La filière bovine irlandaise garde le cap sur la montée en gamme
L’Irlande maintient sa stratégie à l’export, malgré une transformation de ses systèmes d’élevage. Visant à développer une segmentation haut de gamme, la filière viande bovine travaille sur les signes de qualité pour renforcer son argumentaire.
L’Irlande maintient sa stratégie à l’export, malgré une transformation de ses systèmes d’élevage. Visant à développer une segmentation haut de gamme, la filière viande bovine travaille sur les signes de qualité pour renforcer son argumentaire.
L’Irlande exporte 90 % de sa production de viande bovine depuis plus de dix ans. La valeur de l’export augmente, tirée par l’inflation et les prix élevés dans les pays acheteurs qui vivent la décapitalisation de leur cheptel. En 2023, BordBia, l’organe irlandais de promotion des produits agroalimentaires nationaux, chiffre à 2,7 milliards d’euros la valeur commerciale pour l’exportation de viande bovine (+ 2 % par rapport à 2022), pour un volume en légère baisse (-3 % par rapport à 2022).
Des volumes stables qui masquent un virage laitier
Si le cheptel irlandais apparaît comme relativement stable dans le temps, il masque la transformation de l’élevage : le virage laitier s’accentue depuis la fin des quotas, tandis que la production de bovins viande s’érode, faute de rentabilité. « Il y a dix ans, les vaches allaitantes représentaient la moitié du cheptel. Mais depuis, leur nombre diminue chaque année de 3 % : certains se convertissent à l’élevage laitier, plus rentable, d’autres arrêtent ; beaucoup de petites exploitations ne sont pas reprises par la nouvelle génération », regrette Tomas Bourke, Livestock Policy Executive pour l’Irish Farmers’Association (IFA, association des agriculteurs irlandais). « Le gouvernement prévoit même une réduction à 600 000 têtes dans les années à venir », déplore Brendan Golden, président de la section bovine à l’IFA. En 2023, l’Irlande comptait 1,6 million de vaches laitières, et 860 000 vaches allaitantes.
L’élevage allaitant réparti sur de petites exploitations avec peu de charges
Grâce au climat océanique doux, favorisant la pousse de l’herbe, les coûts directs de production sont limités : « 95 % de l’alimentation des bœufs et des génisses est basée sur l’herbe fraîche ou récoltée, ce qui représente 220 jours de pâturage intégral chaque année », indique l’Institut de l’élevage. Selon le Teagasc, l’Institut technique agricole d’Irlande, la ressource fourragère représente en moyenne 80 % des coûts directs de production en atelier naisseur. Sur les ateliers d’engraissement, c’est le deuxième poste de coût après l’aliment concentré.
« Les exploitations irlandaises sont de petites tailles, elles réalisent peu d’investissement en matériel et comptabilisent donc de faibles charges fixes », complète Caroline Monniot, économiste à l’Institut de l’élevage. Le troupeau moyen compte 33 UGB en système « cattle rearing » (proche du naisseur ou naisseur-engraisseur), 49 UGB pour les systèmes « cattle other » (à dominante engraissement), d’après le recensement du Teagasc en 2022.
Un rapport de force déséquilibré entre producteurs et abatteurs
Si le modèle très économe des élevages irlandais de type viande limite les frais, la petite taille des exploitations a tendance à donner l’avantage aux abattoirs dans la négociation des prix. « Les éleveurs bovins viande sont souvent doubles actifs », précise Tomas Bourke. « Face à un maillon élevage très peu organisé, les abatteurs, entièrement privés, peuvent exercer une pression continue sur les prix », poursuit Caroline Monniot. En effet, l’abattage des bovins est concentré sur une poignée d’acteurs : sept groupes d’abatteurs, dont trois entreprises (ABP, Dawn Meats, et Kepak) réalisent à elles seules 65 % des abattages de bovins pour l’exportation en 2018, indique l’Institut de l’élevage.
En 2023, le bœuf R3 valait en moyenne 5,20 €/kg carcasse, une hausse de 3,5 % par rapport à 2022. « Nous anticipons une augmentation du prix à l’abattage des gros bovins de 3 % en 2024, soit approximativement 5,35 €/kg pour les bœufs R3 », indique le Teagasc. Une prévision qui semble se réaliser, puisque le Department of Agriculture, Food and the Marine (ministère de l’Agriculture) indique que le prix moyen a dépassé 5,40 €/kg tout le mois de juin, avec un pic à 5,46 €/kg. Les prix sont ensuite retombés, mais restent supérieurs à ceux de l’an passé. À la mi-août, le bœuf R3 se chiffrait à 5,26 €/kg sur la dernière semaine de mai 2024.
La décapitalisation européenne tire les prix de la viande irlandaise
« Structurellement, la chute de la production au Royaume-Uni et dans l’Union européenne a tiré vers le haut les prix de la viande locale, alors que l’offre irlandaise reste quasi-stable », analyse Germain Milet, spécialiste des marchés France, Belgique & Luxembourg à BordBia. En effet, « puisque l’Irlande produit bien plus que ce qu’elle ne consomme, la demande pour une viande 'nationale' ne pèse pas suffisamment pour donner une plus-value à la viande irlandaise, à la différence de la France », complète Caroline Monniot. Les débouchés à l’export façonnent le chiffre d’affaires de la filière irlandaise : d’après Eurostat, le Royaume-Uni représente 46 % des volumes de bœuf exportés par l’Irlande en 2023, et l’Union européenne 44 % (dont 13 % vers la France, 7 % vers les Pays-Bas, 6 % vers l’Italie).
En anticipation du Brexit et de la diminution de la consommation de viande bovine en Grande-Bretagne et en Europe, les entreprises irlandaises ont développé l’export vers les pays tiers : il a doublé entre 2015 et 2020, et représentait 10 % des volumes exportés en 2023. Les Philippines en reçoivent la majorité. La Chine occupait la deuxième place jusqu’à ce qu’un cas d’ESB en Irlande ferme temporairement ce marché. Il a rouvert en 2023. L’export irlandais s’est entre-temps reporté vers des marchés plus rémunérateurs comme les États-Unis, indique l’Institut de l’élevage. Enfin, « le marché coréen, qui vient d’ouvrir, ouvre de belles perspectives », affirme Germain Milet.
Vers une production à valeur ajoutée
Les débouchés à l’export façonnent également les attentes auxquelles la viande irlandaise doit répondre. « La stratégie du ministère vise à encourager la montée en gamme de la viande irlandaise pour rapporter plus de valeur dans la filière, les territoires ruraux et les fermes, explique Germain Milet. Cela passe notamment par une attention renforcée à la qualité et à la régularité de la viande, une meilleure connaissance des marchés et des consommateurs et la fourniture de produits de plus en plus élaborés. »
L’export sous forme de viande désossée, largement majoritaire, permet d’orienter les différentes pièces vers le marché où elles seront le mieux valorisées, d’après l’Institut de l’élevage. Ainsi, la Belgique privilégie les découpes les plus nobles, importées en petits volumes pour un segment haut de gamme où ils sont valorisés à 10,90 €/kg en 2020. À l’inverse, « la Suède achète beaucoup de viande pour la réalisation de boulettes ou autres préparations, ce qui explique le moindre prix : 5,40 €/kg », rapporte l’institut. Quant à l’export de désossé vers la France (21 000 tonnes), il « mélange à la fois les découpes nobles de vaches de réforme, des bavettes d’aloyau de tous types de bovins et de la viande pour haché », pour un prix moyen de 5,70 €/kg de viande en 2020.
Enfin, pour répondre aux attentes environnementales des consommateurs, l’Irlande a créé en 2012 Origin Green, un programme pour améliorer la durabilité de ses produits agroalimentaires, qu’Idele qualifie de « fer de lance de la communication à l’export des produits irlandais ». 90 % des exports sont produits sous le label Origin Green. Depuis 2023, l’IGP Irish Grass Fed Beef (1) apporte un nouveau potentiel de valorisation.
Une filière dispersée sur de nombreuses petites structures
L’élevage allaitant irlandais se caractérise par des ateliers de petite taille. Bon nombre d’exploitations non spécialisées en bovins viande détiennent moins de cinq vaches. Les exploitations spécialisées (où 50 % de l’EBE au moins est issu de l’élevage de bovins viande) se caractérisent, elles aussi, par des dimensions réduites, comme le montre le recensement annuel du Teagasc.
Une logistique réorganisée post-Brexit
« L’impact du Brexit a été assez faible, car les entreprises ont eu le temps de s’y préparer », affirme Germain Milet, spécialiste des marchés à BordBia. Celles qui détiennent des sites d’abattage en Irlande et au Royaume-Uni ont adapté leurs flux. « Pour l’export sur le continent européen, le Brexit rajoute une contrainte administrative, mais négligeable », ajoute l’expert. L’Idele chiffre ce surcoût administratif à 0,10 €/kgec. « Le transport en ferry s’est beaucoup développé pour éviter de sortir du marché commun et ainsi s’affranchir des délais et contraintes logistiques liés aux contrôles douaniers nécessaires pour passer par le Royaume-Uni. D’autant que les contrôles sanitaires et phytosanitaires s’y ajoutent depuis mai », continue Germain Milet. Les ferries arrivent en majorité à Dunkerque et Cherbourg.