Face à la crise, six défis à relever pour l’Europe du vin
Les priorités pour faire face à la crise engendrée par la Covid-19 ont été évoquées le 2 décembre 2020 lors d’un e-débat organisé par les coopératives viticoles françaises, italiennes et espagnoles et le think tank Farm Europe. Les défis à relever ne manquent pas.
Les priorités pour faire face à la crise engendrée par la Covid-19 ont été évoquées le 2 décembre 2020 lors d’un e-débat organisé par les coopératives viticoles françaises, italiennes et espagnoles et le think tank Farm Europe. Les défis à relever ne manquent pas.
Alors qu’une nouvelle année commence et que la crise de la Covid-19 secoue la filière vitivinicole mondiale depuis de longs mois, l’heure est à la définition des priorités pour reconquérir les marchés. Six grands défis se distinguent de la conférence digitale organisée début décembre par les coopératives françaises, italiennes et espagnoles et le wine institute du think tank Farm Europe (1).
1 Se préparer à une concurrence exacerbée
Une analyse de l’impact de la Covid-19 sur le marché mondial du vin présentée par le Nomisma Wine Monitor, montre que sur la période janvier-septembre 2020, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont augmenté leurs ventes de vin à l’export. Une performance alors que tous les autres principaux exportateurs enregistraient des baisses conséquentes.
Denis Pantini, directeur du Nomisma Wine Monitor, pointe comme lieux prévisibles d’une forte concurrence le Royaume-Uni. À ce jour 68 % des importations en valeur concernent des vins européens mais ils risquent une perte de compétitivité face à ceux du nouveau monde (Australie, Chili…).
Aux États-Unis, la taxe Trump pénalise toujours les vins tranquilles européens. Même si l’espoir est revenu depuis la victoire de Joe Biden, le conflit Airbus-Boeing n’est pas encore réglé.
Autre menace, plus récente, celle venue des vins australiens. Leur règne sur le marché chinois est menacé depuis qu’en novembre le gouvernement chinois leur a imposé une taxe antidumping allant jusqu’à 212 %. L’Australie, qui était, en 2019, le premier importateur de vin en Chine (part de 39 % en valeur) va devoir trouver de nouveaux débouchés pour ses vins.
2 Reconstruire des stratégies de ventes
« Nous sommes face à une crise de la demande », souligne Paolo de Castro, eurodéputé italien. « Cela prendra au moins deux ans pour relancer la dynamique de la demande », estime Farm Europe. Le vin n’étant pas un produit de première nécessité, il est plus vulnérable dans un contexte de crise économique, rappelle Denis Pantini. Les habitudes de consommation ont profondément changé, ce qui peut rendre encore plus tortueux le chemin de la reprise.
L’incertitude sur le tourisme et la restauration reste totale. Nomisma Wine Monitor souligne que pour les pays où la restauration est un canal de consommation de vin majeur (plus de 30 %), la reprise risque d’être plus longue à venir. Japon, Espagne, Italie et France sont dans ce cas. Les vins AOP, plus présents en restauration, pourraient aussi davantage souffrir.
À l’export, la tendance est plutôt à une montée des barrières douanières. Les accords de libre-échange signés entre l’Union européenne et le Canada, et le Japon ont pourtant fait leurs preuves pour l’essor des exportations de vins. « Nous avons besoin de davantage de diplomatie européenne », plaide l’eurodéputé Paolo de Castro.
Les entreprises interviewées par Nomisma sur l’évolution probable de leurs différents canaux de vente en 2020 par rapport à 2019, sont 91 % à estimer que leurs ventes baisseront en restauration, et 63 % à l’export.
3 Préserver la valeur des vins
Le spectre d’une dévalorisation des vins inquiète Pau Roca, le directeur général de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV). Il rappelle qu’au premier semestre 2020, la chute de la consommation mondiale en valeur (12,4 %) a été plus forte que celle en volume (6,7 %). Il voit dans le rétrécissement des marchés et l’accumulation des stocks, le risque d’une chute des prix. Mais la situation est variable selon les marchés. Denis Pantini, du Nomisma Wine Monitor, observe que les ventes de vins de luxe ont augmenté aux États-Unis durant le confinement.
Farm Europe décrit l’année qui débute « non pas comme une année de reprise pour les vins européens mais plutôt comme une année de vigilance pour éviter un déséquilibre excessif du marché ». Les eurodéputés participant au débat soutiennent donc la poursuite des mesures d’urgence. « Pour la prolongation des mesures de crises, je demanderai un peu de patience mais il pourrait y avoir un effet rétroactif », leur a répondu Maciej Golubiewski, chef de cabinet du commissaire européen à l’Agriculture.
4 Renforcer l’essor du digital
Les ventes en lignes ont presque partout connu un essor inédit. En Italie, Nomisma Wine Monitor évoque une hausse de 102 % des ventes on-line pour le vin. Comme en France, il est à noter qu’une part très notable de la hausse se réalise via les enseignes de grandes surfaces (+147 %), notamment en Drive, et que la croissance est un peu moins forte pour les sites spécialisés (+95 %). Aux États-Unis, sur la période 8 mars-18 avril 2020 Nomisma cite une hausse de 234 % en un an pour le e-commerce de vin.
« La numérisation du secteur sera un facteur d’accélération pour sortir de la crise », estime Pau Roca. Il s’agit aussi bien de la digitalisation de la production avec l’apport de l’agriculture de précision que de la commercialisation. Reste le problème des zones rurales à désenclaver digitalement.
5 Investir dans la promotion et le marketing
L’aide à la promotion pays tiers prévue par l’OCM vitivinicole a été flexibilisée à l’automne 2019, rappelle l’eurodéputée Anne Sander. La ministre italienne de l’Agriculture, Teresa Bellanova, juge essentiel de soutenir un « programme de promotion important valorisant le style de vie et les territoires sans négliger la durabilité qui est liée à la production de vin ».
Au sein du Parlement européen, la communication sur le vin ne va cependant pas de soi. « Des collègues se positionnent contre la communication sur le vin pour des questions de santé publique. Il faut combattre ces critiques », estime l’eurodéputée Clara Aguilera. « L’œnotourisme rapproche les consommateurs et les producteurs. Il faut avoir des ressources de promotion pour inciter à visiter les caves », surenchérit Paolo de Castro.
6 Poursuivre les investissements structurels
Jusqu’ici, l’aide européenne a été financée par les programmes nationaux d’aide et complétée dans certains États par des aides nationales. Autant d’argent soustrait aux investissements structurels.
« Il n’y a plus rien à déplacer dans les programmes nationaux », constate l’eurodéputée Clara Aguilera, en réclamant la nécessité de fonds spécifiques. Elle souligne que de futures règles environnementales vont augmenter les coûts de production. Pour elle, il est important que les futurs plans stratégiques nationaux intègrent des aides environnementales et la gestion des risques.
« Il ne faut pas toujours penser à un budget spécifique. Le secteur doit trouver des outils dans les différents programmes qui existent », a indiqué Maciej Golubiewski, chef de cabinet du commissaire européen à l’Agriculture.
Désormais, le secteur viticole pourra avoir accès aux fonds européens qui vont au développement rural. « Pour le secteur vitivinicole c’est une première », souligne l’eurodéputé Paolo de Castro. « La politique agricole accompagne la ruralité. Il est important que les acteurs viticoles puissent y accéder », renchérit Irène Tolleret, eurodéputée et présidente de l’intergroupe Vin au Parlement européen. Elle tient à souligner que « grâce au travail des parlementaires », les 8 milliards d’euros prévus pour le développent rural par le Plan de relance européen « sont disponibles au 1er janvier 2021 ». Se saisir de ces dispositifs est donc un enjeu pour 2021.
Les défis à relever vus par les entreprises vitivinicoles
La chaire vin et spiritueux de l’Inseec U a présenté lors du salon Vinitech-Sifel Virtual, le 3 décembre, une étude internationale sur la perception de la crise de la Covid-19 par les producteurs de vin réalisée dans 10 pays producteurs auprès de 541 entreprises vitivinicoles de septembre à décembre 2020.
Si la perception globale de l’impact de la Covid-19 est partout très forte, les réactions envisagées par les entreprises diffèrent. Jean-Marie Cardebat, directeur de la chaire vin et spiritueux de l’Inseec U, note le fort poids du management, marketing et vente dans lesquels 30 à 40 % des répondants souhaitent investir pour réagir à la crise. Mais la volonté d’investir sur la vente directe au consommateur et la communication est particulièrement forte dans le nouveau monde (États-Unis Afrique du Sud et Chili).
" Ces pays intègrent la production et la vente (l’aval). En France et en Espagne, on est davantage sur des stratégies amont dans la chaîne de valeur, ce qui est problématique. Il faut intégrer le dernier maillon de la chaîne, c’est-à-dire la vente », considère-t-il.
Sur la perception des défis à relever pour le futur (voir tableau ci-dessous), les questions environnementales et climatiques dominent en France. « Dans le vignoble français, et Bordeaux est très représentatif de ça, la question des pesticides est plus aiguë que dans d’autres pays. C’est le reflet d’un certain retard dans la prise en compte de cette question, et d’une forte pression sociale sur ce point », avance l’économiste. « Les résultats reflètent les business models des pays », souligne-til, en citant le cas du Chili qui montre une extrême sensibilité aux questions des coûts pour préserver sa compétitivité prix à l’export.