Produits cellulosiques
Concurrence entre nutrition animale et méthanisation concernant les écarts de triage des céréales
Le développement des méthaniseurs, soutenu dans le cadre de la politique nationale vers la neutralité carbone en 2050, établit une concurrence qui s’accroît sur certaines ressources de la nutrition animale. Les écarts de triage de céréales sont particulièrement concernés comme tous les produits cellulosiques.
Le développement des méthaniseurs, soutenu dans le cadre de la politique nationale vers la neutralité carbone en 2050, établit une concurrence qui s’accroît sur certaines ressources de la nutrition animale. Les écarts de triage de céréales sont particulièrement concernés comme tous les produits cellulosiques.
Ils sont une dizaine de spécialistes en France de la valorisation par le tri et la granulation des écarts de triage des céréales à destination de la nutrition animale, principalement des aliments pour ruminants. Mais, depuis plusieurs années, ils constatent, avec une inquiétude croissante, l’augmentation du prix de ces écarts sous la pression des méthaniseurs à la recherche de matières premières pour leurs installations. « Dans le grand quart nord-est de la France, nous voyons déjà depuis une dizaine d’années la pression croître avec des opérateurs du Benelux qui viennent chercher très loin des matières premières pour leurs méthaniseurs. Et cela s’accentue avec un nombre croissant d’installations en France », constate Bernard Piot, président du directoire de la société Alpha Pellets. Pour lui, la pression s’est clairement accélérée depuis deux ans. L’arbitrage est simple à comprendre : le pouvoir méthanogène de ces coproduits est de 265 m3 de méthane par tonne contre 85 pour une pulpe de betteraves ou 168 pour une tonne de paille. Même si leur incorporation demande un peu de technicité, notamment car les issues ont tendance à flotter, elles sont encore intéressantes à des prix dépassant la capacité financière de l’alimentation animale.
Des prix multipliés par 3 ou 4 en cinq ans
Surtout que les sociétés granulant ces produits obtenaient des prix d’achat au silo de 25 €/t il y a encore cinq ou six ans. Le prix double régulièrement et encore, quand la matière est là. Touchés plus tard par ces nouveaux équilibres économiques, les opérateurs de l’ouest et du sud-ouest de la France sont clairement inquiets quant à l’avenir de leurs outils. Certains s’interrogent même sur l’opportunité d’actions en justice pour dénoncer le soutien aux investissements dans les méthaniseurs, mais aussi l’aide sur le long terme via le prix de rachat de l’énergie qui perturbe les flux antérieurs de valorisation.
La question est d’importance car c’est tout le secteur des produits cellulosiques à destination des élevages de ruminants qui est concerné. « Les issues, les sons, les menues pailles, les pulpes et les drêches, tous ces coproduits sont avalés par les méthaniseurs », constate Patrice Noémie qui dirige les Etablissements Liot. Avec trois sites à Chatellerault, Saint-Jean-d’Angelys et Pommevic, il collecte normalement 70 000 t d’écarts de triage par an. « Le marché de la cellulose était classiquement lié à celui des céréales. Le risque est grand de voir ces deux marchés se déconnecter avec des surenchères locales parfois invraisemblables comme des contrats à plus de 160 €/t et encore si l'on trouve de la matière ! » Même écho chez Sodem qui granule 4 000 t à 5 000 t d’écarts (soit un tiers de sa production) : « nous risquons de voir ces produits disparaître des formules d’aliments pour animaux », résume Christophe Marchais.
Respecter le hiérarchie des valorisations
Un risque que dénonce le syndicat Valoria des transformateurs d’écarts alimentaires, fervent défenseur de la hiérarchie des valorisations comme l’explique Guy Lannoy, chargé de mission : « l’alimentation animale est une valorisation plus durable que les usages énergétiques. Il n’y a pas opposition mais une hiérarchie à respecter entre les valorisations en alimentation humaine puis en alimentation animale et, enfin, en énergie ». Bernard Margaron, qui copréside le syndicat, sépare bien les aspects structurels avec la croissance du nombre et de la capacité des méthaniseurs, d’une part, de la question conjoncturelle des mauvaises récoltes 2020, d’autre part. « Actuellement, tous les prix s’envolent et il n’y a pas de détente à attendre avant les prochaines récoltes. Il est également vrai que les coopérateurs demandent à leur coopérative que les coproduits leur reviennent plutôt qu’ils soient mis sur le marché. Mais il faut bien voir qu’à long terme, la méthanisation constitue une opportunité pour les produits les moins bien valorisés en nutrition animale pour des questions de propreté ou de risque sanitaire.» Selon lui, seuls les plus grosses installations, qui ont besoin d’issues riches pour compléter leurs apports, établissent des contrats à des prix concurrençant réellement la nutrition animale. Du côté des fabricants d’aliments, c’est la réalité économique qui prime : « quand les fabricants ne trouvent pas de ressource en France, ils font du sourcing ailleurs, c’est leur métier », rappelle, pragmatique, Stéphane Radet du Snia. « Les enveloppes des grains concentrent les résidus des produits de traitement et les mycotoxines », complète Valérie Bris. Certains pays européens envisagent même de sortir les écarts de triage de la liste des matières premières autorisées en nutrition animale.