Céline et Martin, être fromagers à 1 800 m d’altitude
Céline et Martin Gaillard se sont installés en montagne il y a sept ans. Aujourd’hui, ils sont à la tête d’un troupeau de 41 chèvres et transforment leur lait en divers fromages à la ferme des Molières.
Céline et Martin Gaillard se sont installés en montagne il y a sept ans. Aujourd’hui, ils sont à la tête d’un troupeau de 41 chèvres et transforment leur lait en divers fromages à la ferme des Molières.
« Notre exploitation est située en montagne dans le village de La Grave, sur la route du col du Lautaret qui culmine à 2 000 m d’altitude, expliquent Céline et Martin Gaillard. Lorsque nous nous sommes installés, il a fallu faire nos preuves car nous sommes tous les deux non issus du milieu agricole. Bien que déjà installés dans la vallée, nous avons dû convaincre que nous avions les épaules assez larges pour réussir cette reconversion. »
Une installation encadrée par la Safer
En effet, pour pouvoir s’installer, le couple a bénéficié de l’aide de la Safer. Ainsi, pendant trois ans, ils ont partagé le bâtiment de Roland, le temps que ce dernier prenne sa retraite. « Cette cohabitation n’a pas toujours été facile, témoigne l’éleveur. Il faut imaginer un bâtiment de trois étages avec, au rez-de-chaussée, les vaches de Roland, nos chèvres au premier étage, là ou précédemment il élevait des veaux et un étage de foin par-dessus. Aujourd’hui, nous avons complètement réorganisé les choses avec une aire extérieure pour les chèvres ainsi qu’une fromagerie fonctionnelle et aux normes. »
Cette solution a été trouvée pour permettre aux jeunes éleveurs de reprendre les différents baux de leur prédécesseur. Cette transmission ne s’est pas passée sans difficultés. « Il a fallu faire nos preuves et expliquer à Roland que nous n’avions pas la même manière de voir les choses que lui. » Aujourd’hui, ils sont très contents de ce choix, bien que les difficultés intergénérationnelles n’aient pas été toujours simples à gérer.
Une alimentation qui privilégie le local
Cette transmission leur a permis d’accéder au foncier existant de la ferme. Ainsi l’exploitation compte 10 ha de parcours et 9 ha de prés de fauche. « Nous ne voulions pas de rivalité avec nos voisins pour l’accès au foncier. Pour cela, nous avons écrit à tous les propriétaires qui n’exploitaient pas leurs parcelles aux alentours du village pour les prévenir que nous avions l’intention d’y mettre nos chèvres. Très peu nous ont répondu, mis à part une dame qui souhaitait que nous soyons vigilants à ne pas endommager ces vieux arbres. Et depuis, l’ensemble des habitants est content de voir les abords du village propre et non plus laissée en friche. »
Malgré cela, ils ne sont pas autonomes pour l’alimentation de leurs chèvres. Le couple, qui souhaite produire avec des valeurs, favorise la proximité au bio. Ils vont chercher du foin et de la luzerne du Buech, situé de l’autre côté du département ainsi que de l’orge et du maïs des Hautes-Alpes. Ils complètent l’alimentation de leurs chèvres par de la luzerne déshydratée. Les parcours sur lesquels les chèvres pâturent sont entourés de haies diverses. Cela permet aux chèvres d’avoir accès à différents arbustes, comme de l’argousier ou de l’épine-vinette, et leur permet d’améliorer leur immunité.
Cinq races pour la diversité génétique
Lors de son installation, le couple a regroupé deux troupeaux laitiers. Aujourd’hui ils possèdent 41 chèvres issues de cinq races différentes : Alpine, Saanen, Rove, Provençale et Savoyarde. « J’apprécie le mélange des couleurs, explique Céline. Mais, à cause de la provenance diverse des troupeaux, nous avons eu quelques problèmes de parasitismes à notre commencement. Aujourd’hui, nous trouvons un compromis en ayant croisé des races rustiques et des races productives. Notre exploitation est située sur un territoire difficilement accessible, avec un parcellaire morcelé, c’est pour cela que nous veillons à avoir des chèvres qui se déplacent particulièrement bien. » Le couple dit vouloir continuer à progresser sur la génétique de leur troupeau et améliorer leur quantité de lait produite. Aujourd’hui, ils transforment en fromage l’ensemble des 15 000 litres de lait produits chaque année.
Des lactiques, des frais, des tommes et des imitations Mont d’or
Le couple produit plus d’une quinzaine de sortes de fromages. « Nous avons une gamme très large, des lactiques, des fromages frais, et des pâtes pressées. Nous proposons chaque fromage à des stades d’affinages différent pour assurer une diversité de choix aux clients », explique Céline qui s’occupe plus régulièrement de la fromagerie. La ferme des Molières produit aussi un ensemble de fromages « façon… » comme le cabricea imitation du Mont d’or avec une bande d’épicéa pour lui donner du goût et le cabrichon qui ressemble au reblochon. « Nous avons une augmentation de la demande de nos fromages l’été avec la venue des touristes. Pour y répondre, je réalise des tommes en basse saison avec le lait non utilisé, mais nous n’arrivons pas à contenter tout le monde et cela nous arrive de limiter la taille des paniers de nos clients pour que chacun puisse avoir du fromage. »
Ainsi, le couple préfère produire en petite quantité mais proposer un panel de fromages diversifié. « Il faut savoir faire languir le client, pour lui donner envie de revenir, s’exclame Martin avec un sourire malicieux. Au printemps, nous proposons aussi de la viande de chevreaux découpée et mise sous vide. Elle a toujours un franc succès et permet de communiquer auprès des clients sur la saisonnalité de notre production ainsi que sur la nécessité d’avoir un chevreau pour produire du lait, puis du fromage. »
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Céline se fixe pour objectif de faire participer ses formages, au moins une fois par an à un concours départemental ou régional. Les diplômes des fromages primés à la foire de Brignoles sont d’ailleurs fièrement affichés derrière la caisse de la fromagerie. « Je ne participe pas aux concours pour la communication ou la publicité que cela peut amener, mais bien pour moi, témoigne l’éleveuse. C’est une manière de se frotter aux autres fromagers, de recevoir un avis critique extérieur sur le travail que nous réalisons et de se donner de l’énergie pour toujours faire mieux. » Cette année, elle souhaite présenter divers fromages au concours Fromagora qui aura lieu le 4 juin 2022 à Rocamadour.
Une volonté de faire vivre le territoire
La famille Gaillard a à cœur de faire vivre le territoire. « Cela nous vient de nos histoires respectives. Martin a grandi au village du Chazelet et il est moniteur de ski la saison d’hiver, explique Céline. Quant à moi, je travaillais en office de tourisme avant de suivre mon mari en passant un Bac pro agricole à distance après la naissance de notre premier enfant ». Il faut avouer que les chèvres de la ferme des Molières ont une vue privilégiée sur la montagne de la Meije. Le couple souhaite vivre dignement de son métier et tiens à se dégager du temps pour passer des moments en famille et prendre des vacances. Pour cela, ils ont engagé une salariée qui travaille 10 heures par semaine sur l’exploitation, vient les alléger dans leurs tâches et leur permet de prendre des vacances à l’automne quand les chèvres sont taries.
Les agriculteurs de l’Oisans se diversifient
Depuis leur installation, le couple a vu l’agriculture de la vallée changer. « Lorsque nous nous sommes installés avec nos chèvres en 2013, les anciens nous ont avertis en nous disant qu’ici ce n’était pas une terre de fromages. En effet, la plupart d’entre eux élevaient des génisses pour les élevages savoyards qui partaient à l’âge de trois ans pour produire du lait de l’autre côté du col du Galibier », témoigne Martin. Aujourd’hui, le couple remarque une diversification des exploitations de la vallée. « On retrouve un producteur d’œufs, un maraîcher et un éleveur de Hérens, une petite vache noire très hargneuse. » Ils trouvent très intéressant cette diversification présente sur le territoire qui montre la volonté des habitants de consommer local.
Chiffres clés
Facebook et visites pour se faire connaître
Pour communiquer sur leur exploitation et leur métier, le couple anime une page Facebook de près de 1 000 abonnés sur laquelle ils partagent le quotidien de leur exploitation. « Ce sont principalement nos clients locaux qui sont abonnés. Lorsqu’ils partagent mes posts, cela peut donner beaucoup de visibilité : jusque 3 000 vues par post, explique l’agricultrice. Nous apprécions aussi faire découvrir notre métier à travers des visites à la ferme. » L’exploitation fait partie de la route des savoirs faire de l’Oisans qui est un circuit touristique qui propose diverses animations proposées par des artisans de la vallée. Elle accueille aussi curieux et randonneurs du chemin de grande randonnée 54.