L’agriculture, une aventure collective
L’agriculteur n’est pas tout seul et, souvent, il est même plus fort en groupe. En plus de l’intérêt économique, le travail à plusieurs permet un enrichissement né de l’échange humain.
L’agriculteur n’est pas tout seul et, souvent, il est même plus fort en groupe. En plus de l’intérêt économique, le travail à plusieurs permet un enrichissement né de l’échange humain.
Tout commence à la nuit des temps où les premiers agriculteurs ont décidé d’unir leurs intelligences et leurs forces de travail pour cultiver des céréales à grande échelle », expliquait Éric Birlouez, sociologue de l’agriculture et de l’alimentation, en présentation du Salon de l’agriculture 2018 qui avait pour thème « l’agriculture, une aventure collective ». « En France, l’agriculture a été une activité collective jusqu’à une date très récente dans le sens où elle était pratiquée par une très large fraction de la population ». En 1955, 31 % des actifs travaillaient encore dans le secteur agricole contre 3 % aujourd’hui. Ce collectif venait aussi du fait que tous les membres de la famille cultivaient des champs et s’occupaient des animaux. C’est bien différent aujourd’hui où deux conjointes d’agriculteurs sur trois exercent une activité professionnelle à l’extérieur. « À mesure que déclinait le modèle ancien, le collectif revêtait de nouvelles formes, poursuit le sociologue. Prolongeant les traditionnels réseaux d’entraide, les agriculteurs se sont regroupés en organisations professionnelles, coopératives, syndicats, banques, Cuma, Gaec, sociétés ou groupements… »
Un partage du travail, de l’astreinte et des décisions
La première forme de travail collective est l’entraide. « Je te passe du fumier, tu me sèmes mon champ ». « Tu travailles deux heures chez moi ; je viens t’aider deux heures chez toi ». Ces échanges de services, équitables et informels, régissent beaucoup de relations entre voisins agriculteurs. Ce troc de bons procédés, basé sur l’échange de temps ou de matériels, nécessite cependant un certain apprentissage de son fonctionnement.
Parmi les formes sociétaires d’exploitation, le Gaec permet aux agriculteurs de se regrouper en partageant les investissements et les décisions. Au-delà des avantages de la structure juridique, le travail en Gaec peut être un outil de développement et de promotion de la personne dans et par le groupe. « Dans les exploitations d’élevage, le partage du travail et de l’astreinte permet de partir sereinement en étant remplacé par un associé aussi impliqué que soi, apprécie Alexandra Villarroel, chargé de mission relations humaines au sein de Gaec et sociétés. On est aussi moins seul face aux décisions stratégiques ».
Se faire accompagner régulièrement pour faire durer le Gaec
Mais travailler ensemble n’est pas forcément inné pour tout le monde. Au-delà d’un certain état d’esprit collectif et d’une culture du compromis, de bonnes pratiques permettent de travailler plus facilement ensemble. « Dès le début, il faut prendre le temps de se donner des règles à travers un règlement intérieur que l’on peut réinterroger à chaque assemblée générale », recommande Alexandra Villarroel. Des réunions régulières et formalisées (avec rédaction d’un compte-rendu) permettent aussi de fixer des espaces de discussion en dehors de l’urgence. « Le Gaec est très engageant puisqu’on partage les décisions, le travail et les résultats. Il est nécessaire de prendre le temps régulièrement pour se dire les choses et s’écouter ». Se faire accompagner par un œil extérieur peut alors permettre de mettre de l’huile là où ça coince. « Dans notre Gaec à six, nous appelons un cabinet extérieur tous les cinq ans environ, explique Dominique Chapolard, secrétaire général de Gaec et sociétés. L’accompagnateur vient plusieurs fois de suite et nous remettons à plat nos habitudes et notre organisation ». L’arrivée ou le départ d’un associé ou une modification importante de la ferme (création d’un atelier, passage au bio…) sont souvent l’occasion de se réinterroger sur ce qui est important pour chacun. Et la présence d’un accompagnant facilite alors l’expression de chacun.
Les coopératives collectent près de deux litres de lait de chèvre sur trois
Les agriculteurs ont aussi su jouer collectif dans la commercialisation des produits. La première coopérative agricole est née en 1888 à Chaillé, en Charente-Maritime, pour commercialiser du lait en surplus. Depuis, le modèle de coopération s’est développé avec toujours l’idée d’être plus fort à plusieurs. Aujourd’hui, 75 % des agriculteurs sont engagés dans au moins une coopérative. En regroupant des investissements matériels et humains, en mutualisant la recherche et le développement, en créant des marques reconnues mondialement, les coopérateurs ont su créer des outils collectifs qui permettent de faire à plusieurs ce que l’on ne peut pas faire seul. Face à une grande distribution et des transformateurs très structurés, le regroupement des agriculteurs est le moyen d’augmenter son poids dans les négociations. Le secteur coopératif français est composé d’entreprises allant de la taille d’une PME à celle d’une multinationale. En 2017, près des deux tiers du lait de chèvre collecté en France l’a été par une coopérative (275 millions de litres sur les 425 collectés selon l’Institut de l’élevage).
Autre forme de travail en commun, les Cuma (Coopérative d’utilisation de matériel agricole) permettent de se retrouver sur un territoire et de mieux maîtriser les coûts de production. Comme le poste mécanisation représente en moyenne 19 % des charges totales, investir ensemble dans des machines permet de partager l’utilisation et l’investissement de matériels qui ne servent individuellement qu’assez peu. Un autre moyen d’être plus fort ensemble.
Plus fort ensemble
Avis d’éleveur : Luc Vermeulen, président de la FNCuma
« Des Cuma pour partager la charge matérielle sur un territoire »
« La Cuma apporte une réponse en termes de maîtrise de charges de mécanisation à condition de savoir optimiser l’utilisation du matériel. Au-delà de cet aspect financier, c’est surtout un lieu de vie où les femmes et les hommes partagent et construisent ensemble des projets en lien avec leur exploitation et leur territoire. Les 12 000 Cuma de France ont en moyenne 25 adhérents chacun. C’est presque un agriculteur sur deux qui est concerné. Nos Cuma emploient 4 700 salariés et ne comptent pas moins de 250 000 machines ou outils agricoles. Les Cuma facilitent aussi l’installation en diminuant l’investissement matériel des jeunes et en permettant un meilleur partage des expériences entre générations. »
Trois formes juridiques pour s’associer
La moitié des exploitations agricoles françaises sont basées sur la mise en commun des moyens et des ressources humaines. Ces formes sociétaires ne cessent de se développer depuis 40 ans. En 2013, les formes sociétaires concernaient un tiers des exploitations agricoles, cultivaient 60 % de la SAU et réalisaient les deux tiers du potentiel de production agricole français.
La société civile d’exploitation agricole (SCEA) se compose au minimum de deux associés. La responsabilité des associés n’est pas limitée à leurs apports dans le capital : ils sont responsables des dettes de la société sans aucune limite et proportionnellement à leur participation dans le capital.
L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) est constituée de 1 à 10 associés, exploitants ou non. Le capital social est mis en commun et doit au minimum s’élever à 7 500 euros. Cette société est à responsabilité limitée : chaque associé n’endosse les pertes qu’à concurrence du montant de ses apports. C’est la forme de société civile agricole la plus représentée en France avec près de 20 % des exploitations en EARL en 2015.
Le groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) est une société civile, de 2 à 10 associés. Les apports s’élèvent au minimum à 1 500 euros. Il a été créé pour s’adapter aux modèles d’exploitations familiales, particularités du monde agricole. Il existe deux types de Gaec : le Gaec total, dans lequel tous les associés doivent travailler sur l’exploitation à titre exclusif et à temps complet. Le Gaec partiel qui, à l’inverse, regroupe seulement certaines activités agricoles des associés. En 2015, 9,5 % des exploitations françaises sont des Gaec.