éleveurs connaissent dans les détails leurs coûts de production. Ce sont pourtant eux qui permettent d’analyser les principaux leviers à actionner pour conforter l’efficience de nos systèmes de production et contenir les coûts de fonctionnement. »

F. A.

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