États généraux de l’alimentation
Un plan de filière ambitieux pour les caprins
Le plan de filière caprin veut pérenniser la production de lait, améliorer la compétitivité des élevages, mieux prendre compte les attentes sociétales et développer la viande caprine.
La filière caprine s’est rassemblée dans le cadre de l’Anicap et d’Interbev pour présenter un même contrat de filière intégrant le lait et la viande de chèvre. Ce plan avait été demandé aux interprofessions par Emmanuel Macron lors de son discours du 11 octobre à Rungis dans le cadre des États généraux de l’alimentation. Chaque filière avait jusqu’au 10 décembre pour rendre un document contenant un diagnostic de sa situation de marché, des propositions pour évoluer et des engagements des acteurs impliqués. « Nous avons repris les éléments que nous avions élaborés pour le plan de sortie de crise, explique Jacky Salingardes, le président de la Fnec et de l’Anicap. Nous y avons surtout ajouté la partie viande et la concertation avec les ONG et la distribution ».
L’élaboration du plan s’est faite « dans un esprit de consensus » et la filière caprine a remis au ministère de l’Agriculture un épais document de 54 pages qui liste ses ambitions pour l’horizon 2022. Pour le lait, la filière veut améliorer l’attractivité du métier d’éleveur pour pérenniser la production française et limiter le recours aux importations. « Les consommateurs français cherchent de plus en plus à consommer local, ce qui incite les distributeurs à proposer des produits avec du lait de chèvre d’origine française dans les fromages », analyse le document. Or, face au vieillissement de la population d’éleveurs caprins, une dynamique d’installation est à retrouver pour le renouvellement des générations. « Au niveau national, 1 770 exploitations, soit le quart des exploitations, sont à transmettre dans les 5 à 10 ans », rappelle le plan de filière. En plus des efforts d’accompagnement sur l’installation et la transmission, l’Anicap veut promouvoir le métier d’éleveur caprin et défendre une diversité de modèles et de formes d’organisation du travail sur les élevages. Ainsi, « un programme va être engagé dès début 2018 sur le travail en exploitation caprine laitière et fromagère fermière avec pour objectif d’aider les éleveurs à améliorer les conditions et l’organisation du travail au quotidien sur leur exploitation, mais aussi à simplifier leurs pratiques ».
Encourager l’export, les AOP, la bio et les fromages fermiers
Répondant à la demande spécifique du ministère, l’Anicap encourage aussi une montée en gamme de ses produits même si le segment du fromage de chèvre est déjà un segment haut de gamme du marché du fromage. La filière espère ainsi augmenter les ventes de chèvre sous appellation de 10 % en cinq ans et la production de lait biologique de 30 %. La production fromagère fermière doit également être encouragée et la filière souhaite maintenir le niveau des fabrications fermières à 20 % des fabrications totales de fromages de chèvre. Pour les fermiers, l’Interprofession en profite pour rappeler l’intérêt d’adapter la réglementation hygiène et étiquetage à l’échelle des ateliers fermiers.
Le marché du fromage de chèvre étant désormais mature en France, la filière veut encourager l’exportation en poursuivant ses programmes de promotion vers l’Allemagne et États-Unis. Elle s’est fixé un objectif d’exporter 27 % de ses fromages d’ici 2022 contre une estimation de 20 % en 2011. Pour mesurer cet export, l’Anicap demande le retour de la ligne spécifique aux fromages de chèvre, supprimée en 1992, dans la nomenclature douanière.
Tous les éleveurs dans le Code mutuel en 2022
Dans son plan de filière, l’Interprofession caprine s’engage fortement pour mieux prendre en compte les attentes sociétales. Sur la question du bien-être animale, « la filière laitière caprine a pour objectif d’entraîner l’ensemble de ses opérateurs dans une dynamique d’amélioration des pratiques volontaire et mesurée, qui tient compte des contraintes du métier ». Les thématiques concernées sont diverses : concertation avec trois associations welfaristes (Welfarm, CIWF et LFDA), travaux sur le bâtiment comme facteur d’amélioration du bien-être animal, programmes de recherche, définition d’indicateurs d’évaluation du bien-être animal…
L’interprofession veut aussi faire évoluer le Code mutuel de bonnes pratiques en élevage caprin d’ici fin 2019 pour un déploiement sur le terrain entre 2020 et 2022. L’objectif est que 100 % des éleveurs, livreurs et fermiers, soient dans ce référentiel d’ici fin 2022. La nouvelle version du code intégrerait des indicateurs de bien-être animal ainsi qu’une évaluation de son empreinte environnementale à l’aide de Cap2eR, outil qu’il reste à adapter aux caprins. Ces engagements des éleveurs dans une démarche de responsabilité sociétale et environnementale se poursuivraient au niveau des entreprises dans une charte de bonnes pratiques.
L’interprofession veut pouvoir parler librement
Dans son plan, l’Anicap entend bien poursuivre et encourager la mise en place de la contractualisation et des organisations de producteurs. Mais pour cela, elle demande une vraie évolution du droit européen de la concurrence pour pouvoir s’exprimer sur les volumes, et donc indirectement sur les prix, sans risquer d’être accusée d’entente sur les prix. Elle veut aussi avoir la liberté de discuter et de formuler des recommandations pour limiter les comportements opportunistes qui amplifient la volatilité des prix.
L’Anicap liste aussi les travaux de recherche et développement qu’elle souhaite accompagner dans ces prochaines années : réduction des intrants, bâtiment de demain, systèmes herbagers, éthologie (comportement des chèvres), technologie fromagère et génétique. Ambitieuse pour la génétique, la filière espère une progression de 20 % d’ici 2022 du nombre d’éleveurs inséminant leurs chèvres. Pour améliorer la compétitivité des élevages, la filière souhaite aussi que la moitié des élevages dispose d’un bilan de gestion technico-économique à l’horizon 2022.
Multiplication des concertations avec l’extérieur
Au vu de ses projets, l’Anicap veut se donner plus de moyens, notamment en rééquilibrant la cotisation volontaire obligatoire entre l’amont et l’aval. Elle veut aussi ouvrir davantage ses réflexions aux organismes extérieurs en créant des comités de liaisons avec les représentants du commerce et de la distribution, les associations welfaristes, les associations environnementales, les associations de consommateurs, les représentants des appellations d’origine, la production biologique et les acteurs de la recherche et développement. Ces comités serviront d’abord à présenter le plan de filière avant le salon de l’agriculture comme le demande le gouvernement. Cet échange est un préalable avant de répartir les cinq milliards d’euros du plan d’investissement entre la trentaine de plans de filières envoyés par les interprofessions.
Au-delà de l’aide financière, la filière attend surtout une meilleure répartition de la valeur grâce à de meilleures relations avec la grande distribution. Pour Jacky Salingardes, président de l’Anicap, « les États généraux de l’alimentation ont eu le mérite de faire parler les gens entre eux et de redonner du sens au métier de la production. Et si on veut redonner de la valeur à nos métiers et donner envie à des jeunes de s’installer, il faut que les producteurs aient un revenu en accord avec le travail qu’ils fournissent. »
Une feuille de route pour les cinq ans à venir
Faire reconnaître la viande caprine pour lui donner plus de valeur
Une large partie du plan de filière est consacré à la viande caprine. « L’enjeu est de taille car il s’agit, en rééduquant le consommateur, de passer d’un sous-produit de l’élevage à un vrai produit de valeur », résume Jacky Salingardes. Pour répondre aux attentes sociétales, la filière va intégrer la démarche d’Interbev de pacte pour un engagement sociétal qui se traduit par une concertation avec les ONG et les consommateurs. La viande de chevreau pourrait monter en gamme grâce à prix du chevreau naissant suffisamment élevé pour que l’éleveur trouve un intérêt à prodiguer des soins suffisant à la naissance. Une charte des bonnes pratiques d’engraissement du chevreau intégrerait des critères de bien-être animal, de qualité sanitaire, de respect de l’environnement. Les éleveurs respectant cette charte pourraient obtenir une plus-value dans un cadre contractuel. La filière caprine entend également investiguer les différents leviers permettant d’améliorer la qualité bouchère des chèvres de réforme en travaillant sur la gestion des réformes en élevages laitiers, le retour d’information sur les saisies en abattoirs et également la collecte et la transportabilité des chèvres. Interbev appelle d’ailleurs à « maintenir les abattoirs de proximité ou toutes autres formes d’abattage innovant permettant d’améliorer la proximité géographique entre l’éleveur et l’abattoir ».
Développer de nouveaux modes de consommation
Pour retrouver de la valeur dans la filière viande caprine, Interbev propose de faire redécouvrir la viande caprine au consommateur. La viande de chevreau a besoin d’une demande renouvelée et les campagnes de promotion amorcées visent à améliorer la présence à l’esprit du produit et augmenter la visibilité du chevreau en points de vente. La section caprine d’Interbev a aussi conscience que la viande de chevreau souffre d’une présentation peu valorisante (quart ou demi-chevreau en barquette) et pas adaptée aux nouveaux modes de consommation. Elle souhaite donc mobiliser des budgets de recherche et développement pour élaborer de nouveaux produits en portion individuelle, à durée de vie plus longue ou de meilleure présentation.
Enfin, la filière propose de reconquérir l’engraissement du chevreau en ferme en ayant, par exemple, recours au croisement de races à viande et en améliorant sa valorisation de l’éleveur jusqu’au consommateur. La mise en place du Casdar Valcabri pourrait l’y aider.