Comment le Chili compte exporter 750 000 tonnes de cerises en Chine dans deux ans

Le succès foudroyant et désormais massif de la cerise chilienne en Chine est un cas d’école unique au monde en matière de commerce alimentaire. Partis de zéro il y a quinze ans, les exportateurs chiliens ont réalisé aux douanes chinoises, la saison passée (2023-2024), un chiffre d’affaires de 2,24 milliards de dollars en y écoulant 376 000 tonnes de cerises, selon l’association des exportateurs de fruits du Chili, Frutas de Chile. Et encore, des inondations subies en 2023 dans les vallées de la cordillère des Andes avaient alors freiné leurs ambitions. Lors de cette saison 2024-2025 concentrée sur les mois de décembre et janvier, à la veille du Nouvel An chinois, les Chiliens s’apprêtent à toucher le jackpot.

En 2005, le Chili n’exportait pas une seule caisse

« Nos prévisions de volumes de cerises expédiés par bateau du Chili vers la Chine sont de l’ordre de 124 millions de caisses, soit 620 000 tonnes », dévoile Claudia Soler, qui dirige l’unité Cerises de Frutas de Chile. Et ce ne serait qu’un début : « Avec notre verger de cerisiers actuel de 74 000 hectares, si le climat est favorable comme il l’a été en 2024, nous devrions pouvoir exporter en Chine plus de 750 000 tonnes de cerises d’ici deux ou trois saisons », assure-t-elle. De quoi rendre les Argentins envieux. Les cerises rapportent davantage aux Chiliens que tout le blé et tout l’orge de la Pampa vendu aux quatre coins du globe… Alors même qu’en 2005 le Chili n’exportait pas une seule caisse de cerises vers la Chine !

Cette année-là, les deux pays signaient un accord de libre-échange. Dès 2010, les premières cargaisons de cerises du Chili, exonérées de droits de douane, avaient fait une entrée remarquée en Chine avec au final 7 000 tonnes écoulées. Personne n’imaginait que, quinze ans plus tard, ce débouché chinois allait représenter une telle manne. Les importations chinoises de cerises en hiver sont portées par une coutume locale : durant le Nouvel An chinois, on s’offre au sein des familles des beaux fruits, témoignage d’affection et de souhait de bonne fortune. De fait, les Chiliens sont devenus les fournisseurs quasi exclusifs de la Chine en contre-saison, livrant 96 % de ses importations de cerises. L’inverse est aussi vrai : la Chine représente maintenant 91 % des exportations chiliennes de cerises.

Des efforts de promotion déployés en Chine

Claudia Soler s’est rendue en Chine fin novembre, pour accompagner sur place l’arrivage de la cerise chilienne lors du Nouvel An chinois, qui a lieu cette année du 29 janvier au 15 février. La concentration des arrivages sur deux mois implique un tour de force logistique bien huilé. Cette saison promet d’être exceptionnelle. « Le climat dans nos vallées de la cordillère des Andes a été favorable alors que, l’an dernier, des excès de pluies ont limité notre offre. Sur les 74 000 hectares de cerisiers en production au Chili, pas moins de 25 000 hectares ont été plantés de 2019 à 2021. La production de ces jeunes arbres accompagne la demande croissante du marché chinois », explique l’experte.

Celle-ci détaille les efforts de promotion déployés en Chine par la filière chilienne : « Nous y avons financé une campagne multimédia et d’affichage sur la voie publique à hauteur de 7 millions de dollars. Nous sommes présents sur les réseaux sociaux auprès d’influenceurs ainsi que dans les gares d’une vingtaine de villes chinoises. Vu que nous représentons 96 % des imports chinois de cerises, personne d’autre que nous n’en fera la promotion. Donc, nous mettons le paquet. »

Outre le traité de libre-échange signé en 2005, les Chiliens bénéficient de la stabilité économique de leur pays. Celle-ci favorise les investissements, notamment dans les équipements de conditionnement des fruits. Elle avantage également les producteurs de cerises, qui peuvent planifier à long terme. Autre facteur déterminant de la réussite chilienne en Chine, les Chiliens utilisent des bateaux porte-conteneurs express qui traversent le Pacifique en vingt jours au lieu de trente-cinq.

Les Chiliens règnent en maître sur le marché chinois

En comparaison, l’Argentine aussi livre des cerises en Chine, mais seulement 7 000 tonnes en 2023-2024. Car ce pays n’a pas d’accès direct au Pacifique, ni signé de traité de libre-échange avec la Chine. De plus, l’instabilité économique encore chronique de l’Argentine n’a pas permis l’essor d’une filière cerise pour l’export. Les Chiliens règnent donc en maître sur le marché chinois, et ce, même vis-à-vis de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande qui y auraient exporté, respectivement, environ 3 800 et 4 000 tonnes de cerises la saison passée.

« Nous organisons en Chine une série d’activités dans le cadre de la Semaine chilienne à Beijing, Shangaï et Guangzhou, notamment une foire ambulante à laquelle nous inviterons à dîner des importateurs. Nous y ferons aussi la promotion de nos produits auprès du grand public, avec la cerise comme emblème mais aussi le kiwi, la prune, la pêche, le saumon et les viandes. Cette série d’événements se terminera par l’accueil du premier bateau chargé de cerises du Chili, qui devait arriver au port de Guangzhou le 8 décembre », détaille Claudia Soler. La responsable de l’association Frutas de Chile a d’ailleurs été désignée, l’an dernier, marraine d’un bateau de l’entreprise de négoce agroalimentaire chinoise Cofco spécialement destiné au transport de cerises depuis les ports chiliens vers les ports chinois.

Les « Cherry express » du Chili

La solution trouvée pour la logistique de transport des cerises depuis les ports du Chili jusqu’à leur point de distribution en Chine a été fondamentale pour parvenir à une telle pénétration de marché. Cette logistique repose sur l’usage de cargos de conteneurs rapides spécialement affrétés à cet effet. On appelle ces navires les « Cherry Express ». « La durée de la traversée de l’océan Pacifique a été ramenée, grâce à ces bateaux rapides, de trente-cinq à vingt jours, ce qui a considérablement augmenté notre marge de manœuvre pour conserver la qualité premium du fruit, qui ne peut être congelé », décrypte Claudia Soler, de l’association Frutas de Chile. Ces navires ne font pas escale. Ils vont directement des ports chiliens de San Antonio et Santiago du Chili jusqu’à ceux de Shenzhen, Shanghai ou Hong Kong. Pour cette saison 2024-2025, depuis le port de San Antonio, le calendrier prévoyait dix-sept frets maritimes de cerises vers la Chine. Le premier de ces bateaux est parti le 18 novembre. Depuis Santiago du Chili, le premier « Cherry express » est parti quelques jours plus tôt et est arrivé au port de Guangzhou le 8 décembre.