« Nous ne vivons pas pour les chèvres »
Après dissolution d’un Gaec à quatre, Sandrine et Vincent Marcenac ont choisi de réduire le cheptel pour améliorer l’autonomie alimentaire et trouver une plus grande tranquillité d’esprit.
Le jour où nous avons chargé nos 100 chèvres sur le camion, fin 2013, on ne faisait pas les malins », se souviennent Sandrine et Vincent Marcenac, éleveurs à Mouret dans l’Aveyron. Sept ans plus tôt, ils avaient constitué un Gaec avec un couple hors cadre familial. Suite à sa dissolution, alors qu’ils abordaient tout juste la quarantaine, ils ont fait le choix de réduire drastiquement le cheptel afin de revenir à une charge de travail raisonnable pour deux personnes et à une plus grande autonomie alimentaire, plutôt que de tenter une nouvelle association ou embaucher un salarié. Une étude prévisionnelle avait montré la pertinence d’une telle option. La fin des prêts JA de Vincent, en 2013, la rendait d’autant plus envisageable. Mais, c’était quand même une décision peu commune. Le troupeau avait compté jusqu’à 380 chèvres mais était déjà revenu à 280 têtes. Il plafonne désormais à 180 chèvres. La famille Marcenac est connue localement pour ses choix souvent avant-gardistes. Les parents de Vincent avaient vendu, en 1981, les ovins viande pour monter un troupeau de 200 chèvres. C’était l’un des plus gros cheptels du département. Même les techniciens étaient effrayés d’un tel nombre. Anciens sélectionneurs en ovins, ils ont beaucoup travaillé la génétique caprine (race Alpine), pratiquant l’insémination artificielle dès 1985. Plus tôt encore, ils avaient été les premiers à se lancer dans l’ensilage.
« Produire du lait économique »
Quand Vincent s’est installé avec ses parents, en 1997, le Gaec a construit une chèvrerie pour 350 animaux et la suite. Un objectif atteint en trois à quatre ans par croît interne. Sandrine s’est installée en 2003 en remplacement de son beau-père et le couple hors cadre familial en 2006 suite au départ de la mère de Vincent. Entre-temps, la surface exploitée avait doublé. Avec 88 ha de SAU, dont 50 ha des prairies de très faible productivité valorisées par une vingtaine de vaches allaitantes, l’exploitation était à peu près autonome en fourrages mais tous les concentrés et la paille étaient achetés. Les éleveurs n’ont jamais eu « la volonté d’aller chercher les mille litres par chèvre », préférant se tenir autour de 800 litres : « notre niveau génétique nous sert à produire du lait économique. Nous préférons avoir des chèvres qui produisent moins mais qui sont moins sensibles sur le plan sanitaire et qui consomment moins de concentrés. » En 2004, le Gaec familial avait construit dans cette optique un séchage en grange avec trois cellules de stockage. Une vision de la production qui explique aussi le choix de réduire le cheptel. L’assolement a été modifié pour réintroduire du maïs grain (4 ha) et des céréales à paille (11 ha) qui sont échangées avec de l’aliment. Leur vente couvre la moitié de la charge en concentrés. Et, l’exploitation est désormais autonome en paille.
« Nous avons beaucoup moins de pression »
« Quand nous étions à quatre, nous avions enlevé le mot astreinte de notre vocabulaire », explique Vincent. Chaque couple disposait d’un week-end sur deux, de deux longues périodes de congés et n’assurait l’astreinte du soir qu’une semaine sur deux. « Nous sommes revenus à un niveau d’astreinte très supportable, ajoutent les éleveurs. Nous sommes très bien équipés. Puis, nous ressentons moins le besoin de partir parce que nous avons beaucoup moins de pression, notamment économique. Nous sommes plus tranquilles et plus sereins qu’à quatre. » La traite dure 50 minutes à deux et la distribution du fourrage, le matin, ne prend pas plus d’un quart d’heure. Le Gaec avait acheté un bol pailleur en 2007 pour mécaniser et mieux gérer la distribution du foin. Le concentré est distribué au roulimètre. Le paillage n’est effectué que trois fois par semaine. Le dynamisme de la Cuma locale a également pesé dans leur décision. Elle emploie trois salariés qui interviennent aussi dans les exploitations, comme un groupement d’employeurs. Ce qui leur permet de continuer à partir en vacances. Cette disponibilité a permis de prendre du recul sur la conduite de l’exploitation. Vincent Marcenac, qui n’a « jamais labouré de [sa] vie », explore depuis deux ans l’agriculture de conservation (semis direct et implantation de couverts végétaux entre les céréales à paille).
« La qualité de vie, ça n’a pas de prix »
Sur le plan économique, passer de plus de 200 000 litres de lait (livrés à Terra Lacta) à un peu plus de 130 000 litres a bien évidemment fait chuter le chiffre d’affaires. Mais, le lait est mieux payé qu’au début des années 2010. Les charges proportionnelles ont baissé tout comme les charges de structure, de par l’allégement des annuités (celle du séchage se terminait en 2019). La marge brute globale n’a perdu que 20 000 € (de 82 000 à 62 000 € en moyenne sur trois années avant et après la baisse du cheptel). La marge brute par chèvre et par mille litres s’est améliorée (respectivement 373 € et 486 € en moyenne sur trois ans avec l’effectif actuel). L’excédent brut d’exploitation est passé de 95 000 à 65 000 euros, avec une bonne efficacité économique (38 % d’EBE/produit brut) et un revenu disponible de 38 000 euros. De plus, face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents, baisser le cheptel a permis de sécuriser le système. Et si c’était à refaire ? « Sans hésiter, affirment Sandrine et Vincent Marcenac. La qualité de vie, la tranquillité d’esprit, ça n’a pas de prix. Nous ne vivons pas pour les chèvres. Ce sont les elles qui nous font vivre. »
Chiffres clés 2017
Des équipements surdimensionnés mais amortis qui donnent de la souplesse
La case inoccupée du bâtiment est utilisée pendant deux mois et demi pour engraisser les chevreaux (10 kilos carcasse), vendus à des bouchers, restaurateurs et particuliers. Les éleveurs en achètent à une semaine tellement la demande est forte. Ils en ont engraissé 180 l’an dernier. Le niveau génétique de l’élevage lui permet de valoriser beaucoup d’animaux à la reproduction via la Coopérative de chevriers du Rouergue. Toutes les chevrettes sont conservées, dont 50 issues de l’insémination pour le renouvellement et 60 à 70 pour la vente. Vingt à vingt-cinq boucs sont également vendus. Régulièrement, certains partent à l’insémination. Les cellules de séchage ne sont pas pleines non plus. Mais, cela donne de la souplesse pour rentrer beaucoup de foin à la fois et gérer les différentes coupes (prairies à base de luzerne, fétuque et trèfle blanc). Le bol pailleur (12 m3) peu usé vu qu’il ne distribue que du foin, devrait permettre de « finir la carrière ». Seul, le roulimètre commence à donner des signes de faiblesse. Desservant aussi l’aire des boucs et chevrettes, tout le bâtiment devra être rééquipé.