Plaidoyer pour rééquilibrer les mamelles
Pierre-Guy Marnet, professeur à AgroCampus Ouest, appelle à prendre davantage en compte la morphologie des mamelles dans la sélection tout en modifiant les réglages des déposes automatiques.
Le calcul des index génétiques privilégie la production laitière et intègre seulement depuis 2012 le niveau de cellules. 30 % du poids de la sélection seulement intervient sur les critères de morphologie. Or, d’autres pays comme ceux d’Europe du Nord présentent des profils morphologiques beaucoup plus homogènes et adaptés à la traite que ce l’on trouve en France. Nous suggérons donc de surpondérer le poids de la morphologie dans l’index combiné caprin en y ajoutant une note sur les équilibres entre demi-mamelles ou tout autre caractère qui lui serait corrélé.
La mesure en ferme des cinétiques d’émission du lait qui se généralise avec le LactoCorder devrait aussi permettre d’inclure le critère de déséquilibre fonctionnel de débit dans les index après vérification de l’héritabilité de ce caractère.
De leur côté, les éleveurs doivent aussi choisir de conserver les meilleures morphologies et les chèvres dont les mamelles ne se déforment pas trop au fil des lactations. Sans être obligatoirement au contrôle laitier, un contrôle avec le LactoCorder ou à défaut une observation rigoureuse de la vidange pourrait aider à diagnostiquer les animaux avec un trop fort déséquilibre de débit. En effet, les cinétiques d’émission du lait sont une forme de signature des animaux et un seul contrôle par an donnera une bonne idée de la caractéristique des animaux. Il permettra aussi de mettre un chiffre de débit moyen sur certaines chèvres qui, trop longues à traire, devront être éliminées du troupeau.
Augmenter le seuil de débit des déposes automatiques
Côté machine à traire, les réglages des systèmes de dépose automatique pourraient aussi être optimisés. La plupart de ceux utilisés en élevages caprins utilisent un seuil de débit de lait sous lequel la coupure de vide est déclenchée. Mais peu d’éleveurs savent répondre à la question : quel est votre seuil de coupure ? Et certains ne connaissent pas les modalités de fonctionnement de cet équipement.
D’origine, les seuils de débit recommandés par les installateurs et fabricants sont souvent compris entre 100 et 200 ml/minute sur les systèmes caprins. Ce chiffre est issu d’une simple division par deux des réglages préconisés en bovins ! Nos travaux montrent qu’augmenter les seuils de débits jusqu’à 400 ml/min limite significativement la congestion des trayons tout en raccourcissant la traite.
Pour des faisceaux trayeurs plus adaptés
Un seuil plus élevé permettrait aussi d’identifier visuellement les mamelles déséquilibrées. En effet, avec un seuil de déclenchement élevé, la traite s’arrêterait dès la vidange de la première demi-mamelle. Ce qui éviterait la surtraite de la glande la plus rapide et laisserait du lait dans la demi-mamelle longue à traire. L’éleveur pourra alors visualiser facilement les chèvres avec un trop fort déséquilibre. Les autres garderaient un peu de lait dans la glande ce qui ne semble pas avoir d’effet sur la production ultérieure si l’animal est sain.
Un effort pourrait également être fourni par les manufacturiers concernant les faisceaux trayeurs. Une harmonisation entre chèvres devrait inciter les fabricants à proposer des faisceaux trayeurs les plus adaptés tant par leur design, leur poids et leurs capacités à transférer de plus gros débits de lait.
Des hypothèses pour une augmentation des cellules
Pourquoi les mamelles seraient-elles plus sensibles ou plus sollicitées aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé en dehors de l’évidente sensibilité qui accompagne l’accroissement du potentiel laitier ?¶
Plus de chèvres, plus de travail, travail bâclé ?
La taille des troupeaux a augmenté de 12 % en 16 ans. Plus les troupeaux sont grand plus les animaux sont traités de façons identiques. Les animaux rapides ou longs à traire ou qui ne correspondent pas aux critères morphologiques adaptés (équilibres des quartiers, formes très diverses des trayons en particulier) et qui nécessiteraient une traite « à la carte » avec plus de précautions à la pose et/ou de surveillance durant la traite, verront leurs problèmes aggravés car le temps de travail et l’attention portée par animal diminuent logiquement.
Cette diminution de temps passé par animal est heureusement compensée par l’évolution des technologies des équipements comme les décrochages (ou déposes) automatiques des faisceaux lors de la traite. Mais ces options ne sont pas encore majoritaires dans les élevages et encore faudrait-il que ces équipements soient bien paramétrés et ce qui n’est pas toujours le cas.
Davantage de lactations longues
Les animaux conduits en lactation longue augmentent en proportion dans les élevages et affichent des comptages cellulaires plus importants. Or, l‘accroissement de la concentration cellulaire est d’autant plus important que les chèvres sont fortement contaminées et enflammées. Et comme les animaux à choisir pour la lactation longue sont souvent les plus fortes productrices, elles sont aussi plus sujettes à de fortes inflammations. Une sélection forte sur les animaux les moins infectés sera nécessaire à mettre en place par les éleveurs engagés dans cette conduite.
Traquer les fortes excrétrices en cas de monotraite
La monotraite n’a qu’un faible effet sur les cellules. Les éleveurs doivent cependant traquer les forts excréteurs qui sont susceptibles de faire croître de façon sensible le niveau moyen de cellules des troupeaux.
Le pâturage affecte le taux cellulaire
Si la pratique du pâturage en élevage caprin est encouragée en France, cette mise à l’herbe est un facteur d’accroissement des cellules. Cela pourrait être dû au déplacement des animaux et au mouvement important des mamelles, ce qui milite ici aussi pour une morphologie améliorée au niveau de l’attache mammaire. Cependant, plus les mamelles sont saines au départ et moins l’augmentation est intense et longue dans le temps.
Des déséquilibres fonctionnels pas forcément visibles
Une mamelle symétrique ne veut pas dire équilibrée en termes de durée de vidange pour autant. Il y a donc là aussi des risques de surtraite. Ces déséquilibres fonctionnels représentent tout de même 10 à 20 % de chèvres en plus des déséquilibres morphologiques qui ne font pas loin de 25 % de plus d’animaux à risque comme nous l’avons mesuré en ferme Pourtant, grâce aux compteurs à lait portables de type LactoCorder, il y aurait des moyens d’identifier les fins de courbes de cinétique d’éjection du lait qui témoignent de ce déséquilibre. Hélas, aucun compteur à lait permet actuellement de récupérer ces cinétiques d’éjection du lait en caprin.
Des trayons qui s’adaptent plus ou moins à la machine
Les formes de trayon (coniques, cylindriques courts ou longs, trayons globuleux) n’ont pas réellement été prises en compte dans l’index morphologique caprin. Pourtant, les formes de trayons sont diverses et s’adaptent plus ou moins bien aux matériels de traite. Cela pourrait donc entraîner des pincements, des torsions, des échauffements et donc accroître les traumatismes des trayons comme les anneaux de constrictions trop souvent observés sur les trayons coniques. Une harmonisation de la forme des trayons intratroupeau serait une bonne chose afin de faciliter le choix des manchons ou type de faisceaux les mieux adaptés à la morphologie principale et ainsi réduire les risques d’agression tissulaires.