EGA, prix, export : « Le compte n’y est pas ! »
Pour le Cantalien Bruno Dufayet, l’esprit des États généraux est resté lettre morte dans la filière bovins viande malgré une décapitalisation inquiétante du cheptel.
Les communications relatives à la consommation de viande bovine en France sont pour le moins contradictoires. Qu’en est-il réellement ?
Les bilans de consommation 2018 font ressortir une évolution de +2 % de la consommation de viande de bœuf, avec de vraies disparités entre GMS et restauration hors foyer. Les achats en grandes et moyennes surfaces sont effectivement en baisse, de l’ordre de -3 à -6 % selon les enseignes ; par contre, on a une forte reprise de la consommation dans tout ce qui est restauration hors domicile (cantines, restauration collective, restaurants, NDLR).
Comment expliquez-vous ces tendances divergentes ?
En tant qu’éleveur, je crois que les Français sont attachés à la régularité du produit, ça veut dire que les GMS doivent se poser la question du suivi et de la régularité de la viande qu’elles mettent en rayons. On voit aussi que, dans un même temps, le niveau de maturation des viandes en GMS a fortement diminué et l’insatisfaction du consommateur se traduit aujourd’hui par une baisse des actes d’achat. Même une très bonne vache, à six jours de maturation, présentera des morceaux durs. Une étude réalisée par Interbev montre que le taux de satisfaction sur la qualité de la viande, sur sa tendreté, est proportionnel à sa durée de maturation et plus on s’approche de 21 jours de maturation, plus le client est satisfait. Aujourd’hui, on en est bien loin en GMS. À l’inverse, le développement du steak haché a permis à la restauration de gagner des parts de marché en viande de bœuf au travers notamment du hamburger. Avec près d’1,5 milliard de burgers consommés en France en 2017, il a détrôné le jambon-beurre.
Quid de l’origine de la viande servie dans ces établissements ?
On a un vrai travail à faire sur l’origine des viandes en restauration : c’est là où l’on retrouve encore énormément de viandes étrangères. On espère qu’au travers des ambitions portées dans les EGA et de la loi obligeant la restauration collective à avoir demain au moins 50 % de viandes locales, bio ou sous signe officiel de qualité, on aura un vrai changement de tendance dans l’approvisionnement. Et que par souci de qualité des produits distribués à ses clients, la restauration jouera la carte de la provenance française.
Ce rebond de consommation devrait constituer un appel d’air en amont à la production...
On pourrait imaginer que cela se traduise par une vraie reprise de la production. Paradoxalement, on assiste à une chute de la production française de 10 % sur trois ans (entre juin 2016 et la perspective de juin 2019). C’est une décapitalisation inédite du cheptel allaitant qui s’explique justement par l’incapacité à dégager un revenu dans les fermes, liée à un niveau de prix très très bas. L’esprit des États généraux initié par Emmanuel Macron n’est pas arrivé à percer dans la filière bovine. Pour preuve, la cotation moyenne du 12 octobre 2017, date du discours de Macron à Rungis, était de 3,65 €/kg carc., celle de la semaine dernière était de 3,59 €/kg. Donc aucun effet. Si on veut continuer demain à manger une viande française, il faut vraiment un changement d’attitude au sein de la filière avec un vrai enjeu à mieux rémunérer le producteur. C’est toute l’ambition du plan de filière. Mais il faut passer aux actes.
Chez les producteurs, c’est une revendication qui date...
Oui, ça fait des années qu’on alerte l’aval de la filière pour expliquer qu’il est en train de se créer un différentiel énorme entre nos coûts de production et le prix réellement payé aux producteurs. Aujourd’hui, le coût de production d’une vache moyenne R+ est de 4,64 €, soit pratiquement 80 centimes d’écart. Personne n’a jamais voulu nous écouter, le delta s’est encore creusé. Maintenant qu’il faut réagir, effectivement, la marche est haute. Il faut être responsable. Il faut que les gens qui sont à l’origine de la création de ce fossé changent leur fusil d’épaule et enclenchent de façon très urgente un vrai partage de la valeur. Malheureusement, au sortir du Salon de l’agriculture, on n’a pas senti de signaux allant dans ce sens, que ce soit au travers de la montée en gamme et de la revalorisation des animaux sous label rouge, ou au travers des négociations commerciales sur le steak haché. Le ministre l’a dit d’ailleurs : « Les comptes n’y sont pas dans la filière viande bovine. » Emmanuel Macron a parlé de souveraineté alimentaire, on partage ces objectifs. Notre souhait est d’avoir une production française mais pour cela, il faut une vraie réaction de la filière. Ça passe d’une part par de la création de valeur sur le marché national avec une répartition juste et équitable entre les différents maillons. On peut rappeler que l’ensemble des acteurs, y compris les distributeurs, se sont engagés à avoir au moins 40 % de viande bovine sous label rouge d’ici fin 2022, il va falloir y aller ! D’autre part, par des marchés export rémunérateurs.
Des marchés export dont on a le sentiment qu’ils ne sont pas au rendez-vous...
On se rend compte que là aussi, que les comptes n’y sont pas alors même que des marchés ont ouvert. La Chine est ouverte depuis un an, on nous parlait d’une niche de 400 000 tonnes où il y avait la place pour la viande française. À ce jour, on a fourni... 5 tonnes ! Ce qui traduit le manque de volonté des opérateurs français à aller chercher de la valeur via les marchés export. Sur le vif, quid de la Turquie ? Marché ouvert, allégement des conditions sanitaires, équilibre monétaire en train de se stabiliser et toujours pas d’export sur ce marché alors qu’il s’est fait des bateaux par le passé. Ce qu’on a demandé au ministre, c’est que le Gouvernement mène une vraie stratégie export avec les acteurs qui veulent vraiment exporter. Ça ne sert à rien de mettre autour de la table l’ensemble des acteurs sachant que certains n’ont aucun intérêt à aller à l’export pour conserver leur stratégie d’entreprise bâtie sur le marché national. On a par ailleurs obtenu de la part du ministre un suivi trimestriel de la déclinaison du plan de filière pour mettre tous les opérateurs devant les engagements qu’ils ont pris en décembre 2017.