Le prix du bétail conditionnera le renouvellement des générations
Sans prix du bétail attractif, le renouvellement des générations d’éleveurs va poser problème. Telle pourrait être la conclusion de l’un des ateliers organisé à l’occasion du congrès de la FNB.
Sans prix du bétail attractif, le renouvellement des générations d’éleveurs va poser problème. Telle pourrait être la conclusion de l’un des ateliers organisé à l’occasion du congrès de la FNB.
Après avoir progressé de 115 000 têtes entre décembre 2013 et décembre 2016, les effectifs du cheptel allaitant français se sont brutalement érodés au cours des mois qui ont suivi et depuis, cette tendance se poursuit. « Nous connaissons actuellement une période de décapitalisation brutale. Le troupeau allaitant français a perdu 150 000 vaches entre décembre 2016 et décembre 2018 », a expliqué Eva Groshens, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage à l’occasion du dernier congrès de la Fédération nationale bovine. La progression constatée entre 2013 et 2016 était principalement liée à des agrandissements de cheptels. « Beaucoup d’éleveurs avaient conservé quelques génisses supplémentaires en attendant de connaître les nouvelles modalités d’attribution de l’aide couplée à la vache allaitante. » Cette période s’était également traduite par quelques reconversions du lait vers la viande.
Une chute brutale des effectifs
Depuis fin 2016, la chute des effectifs est brutale. Elle correspond à un réajustement de cheptel. Ce phénomène était attendu, une fois connues les modalités d’attribution de l’Aide bovine allaitante (ABA), mais il surprend par son ampleur et son intensité. L’érosion est pour partie liée au vieillissement des éleveurs avec une pyramide des âges désormais peu favorable. Si on s’en tient aux seuls détenteurs de troupeaux de plus de 20 vaches, en 2016, 49 % du cheptel français était détenu dans des fermes où le chef d’exploitation était âgé de plus de 50 ans et cette tendance va en s’aggravant au fil des ans. Ce phénomène semble surtout avoir été accentué par le contexte de crise auquel est confronté ce secteur depuis deux ans.
Alors que ces dix dernières années, il y avait eu une moyenne de 800 arrêts d’exploitations allaitantes de plus de 20 vaches par an, ce chiffre a doublé depuis 2016. Les cheptels « libérés » sont loin d’être intégralement repris, alimentant de ce fait l’actuelle baisse du cheptel. L’érosion est plus ou moins intense selon les secteurs géographiques. « La décapitalisation est nette dans un large bassin charolais et limousin mais également dans le Grand Ouest et tout le long de la frontière belge. La situation est moins alarmante dans le Sud Massif central où la quasi-stabilité des effectifs correspond aussi à des transferts entre cheptels laitiers et allaitants », soulignait Eva Groshens.
Donner un vrai signal prix
Des éleveurs présents lors d’un atelier organisé durant le congrès étaient invités à donner leur point de vue et leur analyse de la situation. Unanimes, ils ont mis en avant l’importance de voir le prix des bovins reprendre des couleurs. « Une meilleure rémunération est le meilleur rempart contre la décapitalisation ! » Et sans installations, la France risque de s’éloigner du modèle d’exploitations familiales qui est encore le sien.
« En Saône-et-Loire, les jeunes n’ont plus forcément envie de reprendre les énormes structures très spécialisées à 100 vaches et plus par UTH qui se sont progressivement constituées ces 20 dernières années. Ils n’en ont d’ailleurs souvent plus les moyens. Ils savent qu’ils risquent de s’enterrer sous le boulot pour une rentabilité trop médiocre », expliquait un éleveur bourguignon. « L’hyperspécialisation dans une monoproduction de viande bovine interroge dans les rangs de nos jeunes. On perçoit en revanche un nouvel intérêt pour des installations dans des systèmes allaitants incluant une diversification. Mais l’urgence, ce sont vraiment les prix du bétail. S’ils ne se redressent pas à brève échéance de façon sensible, cela va se traduire par de gros dégâts dans nos zones très spécialisées. »
Et de souligner que si, d’ici 2023 — date de la prochaine réforme de la PAC — les intervenants de l’aval n’ont toujours pas compris l’importance de donner un vrai signal prix, le nombre de vaches allaitantes dans les campagnes bourguignonnes va continuer à dégringoler. La problématique est particulièrement aiguë dans les zones intermédiaires, quand il est encore possible de retourner quelques prairies pour accroître la part des surfaces en culture.
Installer puis travailler dans de bonnes conditions
Installer des jeunes pour produire de la viande bovine c’est bien entendu leur permettre de travailler dans de bonnes conditions en leur donnant la possibilité de prendre des congés et se faire momentanément remplacer. Si le décalage est trop important avec les conditions de vie de leurs contemporains sur les volets revenu, emploi du temps, horaires… il est bien évident que l’on va peiner à installer. « Dans nos zones allaitantes spécialisées, il est possible de s’organiser face à ces contraintes. Mais on ne pourra le faire que si la rémunération est au rendez-vous. Pour installer davantage de jeunes, des prix plus attractifs sont indispensables mais il faut également un meilleur accompagnement financier des installations. Si on ne joue pas sur ces deux volets, la courbe ne se redressera pas », expliquait Jean-Marie Fabre, éleveur dans le Cantal. Le montant du capital que représente un élevage allaitant et la faible rémunération de ce capital ont été maintes fois dénoncés par les éleveurs participant à cet atelier en soulignant la « frilosité » des banques et des centres de gestion, lesquels ne manifestent pas un grand enthousiasme pour accompagner les installations dès qu’il s’agit de viande bovine.
« Et pourquoi ne pas comparer notre métier avec d’autres professions ? », interrogeaient certains éleveurs. « La reprise des pharmacies ne pose généralement pas de difficultés. » Elles sont encore nombreuses sur le territoire français et leur prix de cession, corrélé au chiffre d’affaires du cédant, est pourtant généralement conséquent. « Mais les jeunes pharmaciens n’hésitent pas à franchir le pas tout simplement car eux-mêmes comme les banques savent parfaitement que la rentabilité sera au rendez-vous. La question du renouvellement des générations dans notre profession, c’est d’abord le problème du prix auquel sont vendus nos animaux et de la rentabilité insuffisante de notre métier. »
Face à l’attrait de la charrue dans les zones où il est encore possible de faire davantage de céréaliculture, certains polyculteurs-éleveurs ont toutefois alerté leurs collègues. « En 2012, je voulais vendre mes vaches car je vendais à l’époque mon colza à 480 €/t. Avec un rendement de 40 qt/ha, je ne voyais pas l’intérêt de les conserver. Mais en 2018, ramené à l’hectare, j’ai gagné davantage avec mes vaches qu’avec des céréales et des oléagineux ! », précisait un éleveur du Gers. Attention donc dans les zones intermédiaires où le potentiel des sols demeure modeste, à ne pas se laisser trop facilement séduire par le retournement des prairies pour les remplacer par la classique rotation colza blé orge !
Attention aux discours syndicaux trop négatifs
Attention aussi aux discours syndicaux trop négatifs. À force de dire en permanence que tout va mal, bien des jeunes qui pourtant ont la fibre élevage et sont à première vue passionnés par le métier pourraient laisser tomber leur projet d’installation si au fil des discussions et des réunions avec leurs aînés ils entendent dire en permanence que l’avenir est compromis. Attention au défaitisme. C’est à terme, dangereux. « Il faut aussi éviter d’idéaliser les différents métiers de nos contemporains. Tout est loin d’être idéal dans les autres professions et secteurs d’activité », soulignait Dominique Fayel, éleveur dans l’Aveyron. « Quand on fait un bilan avantages/contraintes de bien d’autres professions, le métier d’éleveur a quand même bien des atouts. »
Même s’il ne faut pas non plus nier les difficultés de ces derniers mois, lesquelles ont été accentuées par les aléas climatiques, il existe quand même – et heureusement ! – des exemples d’exploitations qui permettent à de jeunes éleveurs de vivre de leur métier.
Pâturage, fourrages et autonomie alimentaire
Il faut aussi accepter de savoir remettre en question certaines de ses pratiques. Travailler sur la gestion du pâturage, la qualité des fourrages et la meilleure autonomie alimentaire sont des volets souvent mis en avant par les techniciens. « Il y a également un enjeu phénoménal sur l’organisation du parcellaire. Un parcellaire regroupé est une donnée fondamentale. On va parfois chercher quelques hectares supplémentaires qui vont au final s’avérer être coûteux dans le fonctionnement de l’exploitation », soulignait Emmanuel Bernard, éleveur dans la Nièvre. Autre donnée à ne pas oublier : « la population mondiale s’accroît tous les jours d’un peu plus de 200 000 habitants. Cela doit quand même pouvoir offrir quelques perspectives ! »
Partager ses réflexions avec les élus de son territoire
Que seraient les collines du Brionais, les bocages de l’Ouest ou les estives de l’Aubrac sans la présence des élevages de bovins allaitants ? « Dans un département comme le Cantal, le tourisme rural dépend avant tout d’une paysannerie vivante et nombreuse pour entretenir la beauté de nos territoires. Il y a interdépendance entre l’élevage et d’autres activités économiques », expliquait Jean-Marie Fabre, éleveur de Salers dans ce département.
« À nous de faire partager nos réflexions sur l’installation et la dimension de nos exploitations aux élus de nos territoires. Ils vont devoir appuyer nos préoccupations à haut niveau », poursuivait l’éleveur cantalien. L’élevage allaitant conduit par des exploitations de type familial et non par un système de « ranching » versus Amérique du Nord fait partie des fondamentaux de l’identité rurale française. « Et si l’élevage allaitant cesse de valoriser ces territoires, on le remplace par quoi ? Par des méthaniseurs ? Par de la lande ? Par de la friche ? Par de la forêt ? », soulignait Emmanuel Bernard, éleveur dans la Nièvre. Et de rappeler que cette dernière ne pousse pas toute seule et que planter des arbres n’est pas gratuit. Il faut attendre 50 ans pour avoir un douglas exploitable et au moins 150 ans pour un chêne !
F. A.