Parasitisme
Préservons l’efficacité des anthelminthiques !
La gestion des nématodes gastro-intestinaux par les anthelminthiques doit désormais intégrer la problématique de la résistance aux molécules de synthèse.
Face au parasitisme digestif par les strongles gastro intestinaux, la première réponse a historiquement reposé sur une large exploitation de traitements chimiques de synthèse, les anthelminthiques. Trois familles principales d’anthelminthiques sont dites à spectre large, c’est-à-dire efficaces à la fois contre les nématodes gastro-intestinaux et pulmonaires : les benzimidazoles et pro-benzimidazoles, les imidazothiazoles (le lévamisole) et les lactones macrocycliques qui regroupent les avermectines (ivermectine et éprinomectine) et les mylbemycines (moxidectine). Ces molécules anthelminthiques ont été largement utilisées depuis plus de 50 ans. Le closantel est moins utilisé en raison d’un spectre plus étroit qui cible surtout le ver hématophage Haemonchus contortus, à côté d’une efficacité sur les œstres et sur la grande douve.
Le choix des anthelminthiques de synthèse pour lutter contre les nématodes gastro-intestinaux lors du pâturage prend en compte l’efficacité contre les vers parasites. Elle est liée à l’absence de résistance aux anthelminthiques dans l’élevage. Le choix dépend aussi de la durée des délais d’attente « lait ». Les éleveurs cherchent à limiter les conséquences économiques associées aux contraintes réglementaires qui visent à éviter la présence de résidus afin de préserver la santé des consommateurs et conduisent à retirer le lait de la consommation humaine (interdiction d’emploi en lactation ou application de délais d’attente fixés).
Traiter moins mais mieux
Dans les élevages à l’herbe, il y a souvent concordance entre lactation, exploitation du pâturage et donc risque parasitaire accru. Pendant presque 20 ans, seules trois molécules de la même famille des benzimidazoles ont été autorisées en élevage caprin avec un délai d’attente nul pour le lait. En raison des contraintes réglementaires imposées aux autres familles d’anthelminthiques, la dépendance quasi-exclusive à ces trois molécules pour gérer les nématodes gastro-intestinaux a conduit rapidement (dès 1985) à des résistances. Des enquêtes plus récentes (début des années 2000), suggèrent que la prévalence des résistances aux benzimidazoles en élevages caprins avoisinait 70 à 80 % en fonction des régions. Par ailleurs, depuis janvier 2015, les temps d’attente « lait » pour ces trois molécules de benzimidazoles ont été modifiés pour atteindre huit jours ou plus en fonction des molécules.
Les formulations d’éprinomectine sans délais d’attente séduisent
Depuis lors, une lactone macrocyclique, l’éprinomectine apparaît comme la principale molécule de synthèse disponible pour traiter les nématodes gastro-intestinaux en élevage caprin. Cette molécule est attractive car elle a une efficacité préservée sur les vers (et aussi certains ectoparasites) et bénéficie de délais d’attente lait nuls ou faibles.
Autour de cette molécule, l’industrie pharmaceutique a su faire preuve d’innovations en concevant des formulations adaptées, faciles d’emploi telles que les pour-on. Dans un contexte de résistances aux benzimidazoles, ces formulations initialement développées pour les bovins, ont été de plus en plus exploitées en caprins en respectant le principe de la cascade (voir encadré). En outre, l’éprinomectine bénéficie désormais d’une présentation avec une autorisation de mise sur le marché (AMM) spécifique pour les caprins : Eprinex Multi ND, avec un délai d’attente « lait » nul. Enfin, des formulations injectables d’éprinomectine ont été mises au point pour les bovins pour répondre aux questions autour des formes pour-on (voir tableau). Des formes similaires chez les petits ruminants sont attendues.
Premières suspicions de résistances aux lactones macrocycliques
Avec le recul, des revers de médailles ont été constatés en relation avec le mode d’application en pour-on. On observe notamment une plus forte variabilité d’efficacité qui dépend, entre autres, de l’état corporel ou du stade physiologique des animaux ou de leur comportement social. Par exemple, le léchage mutuel entre animaux rend plus complexe la pharmacologie des molécules et la possibilité d’un usage sélectif plus pertinent (voir lettre G de l’encadré Agir). Autres problèmes, sous certaines formes galéniques, certaines avermectines ont montré une écotoxicité, par exemple pour la faune prairiale comme les bousiers, ainsi que des organismes aquatiques.
Les études sur l’éprinomectine conduites chez la chèvre portent pour l’essentiel sur l’efficacité des traitements et les posologies caprines à adapter. Par contre, les données pharmacologiques pour mesurer les résidus dans le lait ou la viande sont moins complètes. Pourtant, ce volet indispensable à la protection des consommateurs reste un pilier essentiel à prendre en compte en médecine vétérinaire.
Enfin, des premiers cas d’efficacités réduites (suspicion de résistances) de lactones macrocycliques ont d’ores et déjà été rapportés vis-à-vis des avermectines mais aussi des milbemycines (la moxidectine) bien que les mentions actuelles restent rares en France.
À ce propos, rappelons l’importance de rendre compte des manques d’efficacité des molécules à l’Agence nationale du médicament vétérinaire. Les éleveurs et vétérinaires peuvent déclarer facilement tous problèmes observés sur pharmacovigilance-anmv.anses.fr.
Vers une gestion intégrée pour réduire le recours aux anthelminthiques
Pour préserver le plus longtemps possible l’éprinomectine comme dernière « munition » thérapeutique actuellement disponible, il paraît nécessaire de l’utiliser « moins mais mieux ». Il est donc nécessaire d’alterner les familles d’anthelminthiques, de cibler les traitements, d’interdire l’arrivée de résistances et de respecter les posologies caprines (voir encadré Agir).
La maîtrise des nématodes gastro-intestinaux passera à l’avenir de plus en plus par une gestion plus intégrée de la lutte contre ces vers parasites, fondée d’abord sur la prévention du risque en diminuant le risque associé au pâturage, par la rotation des pâtures ou l’utilisation de logiciels de gestion du parasitisme. Une autre piste est d’augmenter la résistance des chèvres par l’amélioration de la nutrition, la sélection génétique (mais peu d’études actuelles sur la résistance génétique en caprins laitiers) ou le développement de vaccins. Enfin, la lutte intégrée peut chercher à perturber la biologie des vers, notamment par l’exploitation de plantes bioactives.
Agir pour limiter les résistances
Principe de la cascade en élevage caprin
La gestion de la santé en élevages liée à la profession vétérinaire s’exerce dans un cadre réglementaire. Pour traiter les animaux, le vétérinaire doit prescrire en priorité un médicament autorisé, c’est-à-dire disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), décrite pour une (des) espèce(s) animale(s) et pour des indications thérapeutiques identifiées (y compris les posologies).
De manière générale, les AMM spécifiques de médicaments pour les caprins restent rares. C’est en particulier le cas pour gérer les nématodes gastro intestinaux des chèvres au pâturage. Si aucun médicament efficace avec AMM spécifique n’est disponible, il est alors possible de recourir à une autre spécialité en appliquant le principe de la cascade.
Dans le cas de la gestion des nématodes gastro-intestinaux chez les chèvres, le principe de la cascade doit être appliqué sous la responsabilité d’un vétérinaire (avec ordonnance). En priorité, le vétérinaire peut prescrire un médicament autorisé pour un autre animal que la chèvre mais pour la même indication thérapeutique. En l’absence d’AMM, des délais d’attente forfaitaires s’appliquent : sept jours pour le lait et 28 jours pour la viande. En cas d’élevage bio, ces délais d’attente sont à doubler.