Dans l'Aude, le Gaec Rabanet compose avec la faible productivité des surfaces
Au Gaec de Rabanet, dans l’Aude, le plein air intégral est la règle. Dans cette zone au climat estival méditerranéen, des influences montagnardes l’hiver, l’objectif est de composer avec la faible productivité des surfaces, de centrer les vêlages sur une courte période et de faire la guerre aux charges.
Au Gaec de Rabanet, dans l’Aude, le plein air intégral est la règle. Dans cette zone au climat estival méditerranéen, des influences montagnardes l’hiver, l’objectif est de composer avec la faible productivité des surfaces, de centrer les vêlages sur une courte période et de faire la guerre aux charges.
Après son diplôme à l’école d’ingénieur en agriculture de Purpan, Romain Planel a été salarié cinq ans dans différentes structures (banque, centre de gestion et coopérative). En 2016, il a repris l’exploitation familiale située à Missègre dans les Hautes Corbières de l’Aude. Son père Claude s’était installé sur le tard en 1989 après avoir été artisan boucher une vingtaine d’années. « Sur la ferme, une partie des terres sont dans la famille depuis 13 générations. Même si les terrains sont acides sur sols schisteux où le rocher affleure, on y est forcément très attaché », souligne Claude Planel, lequel laisse désormais les rênes à son fils en suivant de près les évolutions techniques que ce dernier met en place et en lui donnant de sérieux coups de main dans le suivi au quotidien.
Terres ingrates, mais peu de charges
Le siège de l’exploitation est à 700 mètres d’altitude et le parcellaire s’étale de 580 à 880 mètres avec des pentes parfois importantes. Quand Claude Planel s’était installé en 1989, il était parti d’un parcellaire vierge de toute clôture et jusque-là utilisé par des ovins gardés par des bergers et pour partie recouvert de broussaille. Simultanément à un travail de reconquête des surfaces pastorales, il avait, malgré les pentes, cloisonné les 130 hectares autour du siège de l’exploitation en plusieurs grandes parcelles en dessinant à grands traits avec les clôtures comme des parts de camembert. Ce travail par la suite étendu aux autres surfaces permet désormais de faire passer les lots d’un parcours à un autre en offrant également la possibilité de les diriger vers un impressionnant parc de contention couplé à plusieurs petits corrals avec, sous un appentis, six cases individuelles munies chacune d’un cornadis pouvant faire office d’infirmerie. « Nos infrastructures se limitent au parc de contention et à un système de clôture efficace. C’est indispensable dans un système d’élevage comme le nôtre », souligne Romain Planel. Il n’y a aucun apport sur les surfaces, donc aucun frais ! Seule intervention : « on continue à passer le broyeur chaque été sur plus de 250 hectares, sinon ligneux et fougères regagneraient vite du terrain ».
Les 380 ha de SAU sont donc à relativiser compte tenu de leur modeste productivité et incitent à parler de parcours plus que de prairies (300 ha à la PAC). La faible épaisseur de terre les rend en revanche très portantes. Dans ce contexte, la conduite repose sur le plein air intégral pour les bovins comme les ovins. Ces derniers sont en bio et les 400 mères, à l’origine des Blackface écossaises hyper rustiques, sont désormais bien métissées faute de pouvoir se réapprovisionner en bélier de cette race. « Elles ne sont complémentées qu’en temps de neige et le reste du temps en totale autonomie fourragère », précise Romain Planel. Le cheptel bovin repose sur une centaine d’Aubrac pour lequel l’objectif de 120 vêlages par an sera atteint cet automne.
« Mon père conduisait ses 80 mères avec 75 % de croisement. Même s’il achetait de bons taureaux en prenant conseil auprès de l’Union Aubrac, toutes ses génisses pures étaient mises à la reproduction avec un faible taux de renouvellement. Les vêlages s’étalaient de septembre à mai avec deux pics en début d’automne et fin d’hiver, sans véritable arrêt entre les deux. Les veaux de printemps étaient pénalisés par le manque d’herbe en été, et souvent la chute des cours lors des descentes de montagne." Après avoir connu quelques difficultés sanitaires (notamment BVD et besnoitiose), Romain Planel fait actuellement évoluer la conduite de son cheptel pour avoir seulement du vêlage d’automne. « Mon objectif est d’arriver à 70 vêlages en octobre, 30 en novembre et 20 sur décembre. Le vêlage d’automne permet aux vaches fraîchement suitées de valoriser les repousses d’arrière-saison. En fin d’automne, la consommation de feuilles et fruits forestiers, principalement des glands n’est pas à négliger, mais elle est impossible à quantifier. »
Cantonner les vêlages au quatrième trimestre
Les veaux sont ensuite suffisamment âgés au printemps pour profiter de l’herbe. Ils sont sevrés et vendus entre 6 et 9 mois juste avant que l’herbe ne grille. Pour le dernier lot vendu, les GMQ des mâles oscillaient entre 850 et 1 220 g sans la moindre complémentation. « Notre politique a toujours été de faire la guerre aux charges et de limiter les intrants sachant qu’il est chez nous inenvisageable de produire des céréales », précise le jeune éleveur. Raccourcir la période de vêlage vise également à réduire le nombre de journées consacrées aux interventions sur les animaux (pesées, vaccination, ventes…). Et surtout à réserver le printemps à la récolte des fourrages.
Pour cantonner les vêlages au quatrième trimestre, les taureaux sont retirés des lots de femelles le 20 avril. L’an dernier, les mises à la reproduction des meilleures vaches vêlant au second semestre ont aussi été retardées. Décision qui va forcément pénaliser leurs IVV. Choix a également été fait de faire naître et conserver davantage de génisses Aubrac pour mieux trier celles conservées pour le renouvellement. « Mon père mettait ses 25 % meilleures vaches avec un Aubrac et les autres en croisement. Je raisonne à l’inverse. Je mets mes 25 % moins bonnes vaches avec un Charolais et toutes les autres avec des Aubrac. » La période de mise à la reproduction démarre le 20 décembre et le nombre de vaches par taureau est réduit. "Mon père en mettait 35, je limite à 25. »
Jusqu’à 60 têtes pour une vente
L’essentiel des ventes ont lieu la dernière semaine de juin. « On pèse tout au préalable pour bien connaître notre offre, puis on regroupe quelque 60 à 70 têtes en plusieurs lots relativement homogènes (mâles précoces, mâles tardifs, broutardes pures, broutardes croisées, vaches). Au préalable on a contacté plusieurs acheteurs en décrivant notre offre. À eux de venir les estimer puis nous communiquer un montant global. On vend le lot sans le détailler au plus offrant en fixant également un délai d’enlèvement. » Une fois les veaux sevrés, il n’y a plus sur le siège de l’exploitation que deux lots de vaches pleines, celui des taureaux et les laitonnes conservées pour le renouvellement.
À partir de juillet, démarre une longue période sèche dont l’intensité tend à s’accentuer. Les deux lots de vaches taries tournent alors sur la totalité des surfaces avec utilisations successives de stocks d’herbe sur pied pour partie desséchée. Heureusement en fin de gestation, une Aubrac se maintient en état avec pas grand-chose.
Fin septembre, les lots sont rapprochés des parcs de vêlage : deux petites parcelles d’environ un hectare contiguës au parc de contention pour faciliter une éventuelle intervention. « On surveille de près mais sans se lever la nuit. » Quatre à cinq jours après vêlage, les vaches suitées sont progressivement regroupées en cinq lots qui correspondront aux lots d’hivernage et de mise à la reproduction. Chaque lot de vaches suitées dispose alors d’un grand parc de plus de 30 ha avec des râteliers en libre-service garnis en permanence de mi-novembre jusqu’à fin avril mais sans complémentation en concentré. Les râteliers sont remplis trois fois par semaine en alternant foin de prairie permanente et foin de luzerne de première ou seconde coupe. « Les jours où on affourage, cela représente deux à trois heures de travail auxquelles s’ajoute une bonne heure de surveillance." La complémentation minérale se fait par l’eau de boisson sans occulter les blocs à lécher « fait maison » en mélangeant dans une bétonnière du sel, du chlorure de magnésium et des minéraux sous forme de semoulette.
Possible finition d’une partie des femelles
La volonté de réduire les charges n’empêche pas de vouloir améliorer la valorisation des animaux en travaillant pour cela avec Jérémy Fraysse (voir encadré). Romain Planel étudie avec lui la possibilité de finir une partie des femelles dans le Tarn-et-Garonne, un peu sur le même principe de ce qui est mis en place pour la période d’élevage des génisses. « Cela pourrait concerner une partie des vaches de réforme et quelques génisses croisées. On doit analyser dans les détails cette éventualité. » Pas question en revanche d’investir dans une stabulation ou d’intensifier la conduite des surfaces. « Le retour sur investissement ne le justifierait pas et ici c’est à mon sens contre-productif. »
Chiffres clés
Au Gaec de Rabanet
• 120 vêlages par an d’objectif, atteint cet automne
• 400 brebis conduites en bio en 2020
• 4 UTH : Claude et Romain Planel, secondés par deux salariés, dont l’un est berger et presque exclusivement affecté au suivi des ovins.
Fourrages récoltés dans la plaine
Les fourrages distribués en hiver sont récoltés dans la plaine, à une trentaine de kilomètres du siège de l’exploitation, tout autour de Limoux, entre début mai et fin juillet pour les secondes coupes de luzerne. Ils concernent sur plus de 250 ha des achats d’herbe sur pied, des commodats, mais également des parcelles implantées en luzerne chez des viticulteurs suite à un arrachage de vigne ou chez des céréaliers qui souhaitent mettre en place de la luzerne avec la volonté de diversifier et allonger les rotations. À cela s’ajoutent des achats de paille en andain, revendue à des négociants, tout comme le foin excédant les besoins du troupeau. Pas question en revanche de descendre des lots dans la plaine pour leur faire pâturer des repousses. Ce serait trop compliqué à organiser (transport, clôtures, surveillance…). « Pour les troupeaux il me faut, selon la durée de l’hiver, 700 à 800 tonnes de foin par an, utilisées en quasi-totalité pour les bovins. On ne récolte que des fourrages secs. Pas d’enrubannage et surtout pas d’ensilage. Cela se traduirait par des achats de plastique et je n’entends pas transporter de l’eau sur plus de 30 kilomètres." Les fourrages réservés aux troupeaux sont triés par catégories et stockés sous un hangar de 1 200 m2. Il en est de même pour le matériel parfaitement entretenu puis remisé dans deux endroits de 600 et 300 m2.
Des génisses en pension
Les Hautes Corbières sont une zone géographique éprouvante pour des bovins. Ce territoire est même pénalisant pour des génisses entre le sevrage et le premier vêlage. "La seule alternative possible, sans perdre d’argent est la mise en pension ! », estime Romain Planel. Depuis trois ans, les 25 à 30 laitonnes conservées pour le renouvellement quittent l’exploitation fin septembre pour aller chez Jérémy Fraysse, un céréalier du Tarn-et-Garonne avec qui Romain Planel a fait ses études (voir aussi Réussir Bovins viande, n° 276, pages 42 à 44) et dont l’exploitation se situe à 200 km de Missègre. Elles reviennent 18 mois plus tard. Au cours de cette période, elles auront successivement pâturé différents couverts de dérobées semées derrière des cultures. « Pour elles, c’est le 'Club Med'. Je les ramène pleines fin avril quand il y a ici un maximum d’herbe. Cela leur permet de retrouver des conditions d’élevage plus rudes tout en ayant eu une bonne transition avant leur vêlage en octobre. Cela me coûte 1,20 euro par jour et par génisse, mais je préfère avoir ici 20 UGB 'vaches suitées' de plus que 35 UGB 'génisses' ! » Le lot remonté cette année pesait une moyenne de 570 kg à 26-27 mois. De bons chiffres pour des Aubrac.