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Les pionniers du miscanthus en Corrèze

Récoltées en fin d’hiver, les tiges de miscanthus peuvent se substituer à de la paille. Quelques éleveurs corréziens se sont lancés, avec l’ambition de conforter l’autonomie de leurs exploitations pour réaliser les litières.

Si le prix du bétail avait augmenté ces dernières années au même rythme que celui de la paille livrée dans les cours de ferme, les détenteurs de cheptels allaitants n’auraient pas de problèmes de trésorerie en fin de mois ! Les sommes consenties pour confectionner les litières enflent d’année en année. Cette progression laisse peu d’espoir de voir le prix de la paille revenir aux chiffres d’il y a 15 ans. Et les évolutions du climat en cours et à venir vont probablement faire empirer le problème.

« Nous avons initié notre activité 'miscanthus' au printemps 2019. Pour l’instant 14 hectares ont été mis en place dans cinq exploitations », explique Clément Emery, ingénieur agro-environnement, auprès de la société Agricentre Dumas, une entreprise familiale de négoce (aliment du bétail, collecte de céréales, amendements, semences produits phyto…) du Limousin dont la clientèle est principalement située en Corrèze, Creuse, Dordogne et Haute-Vienne et qui ambitionne de développer le recours à cette plante sur sa zone de chalandise.

Trouver des alternatives à la paille

« Nos clients nous font régulièrement remonter leur souhait de pouvoir trouver des alternatives à la paille. Tous s’interrogent sur son prix et sur sa disponibilité dans les années à venir avec l’émergence d’autres utilisations (combustible, méthanisation…). Après avoir fait un tour d’horizon des différentes possibilités, le miscanthus nous est apparu comme une plante intéressante de par son haut potentiel de rendement (de 10 à 20 TMS/ha) et la possibilité de le récolter avec une ensileuse. »

Cette plante commence à être bien connue et surtout appréciée des aviculteurs. Les litières à base de tiges de miscanthus ensilé quand la plante est desséchée font peu à peu leur place dans leurs élevages. Les aviculteurs apprécient la capacité d’absorption de ce substrat et sa qualité plus régulière que la paille ou les copeaux, les deux autres produits classiquement utilisés.

Les premières parcelles de miscanthus mises en place chez les clients de la société Agricentre Dumas l’ont été en périphérie de Lubersac, à l’ouest de la Corrèze, aux confins de la Dordogne et de la Haute-Vienne. Ce territoire est plus favorable à cette plante sur le plan climatique et agronomique que les hauteurs trop froides du plateau de Millevaches aux terres granitiques filtrantes et acides. « Le premier objectif de ces éleveurs est de disposer d’un complément pour confectionner la litière. La plupart sont d’abord des éleveurs de limousines mais certains ont aussi des ateliers avicoles et connaissaient déjà ce produit, au moins de réputation », explique Clément Emery.

Un rendement de 10 à 15 TMS/ha

« Il y avait l’an dernier en France un peu plus de 7 500 hectares occupés par du miscanthus. Une bonne partie dans la moitié Nord de la France. C’est d’ailleurs là où cette plante a commencé à être cultivée voici une vingtaine d’années. » Dans un premier temps, cette culture visait à produire un maximum de biomasse à l’hectare, essentiellement à des fins énergétiques. Quand elle est destinée à des chaudières, la combustion de 15 tonnes de paille de miscanthus dégage l’équivalent en chaleur de la combustion de 6 000 litres de fioul. L’usage du miscanthus s’est ensuite étendu aux litières. Cela concerne donc la volaille mais également les centres équestres et écuries de chevaux de course. À signaler sa possible utilisation pour garnir les bacs à litière des chats une fois transformée en granulés.

Le miscanthus peut rester en place 15 à 20 ans sur la même parcelle. « En Grande-Bretagne, il existe des parcelles occupées par cette plante depuis plus de 25 ans qui sont toujours productives », précise Clément Emery. Difficile de prédire ce qu’il en sera dans le Limousin. Prétendre atteindre une productivité de 20 TMS/ha sur des terres où le rendement en céréales à paille plafonne à 70 qt/ha semble présomptueux. La fourchette de 10 à 15 TMS/ha est plus en phase avec le potentiel des premières parcelles plantées. Comme le climat de Lubersac est clairement influencé par la douceur et même souvent la chaleur pesante du climat aquitain, atteindre les 15 TMS/ha fait partie du domaine du possible.

Peu de références en allaitant

Cette « paille » de miscanthus est encore peu utilisée en élevage bovin. « Il y a peu de références, surtout lorsque cela concerne des systèmes allaitants », regrette Clément Emery. Récoltée dans de bonnes conditions — à moins de 15 % de matière sèche —, la capacité d’absorption de cette plante serait deux à trois fois supérieure à la paille de céréales. C’est du moins le constat des aviculteurs. Cette aptitude serait liée à une tige à l’intérieur spongieux, rempli de mœlle, un peu comme une tige de roseau ou de sureau.

Lire aussi : "Je teste 4,2 ha de miscanthus pour compléter 20 ha de céréales à paille"

Le miscanthus offre également l’avantage d’être une matière prête à l’emploi dès sa récolte, à condition d’être stockée au sec dans l’attente de son utilisation. Compte tenu de cette capacité d’absorption supérieure à la paille, un hectare de miscanthus produisant 15 TMS/an équivaudrait à la production en paille d’une petite dizaine d’hectares de céréales. L’idée n’est pas non plus d’avoir 100 % des besoins en litière issus des surfaces en miscanthus, mais davantage de disposer d’un produit de substitution pour réduire ou même cesser les achats de paille de litière.

Lire aussi : Cinq alternatives à la paille pour la litière des bovins viande

Côté surfaces, les hectares occupés par le miscanthus ont l’inconvénient de « neutraliser » autant de parcelles mécanisables, jusque-là occupées par des céréales ou des prairies. « C’est plutôt à préconiser pour des élevages autosuffisants en céréales, mais non autonomes en paille. » Cette plante gagnera ensuite à occuper des parcelles excentrées, compliquées à faire pâturer (pas de point d’eau…) ou à fertiliser avec des fumures animales, car éloignées des bâtiments. Les surfaces occupées par du miscanthus sont éligibles en tant que SIE dans le cadre de l’actuelle PAC et 1 m2 de surface occupée équivaut à 0,7 m2 de SIE.

Un investissement initial conséquent

Si ce premier tableau semble attrayant, le coût lié à la mise en place de cette plante l’est nettement moins. Il est annoncé à 3 600 euros/ha. L’investissement initial équivaut à 15 à 20 années de mise en place d’une culture acquittée en une seule fois dans la mesure où une fois que le miscanthus est en place, les frais d’entretien et de fertilisation sont nuls ou négligeables. Les seuls frais incontournables sont alors ceux de la récolte qui se déroule un peu comme celle d’un ensilage de maïs. Le prix de revient de la tonne de litière produite est alors, comme pour toute culture, essentiellement dépendant du rendement, lequel est en lien direct avec les conditions climatiques de l’année et le potentiel agronomique du sol. D’où l’importance de mettre en place cette plante sur des parcelles qui ont quand même un certain potentiel.

Lire aussi : Conforter les disponibilités en bois issu des haies

À signaler également que, à compter de la fin du printemps, le miscanthus devient un couvert extrêmement dense. Et comme il est en place jusqu’à la fin de l’hiver, il constitue une remise idéale pour le grand gibier et en particulier le sanglier. Il est donc conseillé d’éviter de mettre en place du miscanthus sur des parcelles de trop grande dimension d’un seul tenant. Au moment des battues, si la surface est trop importante, les sangliers tourneront devant les chiens et seront quasi impossibles à déloger. Pas l’idéal dans ce cas de figure d’entretenir de bonnes relations avec ses voisins agriculteurs !

 

 

Coûteux à mettre en place mais durable

Aussi appelé « herbe à éléphant », le miscanthus est une graminée pérenne géante. Il est multiplié par bouturage de rhizomes.

Le miscanthus est une graminée pérenne géante originaire d’Asie, issue de l’hybridation de deux sous-espèces : miscanthus sinensis et miscanthus sacchariflorus. Cet hybride stérile est une plante en C4 comme le maïs et le sorgho. Le miscanthus n’est donc pas une espèce invasive. Il est multiplié par bouturage de rhizomes. À la différence du bambou dont les racines traçantes sont envahissantes, il ne s’étend pas au-delà de la parcelle où on souhaite le cantonner.

Les rhizomes sont mis en terre idéalement de fin avril à fin mai, après un travail du sol similaire à ce qui est habituellement réalisé avant un maïs, sur des terres réchauffées mais encore humides. « Entre l’achat des rhizomes et leur mise en place, il faut tabler sur un coût d’implantation de 3 600 €/ha », indique Clément Emery. Cette somme se répartit dans les grandes lignes entre le travail préparatoire du sol (100 €/ha), l’achat des plants (3 100 €/ha), la location de la planteuse (200 €/ha), un antitaupin (70 €/ha) et des frais divers (désherbage, roulage, broyage en fin de première saison de végétation) pour 140 €/ha. Une somme initiale conséquente, à relativiser compte tenu de sa durée d’amortissement. Cette somme passe à 240 €/an/ha si la parcelle reste en place 15 ans et 180 €/an/ha si cette durée est de 20 ans.

De la qualité du rhizome dépend le bon démarrage. La densité de plantation préconisée est de 20 000 morceaux de rhizomes par hectare pour un objectif de 12 000 à 15 000 pieds par hectare avec un interligne de 75 centimètres. La régularité de l’implantation est importante car un espace non planté (ou un rhizome qui n’a pas repris) ne sera pas colonisé par le pied voisin. D’où la nécessité d’une plantation soignée avec une cadence qui ne peut excéder 0,5 ha/heure. Les premières pointes de miscanthus émergent deux à trois semaines après. Une grande attention doit être portée à la prévention contre les graminées la première année. La fertilisation est déconseillée car elle profite plutôt à ces dernières.

Pleine production à partir de 3 ans

La première année de végétation, la production de biomasse est insuffisante pour justifier une récolte. Le peu de végétation sera juste broyée en fin d’hiver. Les surfaces sont récoltées à compter de la seconde année et la parcelle est en pleine production à compter de la troisième. Comme toute plante, il y a ensuite un effet météo. Chaleur et humidité favorisent de hauts niveaux de production.

En automne, les nutriments contenus dans la tige et les feuilles redescendent dans le rhizome pour permettre à la plante de repartir de plus belle au printemps suivant. La partie aérienne est gélive et meurt chaque automne. Les feuilles desséchées tombent en cours d’hiver et forment comme un « mulch » à la surface du sol. Les tiges d’environ 1 centimètre de diamètre pour 1,5 à 3 mètres de haut se déshydratent en cours d’hiver et atteignent leur plus faible taux de matière sèche à la faveur de l’alternance entre gelées nocturnes et journées ensoleillées. En Corrèze comme ailleurs, les belles journées de la fin mars sont le moment idéal pour récolter les cannes. Le fort pouvoir absorbant d’une litière en miscanthus est conditionné par un taux de matière sèche le plus faible possible. Idéalement moins de 15 %.

Pousse vigoureuse et très rapide

Comme les feuilles sont tombées au sol et que seule la tige est récoltée, les exportations de nutriments sont modestes. Dès lors, cette culture nécessite pratiquement aucune fertilisation. Rien n’empêche d’épandre du lisier ou fumier en excès tant que la végétation n’a pas véritablement démarré. Mais les fenêtres pour cet apport sont courtes car la pousse est vigoureuse et très rapide à compter de fin avril.

Bien que la coupe s’effectue à environ 20 centimètres du sol, il ne faut pas trop retarder la récolte, sous peine d’étêter une partie des repousses. Selon la parcelle et l’année, il faut compter entre 100 et 200 m3 par hectare, pour une masse de 100 à 120 kg par m3. La récolte peut être compromise si la parcelle est trop humide. Les sols argilo-calcaires sont donc déconseillés surtout s’ils se situent dans des creux du relief.

Au bout de 15 à 20 ans, la parcelle sera remise en culture. L’itinéraire prévu pour détruire la plante était initialement basé sur une association travail du sol et glyphosate. Avec la prochaine suppression de ce dernier, cette stratégie reposera sur une fréquence accrue de travail du sol.

Pour aller plus loin : Le miscanthus en vidéo

 

 

Un fumier exempt de graines d’adventices

Avant d’initier cette culture, la société Agricentre Dumas a fait tester ce produit chez un agriculteur de Haute-Vienne. L’essai a eu lieu pendant neuf semaines en janvier et février 2019. Vingt tonnes de miscanthus soit 200 m3 épandus au godet ont été utilisés dans une stabulation de 940 m2 de 108 places, soit une épaisseur d’environ 25 centimètres. Un vibroculteur était passé une fois par semaine pour décompacter et aérer la litière, prolonger sa durée d’utilisation et espacer les curages complets. Sans avoir à rajouter ni miscanthus ni paille, les animaux sont restés propres. L’un des gros freins a cependant résidé dans le fait de ne pas pouvoir utiliser de pailleuse pour faire un apport complémentaire de miscanthus. Ce qui dans un usage régulier du produit pourrait inciter à l’utiliser en sous-couche, un peu comme des plaquettes forestières puis à le compléter par des apports de paille.

Le fumier 100 % miscanthus s’est avéré facile à reprendre puis épandre. Ce fumier avait un pH légèrement basique. Il est également exempt de graines d’adventices. Des tests sont actuellement en cours avec la chambre d’agriculture de Corrèze pour mieux évaluer l’intérêt de cette litière en élevage bovin.

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