L’effet bouc à la chèvrerie du lycée agricole de Melle
La chèvrerie du lycée agricole de Melle, dans les Deux-Sèvres, sert de support pédagogique pour les étudiants et de base de données pour la recherche. Les chevriers détaillent la reproduction sans hormone utilisée sur le troupeau caprin bio.
Répéter, réexpliquer, remontrer. Entre la conduite du troupeau caprin et les démonstrations aux étudiants, Charline Laguzet ne s’ennuie pas. Il y a deux ans, elle reprend la gestion du cheptel caprin du lycée agricole Jacques Bujault à Melle, dans les Deux-Sèvres. Le troupeau de 250 chèvres alpines et saanens venait alors d’être certifié bio. Peu après, le lycée a pris la décision de désaisonner tout le troupeau afin de ne garder qu’une seule période de mise bas.
« La réduction de la taille du troupeau lors du passage en bio a permis d’alléger la charge de travail pour mieux se concentrer sur la reproduction, qui est complètement différente en bio, explique la chevrière. Sans l’utilisation d’hormones, la reproduction désaisonnée est plus complexe, mais les travaux sont plus intéressants techniquement pour les étudiants et pour nous aussi ! »
En effet, le tarissement l’été donne l’occasion aux étudiants de voir les inséminations animales en avril, et aux employés de récupérer leurs heures. Le lait est également mieux valorisé en hiver.
Le lycée embauche en moyenne deux personnes rien que pour l’atelier caprin. L’exploitation élève également 50 vaches parthenaises et 200 moutons vendéens, sans compter la transformation d’une petite partie du lait de chèvre produit en fromages.
80 % de réponse à l’effet bouc
Pour synchroniser les chaleurs sans avoir recours aux hormones, le lycée utilise l’effet bouc. Sur les trente boucs présents, les deux tiers sont vasectomisés et utilisés uniquement pour induire les chaleurs. Les autres sont équipés de tabliers pour les empêcher de saillir. « Les boucs entiers représentent une certaine charge de travail car il faut changer le tablier et le désinfecter entre chaque bouc. On a donc opté pour la vasectomie d’une partie des mâles, mais ils ne servent qu’une fois dans l’année et représentent un coût financier important. »
Un bouc est introduit pour dix chèvres. Les marques sont relevées dix jours après, pour identifier les chèvres qui iront à l’insémination animale (IA). « On a 80 % de réponse à l’effet mâle donc ça représente pas mal d’inséminations animales, souligne Charline. On est satisfaits de nos résultats. »
La préparation des mâles est cruciale pour que la synchronisation fonctionne bien. Les boucs sont mis à l’écart des chèvres au moins deux mois avant la reproduction. « Au lycée de Melle, la configuration des bâtiments fait qu’ils peuvent encore s’entendre et se sentir, donc il y a une voie d’amélioration à ce niveau-là. »
Être présent à la reproduction
À la reproduction, les femelles sont tout de suite retirées du lot après avoir été marquées. « On veut éviter que le bouc se concentre sur une même chèvre et s’épuise bêtement. » Il y a une rotation des boucs entiers tous les deux à trois jours pour les économiser, car ils doivent assurer les retours ensuite.
« Les travaux pratiques rendent les boucs plus dociles »
« Sans l’utilisation d’hormones, les chèvres n’expriment pas autant le comportement de chaleur et il faut un grand nombre de boucs. Le fait d’être dans un lycée et d’avoir des interventions en travaux pratiques régulièrement avec les boucs les rend plus dociles, ce qui allège le travail de contention et de pose des tabliers, admet l’éleveuse de 24 ans. En revanche, pour des éleveurs classiques, les boucs entiers peuvent représenter une charge de travail supplémentaire. »
Des tests sur l’alimentation des chevrettes
À la mise bas, le lait des mères est distribué en seaux multitétines matin et soir. Le colostrum n’est pas thermisé car historiquement indemne du Caev. « Il faut être particulièrement vigilant avec la température, la qualité et la quantité du colostrum pour limiter la propagation de potentiels agents pathogènes. »
Différents tests sur l’élevage des chevrettes sont mis en place, notamment pour l’élevage sous les mères et la distribution de lait acidifié. « En augmentant l’acide lactique du lait, les agents pathogènes sont moins efficaces », indique Émilie Bonneau-Wimmer, enseignante en zootechnie au lycée. « Toutefois, cette méthode ne fonctionne pas pour le Caev ni pour les mycoplasmes, ajoute la chevrière. Les essais à Melle n’ont pas été concluants car nous n’avions pas les conditions adaptées. La température varie, la texture trop épaisse du lait bouche les tétines et brasser le lait prend du temps. Nous n’avions pas assez de recul sur la technique pour la maîtriser. »
S’inscrivant dans un objectif d’amélioration, la ferme est inscrite au contrôle laitier simplifié et effectue sept contrôles par an. En parallèle sont réalisés des essais tous les ans pour différents organismes de recherche comme l’Inrae.
« Exprimer leur comportement naturel »
La chèvrerie de Melle enrichit le milieu de ses animaux, surtout celui des chevrettes, plus joueuses et plus petites. « L’enrichissement permet de répondre aux besoins des chèvres, pour qu’elles puissent exprimer leur comportement naturel. »
Dans l’enclos des chevrettes, on découvre des bidons, des plateformes, des bascules ou encore des brosses. « Changer les équipements peut vite prendre du temps donc il faut adapter les enrichissements en prenant ce critère en compte », rappelle la professeure.
Transformer pour mieux valoriser
En septembre 2023 a ouvert la fromagerie du lycée de Melle. Rochelle Béguier a été embauchée pour assurer la transformation et la commercialisation des fromages frais, de la tomme, des yaourts et autres produits du lycée. « Construit en 2018, l’atelier pédagogique était d’abord ouvert à temps partiel et géré par le centre de formation agricole, mais il y a eu une volonté d’y travailler en continu pour y développer de bonnes bactéries », explique la fromagère.
L’objectif est de transformer 25 000 à 30 000 litres des 210 000 litres annuels produits sur la ferme. Le reste est livré à la laiterie coopérative Terres de Sèvres.
La boutique livre les produits aux commerçants et restaurateurs du coin et fait de la vente directe deux jours par semaine. La fromagerie projette également d’avoir un stand au marché de producteurs de Melle le vendredi.
« Rester productif et pédagogique »
Le passage à l’agriculture biologique a modifié les pratiques du lycée agricole de Melle. Explications de Denis Boulenger, chef d’exploitation de la ferme du lycée.
« Dès mon arrivée en tant que directeur en 2015, nous avons entamé les démarches de transition à l’agriculture biologique sur l’exploitation. Le système était basé sur des cultures de maïs et de blé, fortement dépendant à l’achat d’engrais azotés. Sur l’atelier caprin, nous achetions la totalité de l’alimentation. Nous avons été finalement obligés de repenser la conduite pour gagner en efficacité. D’un point de vue pédagogique, le nouveau système est plus adapté à l’apprentissage des étudiants, de la troisième au BTS, tout en restant un lieu commun de production. D’un point de vue technique, l’exploitation est une véritable boîte à outils, aux pratiques diverses et enrichissantes pour les salariés. C’est une façon différente de travailler, la charge de travail ne s’est pas alourdie car nous avons diminué la taille du cheptel caprin par exemple, ainsi que les surfaces en culture, pour augmenter celles en prairie. Finalement, la diversité de nos activités nous octroie une meilleure adaptabilité face à l’avenir et à l’instabilité des événements climatiques. »