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Foncier agricole : quatre questions à se poser avant de s’agrandir

Lorsqu’une opportunité se présente, s’agrandir est souvent tentant. Mais les économies d’échelle ne sont pas forcément au rendez-vous. D’autres critères doivent être pris en compte, à commencer par l’organisation de l’exploitation et la transmission.

Surcroît de travail, étalement du parcellaire et allongement des distances... Toutes les conséquences de l'agrandissement doivent être envisagées afin d'en évaluer l'impact sur les conditions de travail au quotidien.
Surcroît de travail, étalement du parcellaire et allongement des distances... Toutes les conséquences de l'agrandissement doivent être envisagées afin d'en évaluer l'impact sur les conditions de travail au quotidien.
© Réussir SAS

1) Qu’est-ce qui justifie l’agrandissement ?

« Les charges de mécanisation ne représentent qu’un tiers des coûts de production », rappelle Franck Pottiez, responsable conseil en patrimoine au CER Champagne Nord Est Île-de-France. D’autres charges importantes, ramenées à l’hectare, dépendent peu de la surface cultivée, comme les appros, dont la maîtrise conditionne la rentabilité. Il n’empêche : les économies d’échelle qui s’opèrent sur les charges de mécanisation, mais aussi de main-d’œuvre, sont le premier intérêt économique d’un agrandissement. Une étude menée par Arvalis datant de 2012 établit que les charges de mécanisation restent constantes jusqu’au seuil de 150 hectares, autour de 460 euros l'hectare. À 210 hectares, elles descendent à 425 euros l'hectare et jusqu’à 330 euros l'hectare pour 390 hectares.

« En théorie, l’agrandissement doit permettre de massifier les charges et de diminuer les coûts de production », résume Franck Pottiez. En théorie seulement. Dans les faits, les économies d’échelle se confirment surtout si le parc matériel se cantonne au strict nécessaire. « Bon nombre d’exploitations de grandes cultures ont un parc matériel qui peut travailler un peu plus que les hectares cultivés », rappelle Xavier Cassedanne, expert grandes cultures au Crédit agricole SA. Dès lors, l’augmentation de surface va engendrer une augmentation des tonnages produits, une hausse du chiffre d’affaires et une dilution des charges variables.

Mais trop souvent, les experts observent un fort renouvellement du parc matériel trois à quatre ans après l’agrandissement, qui va gommer tout ou partie des économies d’échelle réalisées initialement. S’il est tentant d’acheter du matériel plus performant, ces investissements peuvent devenir une erreur qui lamine les revenus.

2) Quelles conditions réunir pour s’agrandir ?

Pour s’agrandir, le recours à un emprunt à long terme est souvent de mise, en particulier au regard des taux actuels. Si l’on possède des réserves financières, l’acquisition n’en sera que plus facile. Mais dans tous les cas, l’entreprise doit être en bonne situation financière. Le fonds de roulement, qui correspond à la différence entre les capitaux permanents et les immobilisations, doit être satisfaisant et permettre de faire face aux échéances au fur et à mesure de leurs arrivées.

Plusieurs autres ratios sont déterminants pour obtenir un prêt bancaire, à commencer par l’excédent brut d’exploitation (EBE), la part des annuités par rapport à l’EBE, et la part des annuités supplémentaires liées à l’investissement. Une exploitation dont l’EBE moyen avoisine les 650 euros l'hectare et dont le rapport annuités/EBE est inférieur à 35 % peut entamer une demande de prêt avec confiance. Le concours d’un conseiller d’entreprise ou d’un expert-comptable est dans tous les cas requis, en particulier pour éviter un refus inattendu.

« Si un dossier ne passe pas auprès de la banque, c’est notre rôle de l’indiquer préalablement à nos clients », précise Philippe Vivier, expert-comptable à Évreux. Ce dernier recommande d’ailleurs de conserver une marge de sécurité dans les études prévisionnelles. « Dans les systèmes céréaliers, il est désormais prudent d’effectuer une moyenne olympique de l’EBE, en enlevant par exemple les chiffres de la récolte 2021. » L’étude doit également prévoir un niveau suffisant de rémunération pour vivre. « Il n’est pas sérieux d’estimer les besoins d’un père de famille à 1 500 euros par mois, sauf si sa conjointe exerce un métier confortable. Il faut avoir de quoi vivre objectivement. »

3) Pourquoi s’agrandir ?

Au-delà des aspects économiques, les candidats à l’agrandissement doivent s’interroger sur leurs objectifs. S’il s’agit de sécuriser un outil de travail, de valoriser sa propre main-d’œuvre ou celle des associés, l’agrandissement peut être pertinent. Mais il s’étudie.

« Le surcroît de travail nécessaire généré par la hausse de surface est souvent négligé. Or, c’est un point qui conditionne les performances de l’exploitation. Plus l’agrandissement est important, plus il faut être vigilant pour éviter les difficultés », souligne Philippe Vivier. Imaginer travailler seul malgré l’augmentation des surfaces n’est parfois pas plus crédible que de compter sur l’aide durable d’un père âgé. Et s’il faut embaucher pour faire face à l’agrandissement, l’opération peut vite s’avérer calamiteuse.

« Il faut absolument tenir compte du parcellaire et des distances par rapport à l’exploitation actuelle », recommande également l’expert. Si les parcelles reprises ne sont qu’à 10 kilomètres du siège mais qu’il faut traverser une agglomération, l’agrandissement perd de l’intérêt tant l’organisation des chantiers va se complexifier. Autre point crucial si on s’agrandit : sécuriser les charges de l’exploitation. Les conséquences économiques d’une panne sur un tracteur de tête en plein semis seront plus lourdes à 300 hectares qu’à 150 hectares. Cette sécurisation passe par un renouvellement et un entretien régulier du matériel.

4) Quid de l’exploitation dans les dix ans ?

L’âge du chef d’exploitation peut parfois sceller l’intérêt d’un agrandissement. Il faut anticiper très tôt les successions et les projets des enfants. S’agrandir à 55 ans a-t-il du sens si aucun des enfants ne se destine à reprendre le flambeau ? À l’inverse, si on agrandit une exploitation pour la transmettre à un enfant en particulier, qu’a-t-on prévu pour les autres ? « Lorsque la question de la transmission est négligée, on observe souvent des difficultés durables au sein des familles », prévient Philippe Vivier.

Autre dilemme : plus les systèmes céréaliers sont grands, plus ils sont difficiles à transmettre. Or les exploitations de plusieurs centaines d’hectares mobilisent des capitaux qui dépassent rapidement le million d’euros, pour une faible rentabilité. Dans ces situations, la constitution d’une holding ne résout rien : « c’est un schéma pertinent si l’exploitation dégage de la rentabilité et si l’entente familiale est parfaite », prévient Philippe Vivier. Dans le cas contraire, c’est là aussi un ferment de discorde familiale.

Aux yeux des autres enfants, ces montages peuvent apparaître comme des outils qui privilégient le frère agriculteur mais qui bloquent des capitaux offrant une faible rémunération. Ils peuvent se sentir lésés. « Plus que l’agrandissement, se constituer un patrimoine constitué de terres et d’actifs non agricoles permet de transmettre son patrimoine équitablement à l’ensemble de ses enfants », recommande l’expert. Il faut pour cela une succession de bonnes années : pour la paix des familles, souhaitons que le prix du blé reste durablement élevé !

L'agrandissement en chiffres

En 2018, la SAU moyenne des exploitations orientées principalement vers les céréales et oléoprotéagineux et grandes cultures spécialisées (Otex 15 et 16) avoisinait 125 hectares, contre environ 100 hectares en 2000 et 120 hectares en 2010 (source Rica). Les très grandes exploitations valorisent désormais 36 % de la SAU française. Ces agrandissements s’accompagnent d’une diminution du nombre d’exploitations et d’un développement des formes sociétaires, en particulier des EARL. Les fermes combinant cultures et élevage sont de moins en moins nombreuses (-22 % entre 2010 et 2016) alors que les grandes cultures représentent près de la moité de la SAU française.

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