FDSEA : “Donner de la valeur à notre modèle agricole cantalien”
Le syndicalisme cantalien veut faire valoir les atouts de la ferme Cantal en phase avec les attentes des consommateurs et demandes sociétales.
Dans la situation critique que connaît l’élevage cantalien, vous auriez pu rédiger un rapport d’orientations en forme de mur des lamentations ou revendications, or c’est tout l’inverse : vous parlez d’atouts de l’agriculture départementale, d’opportunités sociétales à saisir...
Bruno Dufayet, rapporteur et président de la section bovine de la FDSEA 15 : “On voulait justement dépasser cet état de fait, cette réalité bien morose, sans les nier. On ne donne pas de perspectives toutes tracées mais on affiche clairement que notre combat, c’est d’aller chercher encore de la valeur ajoutée via des leviers qu’on n’a pas encore forcément suffisamment actionnés alors que la demande sociétale existe, que le consommateur est à même de rémunérer les spécificités de l’agriculture du Cantal.”
En production laitière, vous évoquez les AOP d’Auvergne comme un rempart aux aléas mondiaux ou européens. Sauf que ces filières peinent encore à se hisser au niveau de rémunération de locomotives, comme le comté...
B. D. : “Il ne faut pas oublier que la réussite actuelle du comté est l’aboutissement d’un travail mené depuis les années 1970. Dans le Cantal et en Auvergne, depuis les années 2000, nous avons réussi à faire évoluer nos décrets, à engager réellement les producteurs de lait dans le filières, à créer un prix du lait AOP déconnecté de celui du lait conventionnel. Ce qu’il faut mettre en avant aujourd’hui, c’est le modèle agricole lié à nos AOP. Le consommateur est en attente de produits sains mais aussi d’un modèle d’agriculture qu’il est prêt à payer. Il faut prendre le sujet par l’autre bout et pas que par l’approche de la répartition de la marge au sein de la filière.”
Quelles sont les vertus du modèle agricole cantalien ?
B. D. : “Derrière un cantal AOP, il y a des exploitations de taille familiale, avec des actifs nombreux, il y a un élevage à l’herbe qui constitue la ressource essentielle de nos exploitations et la composante essentielle de nos paysages ouverts et accessibles ainsi qu’un atout environnemental majeur en stockant le carbone de l’air, en filtrant naturellement l’eau, en permettant le maintien d’une riche biodiversité. Ce sont déjà des sujets sur lesquels nous sommes engagés avec les projets Beef Carbon et Carbon Dairy pour évaluer l’impact de nos exploitations sur l’environnement. Et puis nous revendiquons une agriculture de montagne, certes contraignante, mais qui assure le maintien d’un tissu social, de l’emploi, de savoir-faire, de traditions et d’une identité. Sans compter nos races salers et aubrac dont nous avons la chance d’être le berceau et autour desquelles se sont construites des filières différenciées, sous signe de qualité.”
En même temps, les attentes du consommateur sont parfois contradictoires et difficiles à cerner pour les producteurs...
B. D. : “C’est justement cette approche qu’il faut changer : ne pas prendre les demandes des consommateurs comme des contraintes farfelues. Une récente expérience menée par l’enseigne Carrefour a permis d’avoir une vision plus claire de ces attentes, notamment sur le lait. À 96,2 %, les internautes qui se sont exprimés souhaitent une origine France, à près de 87 % une alimentation des vaches sans OGM, à plus de 84 % une mise au pâturage trois à six mois dans l’année, de la luzerne, du trèfle... dans l’alimentation favorisant les Oméga-3 dans le lait,...
“Des atouts à convertir en euros”
C’est important que dans la tête des producteurs, ces éléments fassent “tilt”, qu’ils prennent conscience que notre modèle cantalien répond à ces aspirations, qu’il y a quelque chose à gratter. Et même si la réponse sera collective, en amont, ça ne marchera que si chaque producteur chemine dans sa réflexion, change de posture et se dit qu’il peut être acteur de ce “changement de logiciel”. Mais bien évidemment, il faut aussi qu’autour de nous, dans les filières, la distribution, le consommateur, chacun soit conscient que le maintien de ce modèle a un prix. C’est d’ailleurs aussi un message que doivent véhiculer et accompagner les élus du département : on ne peut se contenter d’être fiers de nos beaux paysages, de nos produits, de nos vaches... Cette richesse doit générer des euros ! On le voit dans d’autres secteurs où les entreprises font de la prise en compte de l’environnement, du bien-être de leurs salariés un atout commercial. Dans l’agriculture, on n’a pas encore eu ce réflexe de donner de la valeur à notre modèle.”
L’aval de la filière est-il prêt, d’après vous, à adhérer à ce discours ?
B. D. : “J’ai le sentiment que, de toute façon, la distribution s’adaptera à la demande du consommateur. On le voit déjà avec des rayons segmentés et des distributeurs qui demandent par exemple des œufs “alternatifs”, issus d’un élevage sans cage. À nous de trouver le bon segment.”
Autant la démarche semble judicieuse pour les productions AOP, la viande finie démarquée, autant on peut se poser la question sur le broutard…
B. D. : “Au sein d’Interbev (interprofession nationale bétail et viande), nous avons pu échanger à Modène avec les acteurs de la filière italienne qui nous ont interrogé pour savoir ce qu’on faisait au niveau interprofessionnel pour répondre aux attentes sociétales. C’est aussi un enjeu de plus en plus fort en Italie, où la consommation a encore plus baissé qu’en France. Il y a donc une place à jouer pour le broutard du Cantal. Et il y a aussi peut-être d’autres marchés pour ces mâles cantaliens engraissés en France à destination d’autres débouchés.”
Ce sont des orientations à moyen terme que vous formulez. Ne craignez-vous pas un décalage avec le désarro immédiat des éleveurs ?
B. D. : “Toutes nos productions subissent à des degrés plus ou moins élevés des difficultés. Mais faut-il pour autant rester sur le constat, le pessimisme ? Ce n’est pas en faisant 200 litres de plus par vache ou en vendant des broutards un peu plus lourds qu’on va sortir de l’ornière. Il faut aujourd’hui vendre “autre chose”, se secouer les méninges. Cela suppose aussi d’avoir des ambassadeurs ou de devenir nous-mêmes de bons ambassadeurs de notre modèle, il faut se réapproprier ce travail-là, qui est une mission de l’éleveur au même titre que d’aller soigner ces vaches ou de faner.”
On ne peut pourtant pas faire abstraction de l’environnement européen et mondial, notamment pour ceux qui ne peuvent entrer dans des démarches de niche...
B. D. : “Ces orientations et notre approche ne sont pas déconnectées de cet environnement ni de la Pac qui affiche l’ambition d’un modèle d’agriculture durable, respectueux de plein de choses. Mais ce modèle existe déjà, ici, et la future Pac devra le soutenir. C’est tout l’enjeu engagé autour du projet agricole du Massif central porté par la Copamac-Sidam.”
Plus d'infos à lire cette semaine dans L'Union du Cantal.