Que se passe-t-il sur le marché des peaux brutes de bovins et du cuir ?
Robert Ameteau - Depuis 2015, d’une part l’économie chinoise s’essouffle, et d’autre part nos voisins européens deviennent concurrentiels sur le marché mondialisé des peaux brutes. Espagnols, Polonais et Allemands surtout ont en effet progressé ces dernières années dans leurs élevages, leurs abattages et leur préparation des peaux. En même temps, l’activité d’élevage en France est orientée à la baisse alors que les volumes d’abattage ont beaucoup progressé à l’échelle mondiale, en particulier aux USA. La chaîne de valeurs est donc complètement altérée. Une peau brute de bovins qui a valu jusqu’à 80 euros en sortie d’abattoir a perdu près des trois quarts de sa valeur, et se vend même dans certains cas 10 ou 15 euros. Cela représente 0,15 euro par kilo de carcasse !
La filière avait déjà connu des difficultés il y a dix ans, avec la crise financière mondiale de 2007-2008.
R. A. - Le cours du cuir était en effet au plus haut avant 2007. La France exportait alors une très grosse proportion de ses peaux brutes de bovins en Italie. Avec la crise financière mondiale de 2007-2008, les marchés italien et allemand s’étaient rapidement engorgés à cause de la baisse de la consommation de chaussures, de voitures… Les cours s’étaient effondrés. C’est à ce moment que la Chine a développé son activité de tannerie pour ses besoins domestiques, en cherchant des peaux de très bonne qualité. Elle les avait trouvées à l’époque en France à moindre prix. En effet, la France bénéficie de l’image de berceau de races bovines, et réalise depuis longtemps un excellent travail de préparation des peaux grâce à la dépouille mécanique, et à la qualité des opérations de tri, salage et conservation. Portés par cette demande chinoise, les abattoirs vendaient allègrement les peaux brutes depuis dix ans et n’ont pas anticipé ce retournement de marché.
Le marché du cuir est-il fortement impacté par le mouvement végan ?
R. A. - Il existe en effet de plus en plus de produits alternatifs au cuir, mais qui sont la plupart du temps dérivés du pétrole ou parfois même bien moins écologiques qu’il n’y paraît. C’est avant tout le ralentissement économique mondial et les habitudes de consommation qui ont un impact sur le secteur. Dans certains pays, comme l’Uruguay et le Brésil, une partie des peaux brutes ne peuvent pas être transformées à cause de leur mauvaise qualité et sont détruites. Aux USA, les abatteurs les bradent, car leur modèle économique fonctionne sans elles, uniquement sur la viande. Une grande partie des peaux de moutons françaises sont aujourd’hui détruites. Aujourd’hui le marché du cuir en France représente 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 190 000 salariés. Il va falloir faire beaucoup d’efforts pour pouvoir continuer à valoriser les peaux des animaux français.
Quelles sont les pistes pour sortir de cette situation ?
R. A. - Nous allons entrer dans une phase beaucoup plus active de communication. Notre syndicat des Cuirs et Peaux bruts défend la qualité et la diversité de nos produits à travers des salons internationaux comme à Shanghai, Milan, Pékin, ou Chennai en Inde. Nous démarchons également de nouveaux marchés, en Afrique par exemple. Et à titre personnel, mon entreprise étudie actuellement une filière inédite avec le groupement d’éleveurs de jeunes bovins limousins Celmar, son abatteur Union France Limousin à Montmorillon, un tanneur, et son client — fabricant référent de canapés en France. Le marché est structuré avec 85 % d’exportation. Je ne vois pas la mise en place de nouvelles tanneries en France. Cependant, il faut pouvoir maintenir celles qui sont encore là.
Une perte qui représente 0,15 euro par kilo de carcasse