[Prospective] Un net recul du cheptel allaitant se profile à l’horizon 2030
Une étude prospective réalisée par l’Institut de l’élevage fait état d’un recul proche de 600 000 têtes pour le nombre de vaches allaitantes élevées en France à l’horizon 2030. Cette décapitalisation concernerait tout particulièrement le nord Massif central et le Grand Ouest.
Une étude prospective réalisée par l’Institut de l’élevage fait état d’un recul proche de 600 000 têtes pour le nombre de vaches allaitantes élevées en France à l’horizon 2030. Cette décapitalisation concernerait tout particulièrement le nord Massif central et le Grand Ouest.
Si on s’en tient à une étude prospective récente réalisée par l’Institut de l’élevage à la demande de l’Interprofession et de la Confédération nationale de l’élevage, les abatteurs vont avoir de plus en plus de difficultés à faire tourner leurs outils de production par manque de disponibilités ! Selon cette analyse, faute d’éleveurs, la « ferme France » pourrait perdre quelque 585 000 vaches allaitantes d’ici 10 ans.
Carte de France des grandes régions d'élevage. Voir la légende couleur dans le tableau ci-dessus.
Source : Institut de l'Elevage d'après MSA et BDNI.
Ce travail sur l’évolution démographique des éleveurs et les trajectoires des exploitations a été présenté par Christophe Perrot, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage à l’occasion du dernier congrès d’Elvéa France. Selon ses conclusions, à l’horizon 2030, le troupeau français totaliserait guère plus de 3,2 millions de vaches allaitantes. Et les perspectives ne sont pas plus reluisantes pour le cheptel laitier. Rappelons qu’il y avait encore pratiquement 4,1 millions d’allaitantes et 3,8 millions de laitières voici seulement 4 ans en retenant pour cela le nombre d’animaux comptabilisés dans les bases de données au 1er janvier de chaque année.
Conséquences de la pyramide des âges
Cette fonte prévisible des effectifs est d’abord la conséquence de l’actuelle pyramide des âges des éleveurs. En 2018, 51,5 % des détenteurs de plus de 20 vaches allaitantes avaient plus de 50 ans et on assiste depuis six ans à une accélération du nombre de départs en retraite des éleveurs détenant des cheptels de plus de 20 vaches allaitantes. Entre 2001 et 2016, il était en moyenne de 720 par an. Il est passé à 1300 par an entre 2016 et 2020. Cette accélération est une des conséquences des politiques menées dans les années 1990.
Les mesures de pré-retraite-installation et les cessations laitières aidées avaient à l’époque favorisé un rajeunissement des éleveurs. Trente ans plus tard, elles contribuent forcément à accélérer le vieillissement de cette catégorie d’actifs. « Pour les éleveurs non laitiers détenant plus de 20 vaches allaitantes, le pourcentage de plus de 50 ans est passé de 29,4% en 1995 à 51,5% en 2018, précise Christophe Perrot. Et par ricochet, le pourcentage d’éleveurs de moins de 40 ans est passé de 38,5% en 1995 à 23,5% en 2018. » Au final, près de 40% du cheptel allaitant français est concerné à court et moyen terme par une transmission, un arrêt d’activité ou une réduction de main-d’œuvre. « Cela va forcément se traduire par des évolutions du paysage allaitant français qui pourraient être violentes dans les années à venir », soulignait Vincent Chatelier, économiste à l’Inrae lors d’une conférence donnée à l’occasion du dernier concours National limousin.
En moyenne sur l’ensemble du territoire français seulement 70% des départs en retraite ont été suivis par une installation avec de grosses différences selon les zones d’élevage. Et surtout, les vaches des cédants ont été bien loin d’être « reprises » dans leur intégralité par les nouveaux installés, ou par des éleveurs déjà en activité choisissant de conforter la dimension de leur outil de production.
Réaliser une projection tendancielle
C’est en analysant dans les détails la pyramide des âges des détenteurs de vaches allaitantes selon le nombre d’animaux détenus par actif, les évolutions démographiques, les trajectoires des exploitations et les différentes dynamiques territoriales pour les installations au cours de ces dernières années que les économistes de l’Institut de l’élevage ont réalisé ce travail prospectif. « Cette simulation est une projection tendancielle. Pour le nombre de départs en retraite, départs précoces, ou arrêts de production à échéance 2030, c’est une projection mathématique qui part de l’actuelle pyramide des âges et reproduit les comportements à âge, forme d’organisation du travail, région, système, taille de cheptel équivalents. » explique Christophe Perrot.
Elle est donc difficile à contredire. « Et les départs pourraient même s’accélérer si les conditions d’accès aux aides dans le cadre de la prochaine PAC (définition de l’agriculteur « actif ») deviennent plus restrictives pour les éleveurs des tranches d’âge les plus élevées qui se maintiennent actuellement en préférant les aides PAC (dont l’ICHN) à une retraite médiocre. » Le deuxième paramètre de cette projection concerne les installations qui sont maintenues au même niveau que pour la période 2010-2018. « Cette hypothèse est plutôt optimiste mais la stabilité de ce nombre d’installations sur la période avait été sous-estimée de même que leur forte diversité (installations tardives, avec activité extérieure, des cheptels réduits…) » Le troisième paramètre de la simulation concerne les trajectoires des exploitations pour l’évolution de la dimension des troupeaux. Or depuis trois ans, les éleveurs se sont nettement détournés de la croissance et en moyenne une décroissance a même été enregistrée pour la première fois.
Grand Ouest et Nord Massif central
En retenant ces hypothèses, la réduction du nombre d’actifs non-salariés se poursuivrait au rythme de -2,5 à -2% par an jusqu’en 2023 puis se réduirait autour de -1,5% par an jusqu’en 2028. Quant aux éleveurs qui étaient en activité en 2018, si leurs comportements sont identiques à ceux qui les ont précédés ces dernières années, la moitié d’entre eux devraient avoir cessé leur activité en 2027. Au final, à échéance 2030, les simulations de l’Institut de l’élevage tablent sur un total de 50 000 chefs d’exploitation et co-exploitants qui détiendraient des cheptels d’au moins 20 vaches allaitantes. Sur le plan géographique (voir carte ci-joint), ce recul du nombre d’éleveurs allaitants et donc d’animaux concernerait toutes les zones associant actuellement l’élevage à une part importante de polyculture (pourtour du Bassin parisien et des plaines céréalières du Sud-Ouest) mais également Bretagne et Pays de la Loire. Ce recul de l’élevage allaitant concernerait également une bonne partie du « bassin allaitant du Centre de la France » : Sud Bourgogne, Nord Auvergne, Sud Berry, Nord de l’ex-région Limousin. Dans toutes ces zones, le taux de remplacement des éleveurs partant en retraite n’est pas bon. Une bonne partie des élevages d’herbivores sont situés sur des terres en partie labourables. Le potentiel agronomique de ces surfaces demeure modeste et fragile compte tenu du risque inhérent à la perte de matière organique lié au recul ou à l’abandon de l’élevage. Mais dans un contexte de prix du bétail insuffisamment attractif et de sécheresses à répétition, il est souvent analysé plus facile de « passer la charrue » plutôt que de conserver des vaches. Surtout compte tenu des dernières évolutions du prix des céréales et des oléagineux !
Les seuls territoires qui semblent pouvoir un tant soit peu limiter cette érosion sont les zones herbagères d’altitude et certaines zones sèches où les contraintes pédoclimatiques font qu'il n’est de toute façon pas envisageable de faire pousser autre chose que de l’herbe.
Ce travail repose entre autres sur les données de la Mutualité sociale agricole et de la Base de données nationale d’identification. Lesquelles permettent de suivre les carrières des actifs travaillant dans les exploitations d’élevage en les enrichissant de données issues de la BDNI.
Les acteurs de l’aval avaient été alertés
« Sur le terrain, on rencontre moins d’éleveurs intéressés pour faire progresser leur cheptel. C’est même souvent l’inverse ! », soulignait Christophe Perrot lors du congrès d’Elvéa France. « Sur des élevages de 100 mères, on entend souvent dire qu’il y en aura bientôt 10 de moins avec parfois des niveaux de décapitalisation encore plus importants. Et autour de nous, on connait tous des éleveurs qui ont cessé leur activité sans avoir atteints l’âge de la retraite », ajoutait Philippe Auger, président d’Elvéa France. En cumulant tarifs dépréciés du bétail — gras comme maigre — et important déficit fourrager, le contexte de ces trois dernières années a été particulièrement nocif pour le moral des éleveurs. Il se traduit dans les chiffres. « Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir alerté les différents acteurs de l’aval sur la décapitalisation que nous constations au quotidien sur le terrain », soulignait Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine.
Trois questions à
Christophe Perrot, agro-économiste à l’Institut de l’élevage, co-auteur de cette étude réalisée pour Interbev
On est arrivé à un seuil pour le nombre de vêlages par UTH
Est-ce que la baisse du cheptel pourrait être moins sévère si l’amélioration de la conjoncture se confirme durablement ?
Si la baisse des disponibilités en animaux se traduit par une amélioration de leur prix, il est toujours possible de discuter de l’effet possible sur ces trajectoires. En tout état de cause, la problématique du travail demeure. Beaucoup d’éleveurs estiment être arrivé à un seuil sur le nombre de vêlages par UTH. Ils ne veulent plus entendre parler de gains de productivité sur ce volet et donc de gérer seul un cheptel complet malgré un départ d’associé ou de reprendre le chemin de la croissance des troupeaux sans avoir recours à de la main-d’œuvre supplémentaire. Et au-delà de la capacité financière des exploitations à avoir recours à de la main-d’œuvre salariée, il y a surtout les difficultés pour trouver cette main-d’œuvre salariée ayant un souhait d’engagement avec les compétences requises.
Est-ce que les données de la BDNI sur la gestion des génisses dans les élevages laissent déjà pressentir cette évolution ?
L’accélération du rythme de réduction du nombre de vaches allaitantes constatée depuis début 2021 provient d’une forte réduction des entrées (vêlages de primipares) par rapport aux années précédentes et non pas d’une accélération des sorties (réformes). Or les primipares d’aujourd’hui sont les vaches adultes de demain ! Si ces premiers vêlages ne rebondissent pas à l’automne, la baisse du cheptel allaitant entamée à l’automne 2017 va forcément se poursuivre. Sauf à imaginer un scénario de rupture, on voit mal comment échapper à ce recul de l’offre.
Est-ce que cette baisse ne va pas mécaniquement se traduire à plus ou moins brève échéance par une progression des importations ?
Actuellement la consommation de viande bovine évolue plus qu’elle ne s’érode du fait notamment de la part croissante de la viande hachée. Si le cheptel évolue comme expliqué ci-dessus, la production de viande bovine a toutes les chances de baisser plus vite que la consommation ce qui entraînera un risque accru d’ouverture des portes à des importations européennes, voire extra-européennes. D’où l’enjeu sur les clauses miroir dans le cadre des accords de libre-échange et un contrôle strict des distorsions de concurrence au sein de l’espace européen pour n’autoriser que des échanges loyaux. Si notre offre baisse cela permettra à la France de décarboner sa production de viande bovine mais pas forcément sa consommation ! S’il y a substitution, la viande importée aura généré tout autant de gaz à effet de serre. Ils auront tout simplement été produits sous d’autres cieux que les nôtres.