Santé publique : Les enjeux de l’amiante des bâtiments agricoles
L’état des lieux des bâtiments agricoles amiantés réalisé par la chambre régionale de Bretagne pourrait relancer les réflexions sur leur décontamination et de leur déconstruction.
L’état des lieux des bâtiments agricoles amiantés réalisé par la chambre régionale de Bretagne pourrait relancer les réflexions sur leur décontamination et de leur déconstruction.
Cancérigène, l’amiante est interdit depuis le 1er juillet 1997. Résistant et isolant, il a été incorporé durant des décennies dans les plaques de fibrociment des bâtiments agricoles, préférentiellement aux flocages et calorifugeages — délitables donc plus dangereux — employés dans l’habitat.
L’évaluation de la chambre d’agriculture de Bretagne — réalisée en 2020 après une commande du ministère de l’Agriculture pour améliorer ses connaissances sur la problématique de l’amiante — estime que le gisement breton potentiel de matériaux amiantés avait atteint un million de tonnes l’année de l’interdiction.
Le gisement a été évalué pour les bâtiments bovins (45 % du total), avicoles (31 %) et porcins (24 %), en incluant les bâtiments annexes (hangars de stockage…) estimés à 15 % des surfaces d’élevage.
« C’est un chiffre astronomique », soulève Christian Nicolas, conseiller avicole et coauteur de l’étude, sachant qu’il manque les bâtiments consacrés aux agroéquipements et ceux destinés aux légumes et cultures. En région Pays de la Loire, une enquête de la chambre régionale d’agriculture auprès des organisations de production estime qu’environ 3 000 poulaillers sont encore amiantés (2 millions de m2 soit un tiers du parc) avec des départements plus concernés (Sarthe et Vendée notamment).
Des matériaux, là quelque part
Bien que l’amiante des tôles fibro soit séquestré et inerte, la réglementation amiante s’applique pour la gestion du risque lié à ces matériaux encore présents dans des poulaillers et pour l’élimination de ce produit dangereux dans certaines circonstances.
À ce jour, nul ne sait dans quel état et où se trouve exactement ce million de tonnes, toujours en activité, reconverti en hangar de stockage, tombé en friche ou bien « disparu » ? Les éleveurs à avoir fait déconstruire dans les règles sont extrêmement rares, vu le coût prohibitif. Le conseiller Christian Nicolas annonce une fourchette allant de 40 à 100 euros par m2, selon les parties concernées.
Une estimation de l’évolution a été faite pour les poulaillers de volailles de chair. Alors à son apogée en 1997, le parc était estimé à environ 6 millions de m2 pour les volailles de chair, soit un gisement amianté de 173 000 tonnes. En 2017, le parc en activité était évalué à 3,7 millions de m2, dont 75 % dataient d’avant 1997, ce qui équivaudrait à 79 000 tonnes de matériaux amiantés. Que sont devenues les 94 000 tonnes manquantes ?
" Après cet état des lieux, la chambre d’agriculture de Bretagne envisage un travail de recensement pour savoir ce que sont devenus les bâtiments arrêtés, précise Charlotte Quénard, chargée de mission déchets à la Chambre régionale d’agriculture, signifiant que le dossier amiante n’est pas « mis sous le tapis. »
La « patate chaude » de l’amiante
Consciente que la déconstruction coûte plus que la valeur résiduelle du bâtiment, la chambre consulaire bretonne compte sensibiliser les collectivités territoriales pour faire disparaître et revaloriser ces friches (en photovoltaïque par exemple). Un fonds national destiné à la revalorisation des friches existe bien pour les collectivités, mais uniquement en zones urbaines.
Au milieu des années 2000, le Conseil général du Morbihan s’était penché sur l’organisation du désamiantage en agriculture, mais l’initiative n’avait pas débouché. En 2019, le sujet a été réactivé par le préfet du Finistère. Des rencontres ont eu lieu entre le milieu agricole et diverses administrations de l’État et de la Région (agriculture, équipement, transition énergétique, environnement), sans être suivies d’effets jusqu’à présent. Un projet de test de déconstruction de bâtiments porté par l’Ademe a capoté fin 2021.
Des bâtiments théoriquement sans valeur
L’utilisation des bâtiments amiantés toujours actifs pose un autre problème. La rénovation, et même leur réparation, est considérablement limitée par la réglementation. Grosso modo, sans avoir été formé à la gestion du risque amiante, on ne peut démonter, percer ou découper du matériel amianté sans passer par un diagnostic et par une entreprise habilitée.
En pratique, c’est inapplicable. Une solution envisageable serait de qualifier des agriculteurs et des salariés à certaines interventions, comme cela existe pour le Certiphyto. L’idée est en réflexion en Bretagne et en Pays de Loire.
Une épée de Damoclès pèse donc sur les éleveurs vendeurs et sur leurs acheteurs. S’il fallait provisionner des fonds pour l’élimination des déchets amiantés, la vente d’un bâtiment serait compromise.
Qui voudrait « vendre » un bâtiment d’une valeur négative, ou qui voudrait l’acheter s’il devait le payer une seconde fois lors de son arrêt ? Trouver une solution collective est fondamental, notamment pour la filière des volailles de chair qui a encore besoin de ce parc pour élever de la volaille « made in France ».