Les veaux, « mâles nécessaires » de la production laitière
Utilisés pour produire des veaux de boucherie, des taurillons ou des bœufs, les veaux laitiers finis en France se sont réduits en nombre au profit des exportations de nourrissons. L’Institut de l’élevage a réalisé une enquête dans 10 pays producteurs laitiers pour analyser chez eux le devenir des veaux non conservés pour le renouvellement.
Utilisés pour produire des veaux de boucherie, des taurillons ou des bœufs, les veaux laitiers finis en France se sont réduits en nombre au profit des exportations de nourrissons. L’Institut de l’élevage a réalisé une enquête dans 10 pays producteurs laitiers pour analyser chez eux le devenir des veaux non conservés pour le renouvellement.
D’après les statistiques de l’Institut de l’élevage, il est né en France l’an dernier 3,35 millions de veaux dans les élevages laitiers soit un recul de 42 000 têtes comparé à 2020. Une évolution en phase avec la baisse du nombre de vaches laitières.
Ce chiffre s’accompagne d’une évolution progressive du sex-ratio, lié au recours aux semences sexées, lesquelles ont par ricochet favorisé la pratique du croisement terminal avec des taureaux de race bouchère. Dans le même temps, la finition des veaux non conservés pour le renouvellement est en net recul.
Longtemps principal mode de valorisation de ces animaux, la production de veaux gras s’érode d’année en année. La France avait produit 1,433 million de veaux de boucherie en 2010. Ce chiffre n’était plus que de 1,185 million dix ans plus tard. Et la production de taurillons ou de bœufs laitiers qui a souvent lieu sur les fermes où les veaux sont nés est elle aussi en net repli. En 2005, la France avait produit 120 000 téc de jeunes bovins laitiers. Ce tonnage n’était plus que de 73 000 téc en 2020.
Les effets de la spécialisation laitière
Au cours de ces dernières années, l’évolution du mode de fonctionnement de nombreuses fermes laitières s’est traduite par la volonté de se recentrer sur la seule production de lait. Faute de devenir des JB ou des bœufs sur l’exploitation où ils sont nés, les veaux laitiers non conservés pour le renouvellement sont vendus nourrissons à quelques semaines.
Comme la production française de veaux gras est en recul et qu’ils ne trouvent pas preneur sur le marché français, la plupart d’entre eux sont vendus à vil prix et le plus souvent exportés. Ce débouché va croissant. Et malgré la contraction du cheptel laitier français, cette tendance est très loin de s’inverser.
Quelque 337 000 veaux ont été exportés en 2020, soit une progression de 8 % comparée à 2019 et ce chiffre a été multiplié par 2,6 comparé à l’activité 2012. « 93 % de ces animaux sont vendus en Espagne et 6 % en Italie. Le marché espagnol est devenu crucial pour la valorisation des veaux laitiers français », explique l’Institut de l’élevage dans un dossier consacré à cette catégorie de bovins. Une fois finis dans les ateliers espagnols, ces animaux deviennent pour la plupart des taurillons légers pour partie exportés en vif vers les rivages sud de la Méditerranée.
Veaux rosés, jeunes bovins ou bouvillons
Dans ce même document, l’Institut de l’élevage fait une analyse sur la façon dont sont valorisés les veaux dans dix grands pays producteurs laitiers. « L’éventail des possibilités est assez divers : de la production de veaux de boucherie abattus avant 8 mois dans une poignée de pays européens et au Québec, à celle bien plus répandue de veaux 'rosés' nourris à base de céréales en passant par les taurillons plus ou moins jeunes et plus ou moins lourds sans occulter bien entendu les bouvillons qui restent une production traditionnelle dans la plupart des pays anglo-saxons », explique l’Institut de l’élevage. On retrouve donc avec des nuances sur l’âge, le poids vif à l’abattage et les conditions d’élevage et surtout d’alimentation, les trois principales catégories d’animaux déjà produites en France avec des veaux laitiers.
Éliminés dès la naissance
L’hyperspécialisation de certaines races laitières, en particulier quand elles sont de format modeste, se traduit malheureusement par des veaux qui tendent à ne valoir plus rien ou du moins plus grand-chose pour produire de la viande. Simples sous-produits du lait, ils sont devenus un « mâle nécessaire » puisque pour avoir une lactation, une vache doit d’abord faire naître un veau ! Piètre conformation, mauvais potentiel de croissance et indice de conversion… cela amène certains pays à avoir recours à des solutions surprenantes pour ne pas dire choquantes. Un peu à l’image des poussins mâles issus des souches de volaille destinées à la ponte, ils éliminent purement et simplement ces veaux dans les jours qui suivent leur naissance.
Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage
" Les engraisseurs espagnols sont inquiets"
« On assiste depuis plusieurs années en France à une baisse tendancielle de la consommation de viande de veau. Comme les volumes d’animaux mis en place dans les ateliers sont pilotés de près par les intégrateurs abatteurs selon les débouchés dont ils disposent, cela contribue à ce recul graduel du volume d’animaux produits. L’amélioration des performances dans les ateliers va dans le sens d’un léger alourdissement des carcasses. Il permet de produire un tonnage de viande équivalent avec légèrement moins d’animaux et contribue également à ce recul des mises en place. Pour les jeunes bovins et les bœufs laitiers, jusque-là encore largement produits dans les élevages où ils étaient nés, le recul de la production répond à la logique de spécialisation des élevages. Autant de facteurs qui viennent conforter les disponibilités en veaux nourrissons.
Le débouché espagnol a donc pris le relais avec des veaux destinés à une production de jeunes bovins engraissés en ration sèche. Mais la hausse du prix de l’aliment du bétail plonge les engraisseurs espagnols dans l’incertitude pour les semaines et mois à venir du fait de la guerre en Ukraine. En effet, en plus de l’effet prix, il y a l’effet disponibilité. L’Espagne est très dépendante de l’importation de céréales pour la fabrication d’aliment du bétail et ce secteur redoute les risques de ruptures d’approvisionnement. 34 % du maïs importé en Espagne provenait jusqu’à présent d’Ukraine. Pour les fabricants d’aliment espagnols, la guerre pourrait aussi se traduire par des arbitrages à prendre entre les différentes filières animales en cas de pénuries. Il y a en Espagne d’autres productions de viande très dynamiques et en particulier la filière porcine. L’Espagne doit revoir dans l’urgence ses origines d’importations de céréales. Le gouvernement espagnol a pris des mesures pour assouplir la réglementation à l’import et permettre l’arrivée de cargos de blé d’origine argentine. Aucune rupture n’est envisagée à court terme, mais une reconfiguration des échanges devrait s’opérer. »
Taurillons légers en Espagne
Les Espagnols ont développé une production de taurillons légers à partir de veaux importés de France et d’ailleurs. Une partie d’entre eux sont exportés en vif sur les pays tiers.
L’engraissement de taurillons s’est fortement développé en Espagne ces dernières années et cette activité a pris de l’importance en grande partie grâce au recours à des veaux laitiers. Les Espagnols ont importé en 2020 un peu plus 500 000 veaux nourrissons de moins de 160 kg dont 310 000 provenaient de France. En moins de dix ans l’Espagne est devenue un débouché incontournable pour les veaux issus des élevages français. Notre pays est de loin le premier fournisseur devant l’Irlande, les Pays-Bas et l’Allemagne. « Les importations espagnoles de veaux nourrissons ne cessent de croître, parfois au détriment des broutards, indique l’institut de l’élevage. En Espagne, la production de jeunes bovins à partir de veaux nourrissons est standardisée avec des pratiques très homogènes entre les élevages. La phase de démarrage est fréquemment sous-traitée. » Les veaux sont achetés par l’engraisseur et placés dans des ateliers de démarrage spécialisés. L’engraisseur final en reste propriétaire. Il fournit l’alimentation (hors paille) et assume les frais vétérinaires et les pertes d’animaux. Le sevreur fournit le bâtiment, la paille et l’eau. Certains veaux sont parfois sevrés a guère plus d’un mois pour limiter les coûts alimentaires.
Grands ateliers = lots homogènes
Cette phase de démarrage dure une moyenne de 80 jours avec des objectifs de poids cible oscillant entre 125 et 140 kg vif selon le type racial. Puis démarre l’engraissement à proprement parler qui dure le plus souvent de 5 à 10 mois selon le marché visé et le type racial. L’alimentation repose alors le plus souvent sur une ration sèche associée à de la paille. « Le système d’élevage espagnol limite les coûts de main-d’œuvre avec 1 UMO pour 800 à 1 000 JB dans des bâtiments sommaires et peu coûteux. » Les engraisseurs estiment que pour ce type d’animal les croissances avoisinent celles de broutards. Ces taurillons légers peuvent ensuite être orientés sur le marché intérieur ou être exportés (voir tableau). La dimension des ateliers favorise ensuite la constitution de lots homogènes. C’est un atout pour exporter vers les rives sud de la Méditerranée (Liban, Libye, Turquie, Égypte, Algérie). " L’Espagne a exporté plus de 200 000 JB finis en 2020. C’est 160 000 têtes de plus qu’au début de la précédente décennie. En 2020, les pays tiers captaient 72 % des exportations en vif », précise l’Institut de l’élevage. Et au vif s’ajoute la viande. « Avec 220 000 téc en 2020 les exportations espagnoles de viande réfrigérée et congelée valorisent plus de 32 % des abattages espagnols et ces exportations ont progressé de 72 % (soit + 92 000 téc) entre 2010 et 2020. Plus de 85 % des viandes espagnoles exportées sont expédiées tant dans l’UE (Portugal, Italie, France…) que sur les pays tiers. »
Bouvillons herbagers en Irlande
À côté des veaux nourrissons principalement exportés vers l’Espagne et les Pays-Bas, les éleveurs irlandais engraissent sur place une bonne part de leurs veaux laitiers. Certains sont finis en JB mais le principal débouché des veaux irlandais est la production de bouvillons et génisses, essentiellement conduits à l’herbe. Quelque 250 000 veaux laitiers et 600 000 veaux croisés viande ont ainsi été produits dans les fermes irlandaises en 2019. Une forte proportion (un peu plus de 40 %) des 1,42 million de vaches laitières irlandaises sont d’ailleurs conduites en croisement. Priorité est alors souvent donnée aux races insulaires (Angus ou Hereford) pour leur facilité de vêlage et le gabarit des animaux qui en résulte. Ils permettent de produire des poids de carcasse modérés, en phase avec les attentes du débouché britannique auquel est destinée la moitié des exportations irlandaises de viande bovine. Génisses ou bœufs, ces croisés sont essentiellement conduits à l’herbe avec un objectif de poids à l’abattage compris entre 500 et 600 kg vif autour de 2 ans.
« Bobby calf » en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis
Certains pays ne font pas dans les détails et se débarrassent d'un petite partie des veaux dans les jours qui suivent la naissance.
Aux États-Unis et surtout en Nouvelle-Zélande, une partie des veaux laitiers sont abattus dans les jours qui suivent leur naissance. « Le bob veal est aux États-Unis abattu entre 35 et 70 kg. Les carcasses sont désossées et la viande utilisée pour les hot-dogs, saucisses et viandes transformées. » Cette « production » aurait concerné autour de 370 000 têtes en 2019. Un chiffre qui demeure proportionnellement modeste, eu égard aux quelque 10 millions de vaches laitières étatsuniennes. Dans ce pays la grande majorité des veaux laitiers sont toutefois castrés puis engraissés en feedlot avec un poids vif à l’abattage classiquement compris entre 600 et 650 kg à 15-16 mois.
Veaux néozélandais à moins de 10 € par tête
En revanche en Nouvelle-Zélande, l’abattage de veaux naissants localement appelés bobby calves concerne une forte proportion des mâles laitiers et des femelles non conservées pour le renouvellement. Il y a quelque 5 millions de vaches laitières en Nouvelle-Zélande avec des cheptels majoritairement composés de vaches « kiwi » (croisement Jersey-Holstein).
Une génétique certes efficace pour produire du lait à l’herbe mais qui l’est moins pour produire de la viande. Et ceci d’autant plus que les vêlages sont très groupés au moment du printemps austral. Cela favorise une bonne utilisation de l’herbe pâturée en cours de lactation mais se traduit aussi par un pic de vêlage sur une courte période et donc un afflux de veaux sur seulement quelques semaines.
Parmi les 4,9 millions de veaux issus de mères laitières qui naissent chaque année, près de 10 % sont morts nés ou euthanasiés dès la naissance et un peu plus de 1,3 million sont collectés et abattus dans les jours qui suivent le vêlage. Cela concerne la plupart des mâles de race laitière et des femelles non conservées pour le renouvellement, avec une valorisation pratiquement nulle (5 à 10 €/tête).
Une partie d’entre eux sont utilisés par les fabricants d’aliments pour animaux de compagnie. Mais l’essentiel de la viande récupérée sur ces microcarcasses est hachée et exportée, principalement vers les États-Unis, le Liban, l’Égypte et certains pays asiatiques. Le recours à cet abattage très précoce est peu médiatisé mais il est susceptible de ternir sérieusement l’image des produits laitiers néo-zélandais. Des travaux sont en cours pour chercher une alternative en produisant pour le marché intérieur des bouvillons ou génisses abattus autour d’un an.
Veaux rosés aux Pays-Bas
À côté du veau blanc, similaire à ce qui est classiquement produit en France, les Hollandais produisent également toujours à partir de veaux laitiers nés sur place ou importés essentiellement d’Allemagne des veaux rosés qui, une fois sevrés, sont engraissés avec des concentrés et des fourrages avant d’être abattus entre 7 et 8 mois. « Au 1er avril 2020, on dénombrait 688 000 veaux blancs (+ 9 %/2010) et 383 000 veaux rosés (+ 31 %/2010) », souligne l’Institut de l’élevage. La production de taurillons laitiers est plus limitée aux Pays-Bas. Comparativement à du veau blanc, cette production de veaux rosés limite le coût alimentaire grâce à la réduction drastique de la quantité de lactoremplaceur utilisée. Cette production est à plus de 90 % destinée à l’exportation en particulier pour les circuits de la restauration hors domicile de différents autres pays européens.