Gare aux courts-circuits !
La vente directe présente des bénéfices pour la société, le consommateur et le producteur. Enrichissant humainement, le circuit court peut aussi être usant pour le producteur.
Une exploitation agricole sur cinq a une part de circuit court dans sa commercialisation. On estime que 6 à 10 % des achats alimentaires sont aujourd’hui réalisés en circuit court, cela va des marchés de plein vent à la vente à la ferme en passant par les paniers, les Amap ou les magasins de producteurs. « Il y en aura environ 30 % d’ici 2030 », estime Blaise Berger du Civam de Bretagne. « Ce renouveau des circuits courts est une lame de fond, pas un effet de mode », affirmait l’animateur du RMT alimentation locale lors d’une journée de débats sur le sujet le 1er juin dernier à Paris.
Des résultats parfois décevants au vu du temps passé
Pour le producteur, la vente en circuit court doit normalement permettre de récupérer de la valeur ajoutée grâce à la baisse du nombre d’intermédiaires. « Cela rend viable des structures de taille plus modeste, apprécie Emmanuel Béguin de l’Institut de l’élevage, mais cela augmente aussi fortement les besoins en travail, qui sont souvent sous-estimés par les porteurs de projet ». Les producteurs qui vendent en direct apprécient aussi le gain en autonomie : ils sont libres de produire ce qu’ils veulent et de fixer les prix. La vente en direct répond aussi à une quête de sens des producteurs qui accompagne la production du début à la fin. « L’identité professionnelle du producteur est renforcée, confirme Florence Kling de l’Institut de l’élevage. Il y a une reconnaissance positive par leur entourage et le consommateur ». En revanche, les enquêtes menées auprès des vendeurs directs démontrent le surcroît de charge mentale et de travail.
Une enquête en Bourgogne auprès de 21 exploitants récemment installés et avec une part importante de vente directe le confirme. La charge de travail est estimée à 61 heures par semaine avec beaucoup de bénévolat. D’autant qu’avec 7 300 euros de résultats disponibles en moyenne au bout de 5 ans, les revenus financiers sont jugés insuffisants par 57 % des agriculteurs enquêtés. Les performances économiques sont cependant très variables selon le degré de maîtrise de l’activité. En Bourgogne, les résultats variaient ainsi de -21 000 € à +35 000 €. Et quand les résultats prévisionnels sont surestimés, c’est souvent dû à l’absence d’une sérieuse étude de marché.
L’enquête montre aussi qu’il faut 3 à 7 ans pour atteindre son régime de croisière et que de fortes compétences commerciales sont nécessaires pour prospecter d’autres circuits de commercialisation. Suite à des conclusions similaires, l’Afocg (Association de formation collective à la gestion) de l’Ain a mis en place toute une série d’actions pour accompagner les vendeurs : formations sur les justes prix ou la communication, création de références avec des fermes témoins, diagnostics d’agriculture paysanne et création d’outils de communication.
Des projets de territoires pour relocaliser l’alimentation
Les avantages des circuits courts ne concernent pas seulement le producteur. La société aussi peut en profiter. À l’échelle du territoire, les circuits courts contribuent à relocaliser les flux économiques. Les premières références montrent que, pour un euro dépensé en circuit court, 1,60 euro supplémentaire sera dépensé localement. « Des commerçants d’Alençon étaient opposés à la création d’un marché, se souvient Blaise Berger, mais deux mois après sa mise en place, leur chiffre d’affaires avait augmenté ». Autre avantage pour la société, le contact régulier entre les producteurs et les consommateurs accroît la confiance et la compréhension mutuelle ce qui renforce la cohésion sociale.
Les collectivités territoriales l’ont bien compris et elles ont mis en place des projets alimentaires territoriaux pour organiser et améliorer la gouvernance alimentaire sur leur zone. Lancé par la loi agricole de 2014, il y aurait actuellement une centaine de projets portés par les collectivités françaises. Leur principal levier consiste surtout en l’approvisionnement local des cantines, notamment scolaires, et la structuration des filières alimentaires territoriales. C’est par exemple le cas de Breizh alim’ en Bretagne ou de la Communauté de communes Loire-Layon-Aubance dans le Maine-et-Loire qui veulent relocaliser et rendre plus durable l’alimentation.
Du court pas forcément plus vert
Les circuits courts locaux seraient-ils plus vertueux pour l’environnement ? Ce n’est pas forcément vrai ni facile à prouver car l’évaluation environnementale est complexe, diverse et multifactorielle. « La proximité ne garantit pas forcément qu’il y ait moins d’impact environnemental, analyse ainsi Catherine Conil du ministère de la Transition écologique et solidaire. Mais ce sont des démarches à soutenir car les producteurs font souvent du bio, ils relocalisent la valeur ajoutée et ils participent à modifier le comportement des consommateurs ». Par exemple, l’impact sur les gaz à effet de serre dépend surtout des modes de production, plutôt que de la distance de commercialisation. Pour espérer un gain environnemental, il s’avère souvent plus judicieux de jouer sur le respect de la saisonnalité, d’optimiser la logistique ou de réduire les intrants.