Les multiples enjeux de la production laitière en montagne
Témoignages Alors qu'une mission d'information parlementaire sur la situation du lait en montagne a été lancée fin mars 2021, les éleveurs se préoccupent de voir leur métier perdre tous les ans de nouveaux producteurs.
En Haute-Loire, l'élevage laitier est inscrit dans l'ADN du territoire. Premier département laitier de la région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura), il accueille des petites fermes aux rendements laitiers nettement inférieurs à celles situées en plaine. « Nous sommes obligés de nous adapter aux terres morcelées et sinueuses. Ici, nous n'avons aucun signe d'identification de la qualité et d'origine (Siqo) et le département n'est pas propice à l'élevage de vaches allaitantes », explique Éric Richard, éleveur laitier à Javaugues et président de la section laitière de la FDSEA de Haute-Loire. Malgré l'ICHN et les aides couplées, les charges bâtiment et les coûts de production sont plus importants. Et même si la production semble résister pour le moment, le volume départemental commence petit à petit à baisser. « D'après une enquête de la chambre d'agriculture, datant de 2017, nous perdrons 49 millions de litres de lait d'ici 2027, soit 30 % de nos producteurs », indique-t-il. Des données inquiétantes pour les 1 300 producteurs laitiers du département. Ils étaient 6 000 dans les années quatre-vingt. « Aujourd'hui, on est au bout du bout, dans la phase descendante. » Ce constat se traduit en chiffres. Selon les derniers indicateurs du Cniel, les coûts de production pour 2019 sont estimés à 403 EUR/1 000 litres pour les exploitations laitières conventionnelles de plaine, à 483 EUR/1 000 litres en zone de montagne.
« On se doit d'aller plus loin ! »
Selon Éric Richard, le seul éleveur laitier de sa commune, la montagne a besoin d'une segmentation plus rapide et plus percutante pour retrouver de la valeur. « Les PME et les grands groupes n'y vont pas assez. À Brioude, le site Richemont est la plus grande usine de raclette au monde (65 tonnes de raclette par jour, NDLR). Nos territoires sont aussi de grands producteurs de saint agur. C'est dommage qu'on n'ait pas de retombées plus importantes », regrette-t-il. Mais pour Mickaël Gonin, éleveur laitier à Amplepuis dans les Monts du Beaujolais, « la segmentation ne couvrira pas ces 80 EUR d'écart. Même si j'y crois dur comme fer, on ne peut pas compter que sur la segmentation. On se doit d'aller plus loin ! » Selon lui, la valorisation du lait de montagne passe, entre autres, par « la structuration du parcellaire en montagne, encore trop morcelé ». « La distance entre les terres de pâturage et les bâtiments d'élevage engendre des coûts supplémentaires. Les éleveurs ont aussi besoin d'un accès privilégié au foncier. Il nous faut pouvoir investir, par des incitations fiscales, dans du matériel plus puissant et innovant, et donc plus cher... » Le réchauffement climatique n'épargne pas les zones de montagne. La question de la sécurisation de l'accès à l'eau fait partie des nouveaux enjeux à prendre en compte. Enfin, l'éternel sujet de l'intégration des coûts de production par les laiteries et coopératives revient toujours sur le devant de la scène. « Si une segmentation crée de la valeur il faut qu'elle revienne aux acteurs de la filière. Si l'argent revenait dans nos trésoreries, on aurait la capacité d'investir et de préserver nos fermes... »
Laiterie Carrier
Le pari du local
La laiterie Carrier à Vals-les-Bains en Ardèche transforme le lait de 28 producteurs. « En cinq ans nous avons perdu une quinzaine de producteurs, indique Florent Oddoux, en charge des approvisionnements du lait. Si nous n'avions pas remplacé nos producteurs, nous aurions perdu la moitié de notre volume : 2 millions de litres de lait. Avec des coûts de collecte avoisinant les 40 et 50 euros les 1 000 litres, continuer aurait été impossible ». Stratégie de l'entreprise : rajeunir la pyramide des âges des producteurs et miser sur la production locale, en valorisant son lait conventionnel sous la marque Areilladou et son lait bio sous la marque Eulalie des Monts d'Ardèche.
Vercors Lait
L'AOP, la locomotive de la gamme
La coopérative Vercors Lait à Villard-de-Lans (Isère) tire son épingle du jeu grâce à ses signes de qualité. « 35 % des ventes sont issues de l'AOP bleu du vercors-sassenage, de l'IGP saint-marcellin et du saint-félicien bio. En 2008, l'AOP représentait 140 tonnes de la production, aujourd'hui elle avoisine les 390 tonnes. Nos signes de qualité nous permettent de valoriser le lait à un prix de 392 EUR/1 000 litres en AOP conventionnel et de 480 EUR/1 000 litres en AOP bio », explique Philippe Guillioud, directeur. Le chiffre d'affaires de la coopérative ne fait qu'augmenter : de 3 MEUR en 2008 à 12 MEUR cette année.
Entreprise laitière de Sauvain
La force du lait cru
Éric Soubeyrand, directeur d'exploitation de l'entreprise laitière de Sauvain dans la Loire a développé une fourme de Montbrison au lait cru. « Le lait cru rajoute des contraintes supplémentaires mais représente un bon moyen de valorisation en termes de produit et de rentabilité économique ». Grâce aux négociations entre la laiterie et la coopérative des Monts du Forez, ses 20 producteurs sont payés sur un prix de base minimum de 340 EUR/1 000 litres. Ceux qui souhaitent se diriger vers la fourme de Montbrison au lait cru bénéficient d'une prime supplémentaire de 20 EUR/1 000 l. « Un complément de gamme qui permet de montrer aux jeunes qu'il y a de la place pour tout le monde. »