Consommation
Vouloir d'achat vs pouvoir d'achat : comment recruter de nouveaux consommateurs de fruits et légumes ?
Les consommateurs ne traduisent pas toujours leurs aspirations en actes d’achat, en particulier pour les fruits et légumes. Pouvoir d’achat, perception de cherté, contraintes de temps, confiance dans le drive : une table-ronde à Medfel a permis de faire le point et de souligner les freins à lever.
Les consommateurs ne traduisent pas toujours leurs aspirations en actes d’achat, en particulier pour les fruits et légumes. Pouvoir d’achat, perception de cherté, contraintes de temps, confiance dans le drive : une table-ronde à Medfel a permis de faire le point et de souligner les freins à lever.
Le citoyen est exigeant par rapport à son alimentation. Elle doit être de qualité, diversifiée, l’origine est importante, les modes de production doivent être respectueux de l’environnement, les normes sociales doivent être élevées. Mais quand il devient consommateur, il recherche des prix bas, du prêt à cuisiner, se moque de l’origine. Medfel a ainsi organisé une table-ronde le 25 mai sur ce thème, en réunissant Philippe Goetzmann (consultant spécialisé dans la nouvelle consommation (Philippe Goetzmann &), Delphine Tailliez (directrice adjointe à Aprifel), Cécilia Céleyrette (directrice adjointe d’Interfel en charge de la Stratégies filières, International et Affaires juridiques) et Dragana Miladinovic (service Economie et Compétitivité Filière d’Interfel).
Pluralité des consommateurs, pluralité des motivations d’achats
Comme le rappelle Delphine Tailliez, il n’y a pas un mais des consommateurs, qu’on classe traditionnellement dans trois catégories : les ignorants, les éveillés et les avertis. Les motivations d’achat peuvent être les mêmes d’une catégorie à l’autre. La santé en est un : 7 consommateurs du 10 ont conscience du lien entre la santé et la consommation de fruits et légumes mais seuls 3 sur 10 le traduisent en acte d’achat.
Il y a certes une aspiration à consommer mieux, mais qui se heurte aux contraintes : budget, distance, temps. Le prix reste toujours un facteur limitant et avec la crise de la Covid, 27 % des Français se disent précarisés. Selon Philippe Goetzmann (consultant spécialisé dans la nouvelle consommation Philippe Goetzmann &) citant une étude de début d’année, 83 % des supermarchés dont le positionnement prix était inférieur à la moyenne nationale ont eu une hausse de chiffre d’affaires tandis que seuls 25 % des supermarchés dont le positionnement prix était supérieur à la moyenne nationale ont vu leur chiffre d’affaires progresser.
Contraintes de temps et manque de repères
Pour Cécilia Céleyrette, « les préoccupations d’achats sont fortement liées au budget mais aussi à la génération, à la composition du foyer et au temps disponible pour faire les courses et cuisiner. Ainsi les retraités mais aussi les télétravailleurs désormais vont avoir tendance à accorder plus de budget pour les produits bruts. Certains foyers n’ont pas de temps à accorder aux courses et se dirigent naturellement vers les promotions car elles sont mises en évidence. »
Les babyboomers accordent une attention particulière à la santé et à leur consommation. La génération X (40-60 ans), la génération “plateau-repas”, aspire à la qualité mais ne dispose pas de temps. Les Millenials, la génération Internet, a accès à énormément d’informations mais a perdu ses repères. « C’est vers cette génération qu’il faut aller et travailler la communication. »
Vouloir d’achat versus pouvoir d’achat
Selon Kantar, les premiers critères d’achat sur le global alimentaire sont les prix et promotions, puis la santé, l’habitude et enfin les étiquettes (ingrédients, origine, nutrition). « Les aspirations ne se traduisent pas toujours par un achat mais il y a tout de même un passage à l’acte en progression, note Dragana Miladinovic (service Economie et Compétitivité Filière d’Interfel). Les Français sont de plus en plus sensibles aux étiquettes avec les labels, le NutriScore, des listes d’ingrédients réduites et des origines locales ou françaises… On note une sensibilisation à l’environnement et à la santé, surtout chez les jeunes générations. Et l’assiette se végétalise, avec désormais 32 % des adultes qui suivent la recommandation du PNNS de 5 fruits et légumes par jour en 2019 contre 28 % en 2010. »
Le tableau est moins positif chez les enfants : seuls 10 % des enfants consomment la portion recommandée (6 % en 2010).
Education et sensibilisation des plus jeunes et des plus précaires
Aprifel et Interfel militent donc pour une sensibilisation des plus jeunes, afin de leur donner l’habitude, la présence à l’esprit des fruits et légumes. « L’objectif : qu’ils aient le réflexe adulte d’acheter et de cuisiner des fruits et légumes, et pas seulement parce que c’est bon pour la santé. » Le programme Fruits et Légumes et Lait à l’Ecole en est une initiative, bien que « ce programme reste mal déployé en France », regrette Delphine Tailliez.
Les étudiants sont aussi un public ciblé par les campagnes de communication via des influenceurs : au-delà de la problématique de budget, il faut lever le frein de la difficulté de préparation : les jeunes qui quittent le foyer familial n’ont généralement pas les connaissances d’épluchage, de cuisson…
Pour les populations les plus précaires, la filière milite pour la mise en place d’un chèque alimentaire pour faciliter l’accès aux produits sains et durables. « Mais le chèque en tant que tel est compliqué à mettre en place car il sollicite des associations qui n’ont pas l’habitude de traiter des produits frais », souligne Cécilia Céleyrette.
La perception de cherté, gros frein à lever
Autre frein majeur à lever : remettre du plaisir dans l’assiette. Oui, les fruits et légumes peuvent être gourmands ! « La France reste un pays de plaisir culinaire et d’hédonisme, rappelle Philippe Goetzmann. Or nos rayons sont remplis de produits qui manquent de goût alors que leur prix est élevé. Oui, les fruits et légumes sont chers, la preuve, ils servent de produits d’appel lors des promotions des distributeurs. Le chèque alimentaire est une bonne idée mais l’Etat devrait surtout réfléchir à comment baisser la cherté des fruits et légumes. Car par exemple un smicard français qui veut s’acheter des fraises françaises 1er prix doit travailler trois fois plus qu’un smicard espagnol achetant des fraises espagnoles 1er prix. »
Si certains produits, fragiles, sont effectivement chers, et que la montée des labels et certifications a fait aussi monter les prix, pour Interfel, les fruits et légumes ne sont pas dans les faits chers, mais perçus comme tels, et ce pour plusieurs raisons : absence de process donc croyance que “ça pousse tout seul” (d’où l’importance de communiquer sur les métiers de la filière), fluctuation des prix durant l’année, manque de connaissances de produits et de leur saisonnalité… Sur ce dernier point, Interfel propose depuis le premier confinement les “Paniers malins”, des listes de courses pour nourrir une famille de quatre pendant une semaine pour 35 € de fruits et légumes.
Drive : les fruits et légumes à la traîne ?
Pour Philippe Goetzmann, le problème principal de la catégorie des fruits et légumes est son manque d’évolution : « La consommation a fortement évolué en 20 ans, alors que le rayon fruits et légumes a peu évolué ». Même constat côté circuit de distribution. Le drive, et plus généralement le e-commerce, est un mode de distribution en plein développement. La France est leader européen en parts de marché des produits de grande consommation achetés en ligne, avec 7,1 % de PDM en valeur en 2020 (5 % en 2016), selon Kantar qui table sur une prévision de presque 10 % en 2023. Alors que la plupart de nos voisins privilégie la livraison à domicile, le consommateur français est un adepte du drive (8 achats en ligne sur 10).
Dans ce monde en fort développement, la filière des fruits et légumes frais doit trouver sa place sur ce marché et accuse un fort retard : les fruits et légumes frais ne représentent que 3 % de PDM, bien en dessous de la moyenne nationale pour les PGC. Le principal frein étant le besoin des consommateurs, pour ces produits frais, de toucher, de voir, de sentir. « Il y a aussi un problème de qualité, et de quantité, souligne Philippe Goetzmann. Il faut améliorer l’image du rayon fruits et légumes plus que celle du drive. Comment incarner la confiance dans des produits génériques, souvent sans marque ? »
Mais le online se développe tout de même en fruits et légumes (2 % de PDM avant la crise Covid), avec plus de ménages acheteurs recrutés, et une fréquence et un panier moyen en hausse, note Dragana Miladinovic. Et la crise en 2020, les lignes ont bougé, avec des comportements adaptatifs au premier confinement : moins souvent aux courses, au plus près, plus de cuisine maison… « La vente en ligne a progressé car il a été une réponse à des attentes de praticité et de réassurance, même sur les produits frais. Des freins ont été levés et de nouveaux ménages acheteurs ont été recrutés et même fidélisés, des ménages qui n’auraient sans doute jamais testé le drive ou le online sans la crise. »