Changement climatique : « Je joue la carte de l’opportunisme climatique »
Matthieu Hubert, installé dans le Cantal, voit le potentiel de ses prairies s’amenuiser au fil des années, en lien avec les sécheresses consécutives et les pullulations de campagnols. Désormais seul à la tête de l’exploitation familiale, il travaille sur plusieurs leviers pour simplifier son système et le rendre plus malléable.
Matthieu Hubert, installé dans le Cantal, voit le potentiel de ses prairies s’amenuiser au fil des années, en lien avec les sécheresses consécutives et les pullulations de campagnols. Désormais seul à la tête de l’exploitation familiale, il travaille sur plusieurs leviers pour simplifier son système et le rendre plus malléable.
Face aux aléas climatiques, il faut « penser global mais agir local », soutient Matthieu Hubert, situé à Cézens dans le Cantal. Les sécheresses estivales, qui s’ajoutent à la pullulation de campagnols sur ces zones du Massif central, pénalisent durement le potentiel de ses terres. « Bien que ces aléas successifs me fragilisent sur le plan économique, mon objectif prioritaire est de garder un système économe », rapporte l’éleveur.
Alors Matthieu multiplie les tentatives d’adaptation en ciblant prioritairement la ressource fourragère et sa valorisation maximale. « On constate un démarrage de plus en plus précoce de la végétation en sortie d’hiver et une pousse de l’herbe explosive au printemps », indique-t-il. Mais les coups de froids, qui surviennent souvent tardivement à cette altitude, freinent sa pleine exploitation. « Je n’ai la possibilité de réaliser qu’une seule coupe sur la majorité de mes prairies au premier cycle, autour du 10 juin », situe Matthieu.
« L’implantation de prairies temporaires permet de gagner en précocité et donc d’étager un peu plus le démarrage de la pousse et des récoltes », appuie Yann Bouchard, ingénieur Méthodes et références à la chambre d’agriculture du Cantal, qui suit l’EARL Hubert Deloustal dans le cadre du réseau de fermes de référence INOSYS Réseaux d’élevage. Aussi, le pâturage tournant, puis rationné, s’est imposé, permettant de débrayer plus facilement les parcelles en excédent. En fonction de la météo et des stocks fourragers disponibles, l’éleveur ajuste la proportion de ses prairies dédiées en priorité au déprimage ou bien à la fauche. Il récolte la quasi-totalité de ses surfaces en foin sec, qui se prête mieux pour la distribution en libre-service dans ses bâtiments.
Constituer un stock de secours
Toujours dans cette optique d’adaptation, Matthieu travaille depuis plusieurs années sur le renouvellement de ses prairies, en diversifiant espèces et variétés, avec comme critères de sélection la précocité et la résistance au sec. « Sur les terres sableuses, en prairie longue durée, j’ai choisi un mélange qui répond bien en zone séchante : brome, ray-grass italien et hybride, trèfle blanc et violet », illustre-t-il. Afin de sécuriser davantage son autonomie fourragère, ce dernier a aussi testé l’implantation de 10 hectares de luzerne, mais les campagnols, particulièrement friands de légumineuses — encore plus en période pluvieuse —, ont eu raison de cette culture.
« Matthieu a par ailleurs implanté annuellement une douzaine d’hectares de blé prioritairement en lieu et place d’une prairie permanente très dégradée », fait savoir Yann Bouchard. En parallèle, l’exploitant a veillé à trouver des solutions économes en fonctionnement en limitant les besoins en paille. Seuls les parcs à veaux naissants et en repousse sont paillés, les bâtiments existants ou de construction neuve ayant été aménagés en logettes pour les vaches(1). « Le renforcement de l’autonomie de mon exploitation est un enjeu crucial, qui me permet aujourd’hui de contenir mes charges opérationnelles à 23 % du produit brut sur une année avec aléas climatiques », relève Matthieu.
Autre levier décisionnel, « la bourse à foin », comme la baptise Matthieu. Employée à l’époque par son père, elle consiste à acheter du foin par anticipation. « Je ne peux pas aller au-delà de mes capacités de stockage mais dès lors que j’estime avoir peu de stock d’avance, que les tarifs sont abordables et la qualité du foin de l’année passée au rendez-vous, je prévois l’achat de quelques bottes avant de faner », explique Matthieu. L’éleveur fait en sorte de disposer de 1200 ballots de 280 kilos bruts pour l’hiver et l’été qui suit. Ses achats anticipés peuvent aller jusqu’à 100 tonnes. « Cette stratégie, pour éviter la flambée des prix et la ruée sur les petites annonces, est sans doute un des leviers d’adaptation les plus inattendus. Pourtant, le raisonnement économique est parfaitement valable, démontrant l’étendue de la réflexion menée sur la recherche de résilience pour son système de production », salue Yann Bouchard.
Le mode de sevrage ajusté en fonction des ressources disponibles
Sur la conduite du troupeau aussi, des changements s’opèrent. La période de vêlages, qui s’étalait plutôt sur la fin de l’année, intervient désormais du 10 janvier au 10 mars, pour faire concorder la pousse de l’herbe printanière avec la poussée de lait, en mai. « Mais la plus grosse variable d’ajustement concerne le sevrage "physique" des veaux », rapporte Matthieu. Auparavant, durant l’automne, les veaux nés en début d’année étaient maintenus avec leur mère jusqu’à la vente. Le pâturage d’automne associé à une complémentation en concentrés permettait de gagner les derniers kilos. Mais face au déficit de pâture de plus en plus marqué sur la fin de l’été et l’automne, Matthieu a fait évoluer ses pratiques. Si la ressource en herbe vient à manquer, « les veaux sont séparés de leurs mères, triés en lots par sexe et catégories de poids et rentrés en bâtiment, entre la fin du mois d’août et début septembre, lorsqu’ils ont 8 à 9 mois », souligne Matthieu. L’idée est d’éviter de complémenter au champ. « J’enlève les veaux aussi pour économiser les vaches, qui restent dans les prés sans affouragement », reprend-il.
Les veaux sont alors repoussés jusqu’à la vente avec au menu un mélange d’aliments (60 % de blé et 40 % de colza) et de foin. « Cette ration doit permettre de rapidement compenser l’arrêt de croissance provoqué par le stress du sevrage et atteindre le poids optimum cible pour une mise en marché visé à un poids vif de 450 kilos en moyenne pour les mâles », ajoute Yann Bouchard. Depuis le départ à la retraite de ses parents, en décembre 2022, Matthieu a abaissé le cheptel de vingt têtes. Une diminution compensée par l’alourdissement des broutards, qui permet de maintenir un produit constant de 300 kilos de viande vive par UGB.
Chiffres clés
- 200 ha dont 170 ha de prairies permanentes (80 ha en estive) et 30 ha de prairies temporaires en rotation longue avec du blé rustique
- Parcellaire de 850 m à 1400 m : 3/4 environ en zone volcanique d’altitude, 1/4 sur sous-sol granitique, plus filtrant et séchant
- 100 allaitantes aubrac et leur suite
- Système naisseur alourdisseur avec vente de broutards à 450 kg et d’une quinzaine de vaches de réforme en filière Bœuf fermier d’Aubrac
- 1,5 UTH (aide familiale et main-d’œuvre occasionnelle).
« Des références pour aider les éleveurs à s’adapter au changement climatique »
« L’exploitation de Matthieu Hubert fait partie du réseau de fermes de référence Inosys réseaux d’élevage depuis 2014. Il y a un an, Chambres d’agriculture de France et Idele ont lancé une nouvelle thématique sur le changement climatique au sein de ce réseau. Les conseillers Inosys des chambres d’agriculture, qui ont une sensibilité particulière pour cette thématique, ont été réunis au sein d’un groupe de travail pour identifier des leviers d’action et des indicateurs qui permettent de se montrer résilient face au changement climatique. L’objectif est de s’appuyer sur les données existantes et d’illustrer, au travers de témoignages d’éleveurs en réseau, des adaptations concrètes mises en œuvre sur les plans structurel et conjoncturel. Pour l’heure, douze fermes ont été identifiées dont quatre en bovins viande. Le suivi ne change pas, mais nous axons la partie livrable sur le changement climatique. »