Disparition du dessinateur Alain Chrétien
Fidèle dessinateur des revues Pâtre et La Chèvre depuis plus de quarante ans, Alain Chrétien est décédé brutalement jeudi dernier à l’âge de 62 ans. Les revues et l’Institut de l’élevage présentent ses condoléances à sa famille et à ses proches.
Fidèle dessinateur des revues Pâtre et La Chèvre depuis plus de quarante ans, Alain Chrétien est décédé brutalement jeudi dernier à l’âge de 62 ans. Les revues et l’Institut de l’élevage présentent ses condoléances à sa famille et à ses proches.
Rendez-vous incontournables des revues Pâtre et La Chèvre, le dessin d’Alain Chrétien portait un regard drôle et décalé sur l’actualité professionnelle des filières ovines et caprines. Il n’y en aura hélas plus de nouveaux puisqu’Alain Chrétien est décédé brutalement le 26 janvier dernier à l’âge de 62 ans.
Ses premiers croquis dans les revues Pâtre et La Chèvre remontent au début des années quatre-vingt. Dessinateur autodidacte, il a illustré les conseils techniques et l’information agricole du monde ovin et caprin. Son trait léger et son humour toujours subtil mettaient en scène des chèvres et des brebis espiègles aux comportements et aux réflexions bien humaines. Ses dessins parus dans Pâtre lui avaient valu d'être primé par le prix éditorial de la presse agricole, rurale et cynégétique en 2019 et en 2022.
Eleveur ovin pendant 30 ans, dessinateur pour les revues depuis 1983
En parallèle de ces illustrations pour nos revues, pour l'Institut de l'élevage et pour de nombreux autres organismes, Alain a été éleveur ovin pendant plus de trente ans, ce qui rendaient les animaux et les situations d’autant plus proches de la réalité. Après avoir été berger pendant de nombreuses années, il s’est en effet installé éleveur de brebis sur le plateau du Larzac en 1986 avec un troupeau de brebis Blackface. Il n’a revendu son troupeau que récemment, se concentrant davantage sur les arts graphiques. Cette figure du Larzac puis de Saint-Affrique était apprécié pour son humour, son humeur enjouée, sa culture et ses talents artistiques.
La rédaction des deux revues ainsi que l’Institut de l’élevage avec qui il collaborait occasionnellement présentent ses sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Hommage d’Hubert Germain à Alain Chrétien
La Canourgue, Lozère, mars 1983, au CFPPA.
Un petit brun frisé qui passe les cours du module « maladies des ovins » à gribouiller dans les marges de son classeur – ou de celui des autres, d’ailleurs.
Lors d’une pause, je jette un œil en douce : mort de rire !
Monique Simon, rédactrice de La Chèvre, au téléphone :
- Comment on l’illustre, ton truc sur l’homéopathie ? On ne va pas mettre des photos de granules, quand même ?
- Bin, chais pas … des dessins d’humour, peut-être ?
- Mais je n’ai pas de dessinateur et on boucle après-demain, alors ?
- Attend, je vais voir si des fois…
En 1983, le fax n’était pas inventé mais la Poste marchait bien : elle a eu dix dessins à trier, et dans les temps.
« Le mâle par le mâle » : c’est avec cette blague de potache (dont une version plus crue avait été refusée) qu’Alain arrive à La Chèvre. Pâtre suivra un peu plus tard. La suite, les lecteurs la connaissent. Le style, le regard, tout est déjà là … Et les idées, à la vitesse de l’éclair : « le pica ? C’est quoi, ça ? Ah oui, alors je verrais bien un agneau sur le dos de sa mère, il veut brouter, il sait pas… »
Bengouzal, Larzac : altitude 850 mètres, vents dominants : tous.
On avait bien essayé, de le dissuader : des Blacks ? Mais les Causses, c’est pas l’Ecosse ! Il te faudrait mille hectares, être un Lord… En France, on n’a pas les mêmes primes qu’eux. Et l’herbe ? Et l’eau ? Et les clôtures ? Elles sont impossibles, à clôturer… Et les agneaux, tu les vendras comment ? Des soirées entières à palabrer.
Il souriait. Il a galéré trente ans derrière ses blacks, toujours en souriant – bon, un peu moins à la fin. Les Blackface, elles ont toujours une, disons comme lui « espièglerie » d’avance, et elles finissent par t’avoir, à l’usure.
Juin 1996 : un couple de loups surgit de nulle part et s’installe, forcément, autour de Bengouzal. Grandes battues avec casseroles et vieilles pétoires, nuits de garde – puisque les Blacks ne sauraient être rentrées dans une bergerie, voyons. Il devient le héros d’un épisode de Strip-tease sur FR3. Le voir sous la tente avec sa lampe-tempête, carabine en travers du sac de couchage et border collie blotti contre son maître, a fait rire tout le monde à l’époque. Un monde qui n’imaginait pas que bientôt, sur un quart de la France, les nuits d’angoisse et les petits matins avec le nœud dans le ventre deviendraient pour beaucoup une routine, une décourageante et stupide routine.
Il n’avait pas pu tirer l’animal, et n’avait pas illustré l’article de Pâtre, cette fois là.
2022, Saint-Affrique
Alain est très occupé. Outre l’Institut de l’Elevage et ses revues, le dessinateur plus rapide que son ombre travaille pour la Confédération Paysanne, des associations de tous poils, des Corses et des Basques, la MSA, les chiens de conduite et de protection, une quantité de petits et grands projets, jusqu’au Sénégal avec l’Avem… C’est notre Cabu, disent les uns, notre Pétillon, pensent les autres. On pense à F’murr aussi, bien sûr. Mais c’est Alain, c’est Ben.
On retrouve ses dessins pompés dans des cours et des manuels, photocopiés dans bien des rapports de stages et mémoires, affichés sur nos murs et nos T-shirts.
On se rencontre plusieurs fois autour d’un projet de blog sur les maladies du mouton, l’autopsie, la prédation… Au café du Foirail, car chez lui, c’est trop chaud ou trop froid ou pas eu bien le temps de tout ranger…
Au lendemain de Noël, la porte est fermée et le téléphone sonne dans le vide. Le nom, avec sa graphie familière, s’efface sur l’étiquette, impression de malaise, prémonition ? Mais au Foirail, on me rassure tout de suite : il passe les fêtes en famille dans le Var. Ouf. Et puis, un mois plus tard… Mais qui va gribouiller, maintenant, dans les marges de La Chèvre, de Pâtre, et de partout ?
Merci à Catherine, à Vincent et Renaud, à Ginette et Jean-Paul, et toutes et tous qui t’ont accompagné, aux lecteurs qui te suivaient.
Dans nos mémoires, tu ne t’effaceras pas de sitôt.