« Aller chercher la valeur alimentaire des prairies pour nos chèvres »
Les éleveurs caprins du Civam du Haut-Bocage réfléchissent collectivement sur le pâturage entre gestion de la ressource fourragère et risque de parasitisme. Ils ont en commun la volonté de travailler différemment et d’aller chercher la valeur alimentaire des prairies.
Fin mars, rendez-vous pour le premier tour de pâture de l’année pour les adhérents du Civam * du Haut-Bocage. Accueillie par Christelle Hameury et Laurent Couilleau à l’EARL Les Deux Rivières, à Noirlieu dans les Deux-Sèvres, une petite dizaine d’éleveurs est réunie pour échanger sur la pousse de l’herbe, les mélanges des prairies multi-espèces (PME), les techniques d’implantation… Dans le groupe, le pâturage en bloc est adopté depuis longtemps et permet de gérer le parasitisme, frein important au pâturage des chèvres. La gestion de la production fourragère est un autre enjeu, de plus en plus complexe, alors que les années se suivent et ne se ressemblent pas.
Déprimage pour stimuler la pousse
Sur les 47 hectares de SAU de l’EARL Les Deux Rivières, 18 hectares sont pâturés par les 150 chèvres. Elles sortent dès fin janvier-début février, même quelques heures, pour déprimer les parcelles. « La pousse est meilleure après déprimage, explique Laurent Couilleau. Et cela évite de consommer enrubannage et foin en février. Nous avons des sols portants, mais séchants. Parfois, dès début juin, il n’y a plus rien à manger dans les prairies. En ce moment, les chèvres sont dans une parcelle semée à l’automne. Les pluies importantes des derniers jours nous ont contraints à réduire le chargement instantané, et les fils avant et arrière sont moins serrés. Nous sommes aussi attentifs à la propreté de la mamelle et la qualité du lait. »
Les chèvres sortent en moyenne de 10 heures à 17 heures et le soir, pour un dernier repas au pâturage. Un mois après les mises-bas, la production est de 2,5 litres de lait par jour et par chèvre, avec les chevreaux sous les mères la nuit.
La ration au pic de lactation est composée de 2 kg de matière sèche au pâturage, 0,1 kg MS d’enrubannage de vesce-avoine, 0,2 kg MS de foin, 360 g de méteil grain, 180 g de luzerne déshydratée et 180 g de chèvre laitière.
Gagner en rusticité
« Nous choisissons les compositions de nos PME pour associer des précocités différentes, avec au minimum deux variétés par espèce, pour les faire gagner en rusticité », témoignent les éleveurs.
Les parcelles visitées ce jour sont deux prairies de trois ans, semées sous couvert. L’implantation est réalisée le même jour, en deux temps pour gérer les profondeurs de semis différentes. Le mélange prairial est composé de ray-grass hybride, ray-grass anglais (un précoce et un plus tardif), trèfle hybride, trèfle violet, fétuque élevée, fléole et plantin. Le couvert de vesce et avoine est pâturé la première année, puis la prairie prend le dessus.
« Les céréales immatures sont très appétentes, et les prairies qui poussent sous couvert sont bien denses et s’implantent mieux, avancent Christelle Hameury et Laurent Couilleau. Le déprimage apporte de la lumière à la prairie. Après deux passages de quatre jours à 80 chèvres, l’objectif est atteint avec un pâturage de bonne heure et un trèfle qui sort. »
Pâturage de colza avant sorgho
Deuxième élevage visité ce jour, le Gaec Bellevue, chez Héléna et Christophe Chatri, également sur la commune de Noirlieu. Ici aussi, le pâturage de printemps est compliqué par l’humidité cette année. Sur 140 ha de SAU, dont 100 de prairies, ils élèvent 190 chèvres et 60 limousines en zone Natura 2000. Les chèvres ont accès à 12 ha de prairies. « Les deux espèces de ruminants sont complémentaires pour la gestion des refus et des cycles des parasites », apprécient les éleveurs.
Les chèvres pâturent 6 à 7 mois de l’année au fil avant et fil arrière. La méthode des blocs est utilisée pour réduire le risque de parasitisme. Les trois blocs de l’élevage sont d’abord déprimés, puis deux tours sont effectués sur chacun. Les chèvres reviennent ainsi tous les mois et demi sur les parcelles d’un bloc. Elles passent ensuite sur un bloc qui n’a pas été pâturé depuis six mois pour démarrer un cycle de pâturage sur des prairies saines. Une coprologie est réalisée tous les mois et demi (résultats 2022 : 28 mars, 450 OPG ; 31 mai, 650 OPG et 13 juin, 100 OPG).
Avoir trois semaines de visibilité
L’année passée, ils ont pu pâturer en automne pour la première fois avec un colza semé fin août. Un dernier passage sur le colza en fleur devait être testé au printemps sur un temps réduit et avec distribution préalable d’un bol de fourrage, avant implantation d’un sorgho BMR.
Réduire le risque parasitaire
Animé par le Civam du Haut-Bocage, le GIEE Cap a reçu une mention spéciale aux trophées de l’agroécologie 2023 et est lauréat des trophées de l’agroécologie de Nouvelle-Aquitaine. Une belle récompense pour ces éleveurs pour leur travail collectif sur la gestion plus durable du parasitisme caprin au pâturage.
Concrètement, au sein du GIEE, une dizaine d’éleveurs se retrouvent en moyenne tous les mois pour échanger sur de nombreux sujets (sanitaire, économique, alimentation et, bien sûr, santé des animaux et parasitisme), avec notamment trois tours de pâturage au printemps, des coproscopies, des échanges. Une des forces de ce groupe est également de fédérer des éleveurs caprins ayant le pâturage en point commun.
Le collectif travaille avec l’Inrae, l’Institut de l’élevage, l’Anses et est accompagné par une consultante indépendante. Ils ont notamment publié un guide, un protocole et une grille d’observation. Un autre volet important du projet a été d’expérimenter des leviers de gestion du risque parasitaire. Pour cela, des essais paysans ont été mis en place pour tester l’effet de la chicorée, du plantain et d’un mélange de vingt plantes aromatiques et médicinales sur le parasitisme des chèvres. Ces essais rentrent dans le cadre du projet multipartenarial Fastoche (voir page 28).