Ruralité
Mettre fin à l’implacable logique arithmétique
En janvier 2012, la délégation à la prospective a chargé Renée Nicoux, sénatrice de la Creuse, et Gérard Bailly, sénateur du Jura, d’établir ensemble un rapport sur l’avenir des campagnes.
“Votre rapport a été rédigé suite à un certain nombre d’auditions. Y a-t-il quelque chose qui vous a frappé dans ces entretiens ?”
Renée Nicoux, sénatrice socialiste de la Creuse, maire de Felletin : “Ce qui nous interroge, c’est le fait que les territoires ruraux soient considérés comme illégitimes lorsqu’ils militent en faveur du maintien du service public, au seul motif que ces services sont moins fréquentés qu’en milieu urbain. Alors évidemment, il y a certainement de nouvelles formes de services au public à trouver. Il ne s’agit pas de rester figé sur le service public tel qu’il existait il y a 100 ans. Néanmoins, les modes de vie des ruraux s’étant rapprochés de ceux des urbains, il ne faut pas trouver extraordinaire qu’ils réclament les mêmes services. À la campagne aussi, mari et femme travaillent et ont besoin pour leurs enfants de mode de garde, d’écoles, de services de santé…”
“Justement, sur la question de la santé, force est de constater qu’attirer des jeunes médecins en milieu rural n’est pas chose aisée, y compris moyennant des incitations financières. Quels remèdes préconisez-vous ?”
R. N. : “De nouveaux principes méritent d’être instaurés. La formation des médecins devrait inclure un stage obligatoire en milieu rural. On devra peut-être aller plus loin par des mesures plus coercitives. En France, la formation des médecins est gratuite, tout comme celle des enseignants. À l’issue du concours, on oblige les professeurs à rester en poste dans l’académie où ils ont été affectés un certain nombre d’années. On pourrait envisager de passer à un système similaire pour les médecins, au regard de la dette qu’ils ont envers l’État. Beaucoup de jeunes médecins, lorsqu’ils ont eu la pratique de la médecine en campagne, ne trouvent finalement pas cela si compliqué. Une fois les réticences initiales levées, on pourrait avancer en allant vers davantage de mutualisation, en créant des maisons de santé, en utilisant les nouvelles technologies. Les incitations financières des collectivités sont une fausse bonne idée, puisqu’encore une fois, en fonction des ressources de chacune d’entre elles, on attise le principe de la concurrence entre régions.”
“On a parfois l’impression que les arguments des territoires ruraux ne pèsent pas bien lourd face au rouleau compresseur centralisateur…”
R. N. : “La concentration de la population dans les zones urbaines n’est vraiment pas une réussite. Pendant ce temps là, le reste du territoire se vide. On invite les citoyens, encore aujourd’hui, à habiter à proximité de leur travail, favorisant ainsi un phénomène de densification déjà largement à l’œuvre. Des milliers de logements en France sont disponibles notamment en milieu rural, et en même temps, nous n’arrivons pas à loger les gens en ville. Si nous délocalisions des entreprises vers les zones rurales, peut-être aurions nous une meilleure capacité d’accueil. Mais pour que l’ensemble soit cohérent, les zones rurales doivent bénéficier des mêmes dotations de fonctionnement que les zones urbaines. Actuellement, un citoyen du milieu rural “vaut” la moitié d’un citoyen du milieu urbain, en termes de dotations de l’État. Cette injustice mérite d’être réparée.”
“Le retour aux sources est un phénomène qui trouve de plus en plus d’écho. Le décor où il se déploie est souvent celui de la campagne. Cette nouvelle donne est-elle, selon vous, de nature à infléchir les politiques publiques ?”
R. N : “La situation est en effet paradoxale, car, malgré des constats alarmants (services publics qui se raréfient, réduction des services de santé, vieillissement global, crise énergétique…), une réelle prise de conscience du potentiel de nos “campagnes” a eu lieu ces dernières années. Des projets, souvent innovants, fleurissent, portés par des acteurs dynamiques et créatifs. Des complémentarités se développent entre les territoires. De jeunes générations viennent s’installer avec de véritables projets de vie. Des filières agricoles, qualitatives et durables, se développent également, souvent portées là aussi par des jeunes. Tous les ingrédients d’un développement harmonieux de nos territoires existent. Les graines sont en terre et c’est à nous, décideurs politiques et législateurs, de les aider à pousser. Nous œuvrons déjà en ce sens dans nos collectivités et il est désormais temps de le faire au niveau national, dans un cadre législatif et réglementaire rénové.”
Plus d'infos à lire cette semaine dans L'Union du Cantal.
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