Commémoration
L’agriculture serait-elle si complexe qu’on ne puisse la confier aux agriculteurs ?
Dans le cadre du dixième anniversaire de la disparition de Michel Debatisse, la SFER(1) Auvergne a invité Jean Prévost à retracer l’histoire du syndicalisme agricole.
Dans le cadre du dixième anniversaire de la disparition de Michel Debatisse, la SFER(1) Auvergne a invité Jean Prévost à retracer l’histoire du syndicalisme agricole.
Fil rouge de l'intervention de Jean Prévost lors de la première séance des cycles de conférences de la SFER tenue dans l'amphithéâtre Roger Paran à
l'ENITA de Marmilhat, cette question redondante pourrait résumer à elle seule deux siècles de combat paysan pour qu'ils s'affranchissent de leurs chaînes.
Autour de son ouvrage documenté, «Le Paysan Déchaîné » écrit avec la passion du militant, Jean Prévost, durant une heure, a déroulé le film de la genèse de l'organisation syndicale des agriculteurs aujourd'hui enviée par bien des professions.
La Révolution de 1789 interdisant au travers de la Loi Le Chapelier toute organisation corporative prive les serfs d'alors de l'émancipation que peuvent connaître les autres classes. La loi de 1886 instituant les syndicats donnera une consistance à un mouvement timide qui prend naissance autour des organisations pour la fourniture des produits fertilisants (syndicat de St Just en Viré) qui étaient souvent vendus par des marchands peu scrupuleux et peu regardants sur la qualité. Le syndicat boutique devient le socle fondateur des syndicats, des mutuelles, et des coopératives y compris banquières qui allaient se développer dans le début du 20ème siècle.
Dans le même temps, sous l'impulsion de quelques dignitaires de l'Eglise Catholique, des Jésuites, la constitution de l'ACJF, va insuffler au milieu de l'agriculture un humanisme chrétien dont s'inspireront, à l'issue de la deuxième guerre mondiale, les jeunes agriculteurs qui rejoindront la JAC. C'est en 1958, dans la crise des organisations professionnelles agricoles et des mouvements de jeunesse que les anciens de la JAC trouveront leur épanouissement dans une association de type syndical, le CNJA.
L'avènement de la Vème République et l'interrogation de ses fondateurs sur l'adaptation de l'agriculture aux échéances du demi siècle à venir va donner toute son importance au travail de réflexion conduit depuis de nombreuses années par les groupes de réflexion de la JAC. Deux hommes sont en première ligne, d'une part le ministre Edgar Pisani qui fera voter les lois d'orientation agricole et la loi complémentaire de 1962, et d'autre part Michel Debatisse, secrétaire général du CNJA sur lequel le Ministre s'appuie pour que les réformes voulues et espérées par les deux camps passent. Du coup, ces jeunes et leur tête de file deviennent la cible de tout ce qui est réactionnaire et conservateur, et, lorsqu'en 1964, Michel Debatisse, atteint par la limite d'âge pour rester au CNJA devrait passer à la FNSEA, les tenants du pouvoir dans le département du Puy-de-Dôme s'arrangent pour lui barrer la route en ne s'acquittant pas entre autres de leur cotisation nationale. Après bien des tergiversations, un compromis s'établit pour mettre en œuvre la réorganisation syndicale dans le Puy-de-Dôme. Depuis 1960, notre département connaît une série d'escarmouches entre les jeunes et les vieux. Après l'échec du Groupement de Défense Sanitaire, l'affaire des techniciens de la vulgarisation agricole, des ingénieurs de haut niveau, licenciés par le Président de la Chambre d'Agriculture, Roland Viel, la situation s'envenime. Les élections à la Chambre d'Agriculture de 1964 seront marquées par une tentative presque réussie de le renverser.
La FNSEA, lors de son XVIIIème congrès impose une réorganisation syndicale. La vieille garde ayant perdu les élections dans les syndicats locaux tente le sabordage du congrès de constitution. Une UDSEA affiliée à la FNSEA est créée le 26 février 1965. Elle s'imposera enfin aux élections à la Chambre d'Agriculture le 31 janvier 1983, et Michel Debatisse en deviendra président le 28 février de la même année. Là s'achève la narration de l'auteur... Pour lui, le paysan est maintenant déchaîné car il peut s'exprimer sans contrainte.
A une question d'un participant sur les relations que doivent avoir les syndicalistes avec les partis politiques, Jean Prévost rappelait que les premiers doivent avoir des propositions à faire aux seconds qui doivent eux-mêmes prendre les décisions, faire voter une législation qui permettra la mise en oeuvre des réformes nécessaires. Un rappel des mesures obtenues grâce à l'engagement des responsables syndicaux de l'époque, SAFER, IVD(2), et plus tard mise en place de la politique de la montagne et des zones défavorisées, tout cela constituait autant d'exemples de réalisation de ces hommes dont les fondamentaux se résumaient au triptyque Voir, Juger Agir.
Enfin le conférencier insistait sur l'importance de la formation continue, création de l'IFOCAP(3), mise en place des GRAP(4), de l'UPPR(5) ; sur la nécessité de rencontres et de contacts entre les différentes populations ainsi que du rapprochement qui doit se faire, à égalité avec les intellectuels non pas pour qu'ils disent ce qu'il faut faire mais pour échanger et fortifier la réflexion.
Les cycles de conférence de la SFER peuvent constituer une pierre de cet édifice.
(1)- SFER Société Française d'Economie Rurale, animée au niveau de l'Auvergne par Louis Lagrange professeur émérite
(2)- Indemnité viagère de départ
(3)- Institut de formation des cadres paysans
(4)- Groupe de réflexion agricole et populaire
(5)- Université populaire paysanne rurale.