Entretien
« La loi de modernisation de l’agriculture ne va pas régler tous les problèmes… »
Michel Raison est rapporteur du projet de Loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) à l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi déposé par le Gouvernement risque-t-il d’être profondément modifié ?
Il est d’abord examiné par le Sénat. Ce qui signifie que Gérard Cesar, rapporteur au Sénat, a déjà auditionné 110 acteurs concernés par la loi. Ils ont déjà proposé des amendements. Pour mon compte, j’ai commencé de faire mes auditions. Ce projet sera fortement enrichi, mais sa base restera la même. Ce projet, relativement simple, cible un nombre précis de sujets à traiter. Par conséquent, nous allons nous efforcer de rester dans ce cadre. Nous, députés, sommes obligés d’attendre le vote des sénateurs pour affiner nos amendements.
Cette loi est censée tracer la voie de l’agriculture pour les années à venir. Ne fallait-il pas mieux connaître le contenu de la politique agricole commune (PAC) d’après 2013 pour s’attaquer à un pareil projet ?
On sait à peu près ce qui risque d’arriver avec la nouvelle PAC. Elle se discute déjà, plusieurs curseurs sont à ajuster… Globalement on sait qu’il n’y aura plus de quotas laitiers, que nous ne retrouverons plus jamais les vieux systèmes de régulation tels qu’ils existaient, avec d’ailleurs un certain nombre d’effets pervers répertoriés.
On risque d’avoir à l’avenir, même si la France parvient à obtenir gain de cause en matière de système de régulation, plus de fluctuation des prix des matières premières agricoles que dans le passé. Le but est donc d’adapter le fonctionnement des exploitations agricoles en prenant en compte cette nouvelle donne européenne et internationale.
D’où le point central de cette loi : la contractualisation. C’est un sujet qui va être largement discuté. Certains s’interrogent sur son efficacité, d’autres en sont largement convaincus… C’est très compliqué, selon les productions. Je dis très fort, il ne faut pas qu’on laisse croire que cette loi de modernisation de l’agriculture va régler tous les problèmes du monde. Le levier OMC reste déterminant, celui de la PAC l’est aussi par rapport à l’économie agricole. La future loi française, elle, est plutôt un petit levier, mais indispensable en complément des autres leviers.
La contractualisation est annoncée comme un moyen de réduire les effets de la volatilité des prix, de faire face à la spéculation… Peut-on imaginer un axe central commun à toutes les productions ?
Non, l’axe central est le principe de généraliser la contractualisation. Tous les producteurs n’auront pas un contrat, la contractualisation ne va pas devenir obligatoire de façon brutale.
C’est pourtant ce que préconise le ministre, il souhaite la mise en place de contrat écrit ?
Oui, mais il y a ce qu’il souhaite et ce qui est réalisable. On est en train de discuter avec tout le monde de tout cela. Le principe du contrat est destiné à ce que le producteur puisse se réapproprier un peu le fonctionnement de son aval et de ses clients. Le contrat, ce n’est pas nouveau : par exemple les producteurs de pommes de terre ont depuis longtemps des contrats sur trois ou quatre ans avec des transformateurs ou des clients… Ces derniers ont un marché pour faire, par exemple, des frites de telle façon, ils ont donc besoin de telle qualité pour un tonnage donné… Un indicateur de prix est mis en place : le prix est calculé en fonction de différents paramètres susceptibles d’évoluer comme le marché, l’inflation… Il n’existe pas de contrat d’une durée de cinq ans avec un prix déterminé, ce n’est pas un salaire…
Certains experts disent, concernant en particulier le renforcement des interprofessions, que cette loi de modernisation ne suffira pas à structurer les filières si le droit européen de la concurrence n’est pas modifié. Votre avis ?
J’ai une réflexion un peu provocante sur ce sujet. Jusqu’à présent, je pensais que nous devions absolument élaborer une loi qui ne soit pas en contradiction avec les règles européennes. J’ai toujours reproché à l’Europe de partir négocier à l’OMC en s’alignant, avant même la négociation, sur ce que souhaitait cette organisation, afin de ne pas avoir d’ennui.
Si finalement dans notre loi, nous sommes un peu provocants, en intégrant des règles qui vont au-delà de ce que permettent celles de la concurrence au niveau européen, c’est peut-être la meilleure façon d’aider notre ministre à négocier pour obtenir plus.
Le projet de loi innove peu en matière de dispositif assurantiel. Il n’aborde pas les aspects assurance revenu. Pourquoi ?
C’est exact, pour le moment, la loi n’aborde pas les aspects assurance revenu. On reste dans le cadre des couvertures des risques aux aléas sanitaires, environnementaux, climatiques et assurances récolte… Le système du fonds national de garantie des calamités agricoles devenant un peu vieillissant, il est proposé de créer un fonds national de gestion des risques en agriculture. L’idée est de s’orienter vers des assurances mieux adaptées et plus efficaces. On continue ce qui a été entrepris, il y a quelques années.
Concernant l’assurance revenu, on n’est pas prêt pour le moment mais on y viendra. Pour cette loi, cela me semble un peu prématuré car les sociétés d’assurance ne sont pas prêtes à nous proposer des offres.
Pour renforcer la compétitivité de l’agriculture française, le projet de loi pose le principe d’un statut de l’agriculteur entrepreneur. Qu’en est-il exactement ?
On ne sait pas exactement ce que recouvre cette notion d’agriculteur entrepreneur. Le texte précise que le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires pour définir les conditions dans lesquelles les détenteurs de ce statut pourront bénéficier du soutien public. En réalité : on dit à l’agriculteur : vous vous assurez, vous contractualisez, vous conduisez votre exploitation dans le respect d’une agriculture durable, etc. Un peu sur le modèle de la dotation jeune agriculteur. Si l’agriculteur adhère à un certain nombre de dispositifs, il devient un agriculteur entrepreneur et il aura la totalité des soutiens publics.
Je n’y suis pas trop favorable, simplement parce qu’en pleine crise, ce statut risque d’apporter des contraintes supplémentaires. C’est une sorte de conditionnalité à la française. Sur le plan intellectuel, cela n’a rien de choquant. Par contre, c’est ce qui risque de rester de la loi, alors que le vrai enjeu est tout autre.
Justement en quoi cette loi apportera-t-elle de la modernité à l’agriculture française ?
C’est le principe d’une organisation plus prononcée des producteurs afin qu’ils se sentent plus investis au cœur du marché. Le moment où nous serons parvenus à généraliser la contractualisation, les producteurs sauront mieux que, derrière eux, il y a des clients qui ont besoin d’une certaine quantité, ni plus ni moins… La contractualisation et le renforcement des interprofessions sont les points centraux de cette loi. J’admets que l’on peut être sceptique, ce n’est pas si simple à expliquer. Ça ne peut fonctionner que si parallèlement - et je pense que le ministre de l’agriculture fait bien son travail-, on se bat à Bruxelles pour que l’on ait plus de régulation que ce que l’on a aujourd’hui et que le droit européen de la concurrence soit modifié.
Portrait
Michel Raison est rapporteur du projet de Loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) à l’Assemblée nationale. Choisi par ses collègues députés au regard de son expérience professionnelle et parlementaire, le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, a validé ce choix le 16 décembre 2009. Michel Raison est député (UMP) de la Haute-Saône depuis 2002, maire de Luxeuil-Les-Bains depuis 2008. Il connaît bien le monde agricole : agriculteur jusqu’en 2004, il a assumé plusieurs responsabilités syndicales et professionnelles : d’abord comme président de la FDSEA de la Haute-Saône pendant huit ans, puis comme président de la chambre d’agriculture de 1989 à 2001.
Chronologie
La préparation de cette loi de modernisation de l’agriculture représente « un gros travail » : avant le débat législatif en commission, le rapporteur fait un rapport dans lequel il analyse la loi en soulignant les éventuelles incohérences du texte, ce qui peut le conduire à proposer des amendements.
Lors des débats, d’abord en commission, puis en séance publique, le rapporteur discute avec ses collègues de tous les amendements déposés. Rien qu’en commission, 480 amendements ont été déjà déposés par les sénateurs. Prochainement les députés vont emboîter le pas. Ainsi, nous pouvons nous attendre à au moins 600 amendements à examiner en commission des affaires économiques… et il y en aura probablement autant en séance publique. « Je dois donner un avis sur chacun d’entre eux, ce qui implique au préalable de tous les analyser. »